AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, TROISIEME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par :
1 / Mme Geneviève A..., épouse Z...,
2 / Mlle Marie-Joëlle Z..., demeurant ensemble ... à Neuilly-sur-Seine (Hauts-de-Seine), en cassation d'un arrêt rendu le 17 avril 1992 par la cour d'appel de Versailles (1re chambre, 2e section), au profit :
1 / de M. Jean Z..., demeurant ... à Authon-du-Perche (Eure-et-Loir),
2 / de Mme Micheline X..., veuve Y..., demeurant ... (11e),
3 / de Mme Paulette X..., veuve B..., demeurant ... (11e), défendeurs à la cassation ;
Les demanderesses invoquent, à l'appui de leur pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt ;
LA COUR, en l'audience publique du 7 mars 1995, où étaient présents : M. Beauvois, président, M. Toitot, conseiller rapporteur, MM. Douvreleur, Peyre, Mme Giannotti, MM. Aydalot, Boscheron, Mmes Di Marino, Borra, M. Bourrelly, conseillers, MM. Chollet, Pronier, Mme Masson-Daum, conseillers référendaires, M. Baechlin, avocat général, Mlle Jacomy, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. le conseiller Toitot, les observations de la SCP Masse-Dessen, Georges et Thouvenin, avocat des consorts Z..., de la SCP Defrenois et Levis, avocat de Mme Y... et de Mme B..., les conclusions de M. Baechlin, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Sur le premier moyen :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Versailles, 17 avril 1992), que M. X..., aux droits duquel se trouvent Mmes Y... et B..., a donné à bail un appartement à M. Fernand Z... ;
qu'après le décès de celui-ci, la location s'est poursuivie au profit de son fils, Jean Z..., auquel, le 27 avril 1953, les bailleresses ont délivré un congé au visa de l'article 4 de la loi du 1er septembre 1948 ;
que, par actes des 13, 18 et 20 avril 1989, Mmes Y... et B... ont assigné M. et Mme Jean Z... et leur fille, Marie-Joëlle Z..., pour faire constater que les époux Z... n'occupaient plus les locaux et disposaient de plusieurs habitations, prononcer la résiliation du bail et leur expulsion, ainsi que celle de leur fille ;
qu'après la décision du Tribunal, qui les a déboutées, elles ont donné congé à M. et Mme Z... et demandé que ce congé soit déclaré valable ;
Attendu que Mmes Jean Z... et Marie-Joëlle Z... font grief à l'arrêt de décider qu'est valable le congé délivré à M. Jean Z... le 27 avril 1953 et de déclarer Mme Jean Z... déchue de son droit au maintien dans les locaux, alors, selon le moyen, "1 ) que les juges sont liés par les conclusions prises devant eux et ne peuvent modifier les termes du litige dont ils sont ainsi saisis ;
qu'en l'espèce, les bailleurs ayant réclamé la validation d'un congé délivré le 3 juin 1990, le juge ne pouvait refuser de se prononcer sur cette prétention et décider que le bail avait pris fin par l'effet d'un congé délivré antérieurement qu'il a validé d'office ;
qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a méconnu les termes du litige en violation de l'article 4 du nouveau Code de procédure civile ;
2 ) que le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction ;
qu'en soulevant d'office le moyen tiré de la non-application des dispositions de l'article 1751 du Code civil, issues de la loi du 4 août 1962, lorsqu'un congé a été délivré à l'un des époux antérieurement à l'entrée en vigueur de ce texte, sans inviter au préalable les parties à présenter leurs observations sur ce point, la cour d'appel a violé l'article 16 du nouveau Code de procédure civile ;
3 ) que, si la renonciation tacite à un droit ne se présume pas, elle peut résulter d'actes manifestant sans équivoque, de la part de leur auteur, la volonté de renoncer ;
qu'en l'espèce, après avoir sollicité en première instance la résiliation du bail aux torts des preneurs, les propriétaires avaient réclamé en cause d'appel la validation d'un congé délivré postérieurement au jugement entrepris, ce dont il résultait, sans équivoque, qu'ils avaient renoncé à se prévaloir des effets du congé -non validé- délivré antérieurement au mari seul ;
qu'en déclarant que la seule délivrance de quittances de loyers ne suffisait pas à caractériser cette renonciation, la cour d'appel a violé l'article 1134 du Code civil" ;
Mais attendu qu'ayant retenu que le congé délivré le 27 avril 1953, au visa de l'article 4 de la loi du 1er septembre 1948, avait mis fin au bail à compter du 1er octobre 1953, et que Mme Z... ne pouvait se prévaloir de l'article 1751 du Code civil, applicable aux baux en cours à la date de publication de la loi du 4 août 1962, ce qui n'était pas le cas, la cour d'appel, qui n'a pas modifié l'objet du litige ni violé le principe de la contradiction, a légalement justifié sa décision sans avoir à procéder à une recherche qui ne lui était pas demandée ;
Sur le second moyen :
Attendu que Mmes Jean Z... et Marie-Joëlle Z... font grief à l'arrêt de déclarer Mme Jean Z... déchue de son droit au maintien dans les lieux, alors, selon le moyen, "1 ) que c'est au propriétaire, qui conteste à un occupant de bonne foi son droit au maintien dans les lieux, de prouver les motifs de déchéance ;
qu'en l'espèce où le mari de Mme lebatteux avait quitté l'appartement de Neuilly-sur-Seine, -toujours occupé par leur fille- pour s'installer en province, il appartenait aux bailleresses d'établir que, titulaire d'un droit personnel au maintien dans les lieux, Mme Z... avait elle-même transféré son principal établissement pour le fixer à Authon-du-Perche ;
qu'en retenant qu'elle ne démontrait pas elle-même que l'appartement litigieux constituât son principal établissement, la cour d'appel a inversé le fardeau de la preuve en violation de l'article 1315 du Code civil ;
2 ) que de surcroît, en se bornant à présumer, dans l'hypothèse d'une pluralité d'habitations, que le principal établissement ne se situait pas dans le local où pouvait s'exercer le droit au maintien dans les lieux, plutôt que de déterminer -en tenant compte de tous les éléments d'ordre familial (et, notamment, de la présence de sa fille à Neuilly) ou social qui lui étaient soumis- où se trouvait effectivement le centre des intérêts de Mme Z..., la cour d'appel a violé les articles 4 et 10-3 de la loi du 1er septembre 1948" ;
Mais attendu qu'appréciant les éléments soumis à son examen, la cour d'appel, qui n'a pas inversé la charge de la preuve, a souverainement retenu que Mme Z... ne démontrait pas que l'appartement de Neuilly occupé par sa fille était le siège de ses intérêts sociaux et familiaux ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne, ensemble, Mme Jean Z... et Mlle Marie-Joëlle Z... à payer la somme de 8 000 francs à Mmes Y... et B..., ensemble, en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Dit n'y avoir lieu à indemnité en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile au profit de Mme Jean Z... et de Mlle Marie-Joëlle Z... ;
Condamne, ensemble, Mme Jean Z... et Mlle Marie-Joëlle Z... aux dépens et aux frais d'exécution du présent arrêt ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Troisième chambre civile, et prononcé par M. le président en son audience publique du douze avril mil neuf cent quatre-vingt-quinze.