AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, TROISIEME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par :
1 / Mme Aimée X...,
2 / Mlle Martine X..., demeurant ensemble ... (12e), en cassation d'un arrêt rendu le 21 octobre 1992 par la cour d'appel de Paris (6e chambre C), au profit de la société anonyme Régie immobilière de la ville de Paris (RIVP), dont le siège social est ... (7e), représentée par son président du conseil d'administration, domicilié en cette qualité audit siège, défenderesse à la cassation ;
Les demanderesses invoquent, à l'appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ;
LA COUR, en l'audience publique du 16 mai 1995, où étaient présents : M. Beauvois, président, M. Toitot, conseiller rapporteur, MM. Douvreleur, Peyre, Mme Giannotti, MM. Aydalot, Boscheron, Mmes Di Marino, Borra, M. Bourrelly, conseillers, MM. Chollet, Pronier, Mme Masson-Daum, conseillers référendaires, M. Baechlin, avocat général, Mme Pacanowski, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. le conseiller Toitot, les observations de Me Cossa, avocat des consorts X..., de Me Boullez, avocat de la société Régie immobilière de la ville de Paris, les conclusions de M. Baechlin, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Sur le moyen unique :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 21 octobre 1992), que la société Régie immobilière de la ville de Paris (RIVP) ayant donné à M. X... un logement à bail qui s'est poursuivi après sa mort, au profit de son épouse, jusqu'au décès de celle-ci, a établi un contrat de location au nom de Mme Aimée X... qui a été signé par sa soeur, Mlle Martine X... ;
qu'après avoir délivré un congé à celle-ci, la RIVP a assigné Mme Aimée X... et Mlle Martine X... en nullité du contrat et expulsion ;
Attendu que Mme Aimée X... et Mlle Martine X... font grief à l'arrêt d'accueillir la demande, alors, selon le moyen, "1 / que la confirmation rend inattaquable par son auteur l'acte juridique annulable ;
qu'en admettant même que le bail litigieux consenti par la RIVP à Mme Aimée X... soit nul pour avoir été signé par Mlle Martine X..., il demeure que l'arrêt attaqué a constaté que, postérieurement au bail annulable, le propriétaire a donné congé à Mlle Martine X..., la signataire du bail, ce qui impliquait nécessairement qu'il la considérait effectivement comme la locataire et lui interdisait de se prévaloir de la nullité revendiquée ;
que, dès lors, la cour d'appel ne pouvait, sans omettre de tirer les conséquences légales de ses propres constatations, prononcer la nullité du bail expressément confirmé ;
qu'en statuant comme elle l'a fait, elle a violé l'article 1338 du Code civil ;
2 / que l'erreur sur la personne n'emporte nullité d'une convention que si la considération de cette personne a été cause déterminante de cette convention ;
que, dès lors, ayant relevé que Mme Aimée X... figurait comme locataire dans le bail litigieux à la place de sa soeur Martine qui, pour sa part, avait signé l'acte, la cour d'appel ne pouvait prononcer la nullité du bail litigieux, sans constater que l'identité de Mme Aimée X... plutôt que celle de sa soeur Martine avait été une cause déterminante du consentement du propriétaire à l'établissement dudit bail ;
que, faute de l'avoir constaté, elle a privé sa décision de base légale au regard des articles 1109 et 1110 du Code civil ;
3 / que les juges du fond devaient d'autant plus rechercher si l'identité de Mme Aimée X... avait été une cause déterminante du consentement du propriétaire à la signature du bail que dans leurs conclusions d'appel Mme Aimée X... et Mlle Martine X... faisaient valoir qu'en 1982, Mlle Martine X... était venue habiter avec sa soeur Aimée, que lors du départ de cette dernière, elle avait payé l'ensemble des loyers par chèques à son nom, qu'il ressortait des divers courriers adressés par la RIVP à Mlle Martine X... qu'il y avait accord pour établir un bail en son nom sous réserve qu'elle justifiât de son occupation depuis 1987, que la RIVP avait d'ailleurs délivré congé à cette dernière et non à sa soeur et que, si elle considérait Mlle Martine X... comme occupante sans droit ni titre, c'est à Mme Aimée X... qu'elle aurait nominativement délivré le congé ;
qu'en omettant de répondre à ces conclusions qui établissaient que le propriétaire connaissait parfaitement la situation et avait accepté Mlle Martine X... en tant que locataire des lieux, la cour d'appel a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
4 / que l'erreur n'est une cause de nullité que dans la mesure où elle est excusable ;
que, dès lors, en omettant de rechercher si le propriétaire avais pris la précaution élémentaire de s'assurer de l'identité de la personne qui signait le bail et de s'assurer qu'il s'agissait bien de celle mentionnée à l'acte, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1109 et 1110 du Code civil" ;
Mais attendu qu'ayant retenu que le bail indiquait avoir été consenti à Mme Aimée X... et qu'il était nul, ayant été signé sciemment par Mlle Martine X..., la cour d'appel, qui n'était pas tenue de procéder à des recherches qui ne lui étaient pas demandées ni de répondre à des conclusions, que ses constatations rendaient inopérantes, a légalement justifié sa décision ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne les consorts X... à payer la somme de 8 000 francs à la RIVP en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Les condamne, envers la société RIVP, aux dépens et aux frais d'exécution du présent arrêt ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Troisième chambre civile, et prononcé par M. le président en son audience publique du vingt et un juin mil neuf cent quatre-vingt-quinze.