AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, TROISIEME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par :
1 / la société civile immobilière Pasad, dont le siège est Mobi-Center, avenue de la Marne et rue Alfred de Vigny, Mérignac (Gironde),
2 / la société civile immobilière Gisad, dont le siège est avenue de la Marne et rue Alfred de Vigny, Mérignac (Gironde), en cassation d'un arrêt rendu le 30 septembre 1992 par la cour d'appel de Pau (1re chambre), au profit :
1 / de M. Michel X..., demeurant ... (Pyrénées-Atlantiques),
2 / de la société SNEG, dont le siège est lieudit "Carre", Libourne (Gironde), défendeurs à la cassation ;
Les demanderesses invoquent, à l'appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ;
LA COUR, en l'audience publique du 20 juin 1995, où étaient présents : M. Beauvois, président, M. Fromont, conseiller rapporteur, MM. Douvreleur, Capoulade, Deville, Mlle Fossereau, MM. Chemin, Villien, conseillers, M. Chapron, conseiller référendaire, M. Weber, avocat général, Mlle Jacomy, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. le conseiller Fromont, les observations de la SCP Nicolay et de Lanouvelle, avocat de la SCI Pasad et de la SCI Gisad, de Me Boulloche, avocat de M. X..., de Me Choucroy, avocat de la société SNEG, les conclusions de M. Weber, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Sur le moyen unique du pourvoi en ce qu'il est formé par la société civile immobilière Pasad :
Attendu, selon l'arrêt attaqué, (Pau, 30 septembre 1992), que la société civile immobilière Pasad et la société civile immobilière Gisad, maîtres de l'ouvrage, ont chargé la société SNEG, entrepreneur, suivant deux marchés forfaitaires distincts, en date du 13 octobre 1987, stipulant des pénalités de retard, d'exécuter, entre le 1er novembre 1987 et le 31 janvier 1988, sous la maîtrise d'oeuvre de M. X..., architecte, les travaux du lot gros oeuvre dans la construction de deux immeubles à usage commercial ;
qu'après expertise ordonnée en référé et allocation de deux indemnités provisionnelles, la société SNEG a assigné en paiement de soldes et de factures les deux sociétés maîtres de l'ouvrage, qui ont assigné l'architecte et la société SNEG en dommages-intérêts en invoquant des retards et l'existence de malfaçons ;
Attendu que la SCI Pasad fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande de condamnation in solidum de la société SNEG et de M. X... au paiement de pénalités de retard, alors, selon le moyen, "1 / que la cour d'appel, qui décide que l'obligation de l'entreprise SNEG a été suspendue par le fait d'un tiers, l'entreprise Salban, en s'abstenant de rechercher en quoi le fait de cette dernière aurait été imprévisible, et en se bornant à affirmer que ses retards auraient "nécessairement et inéluctablement compromis l'avancement des travaux des autres corps d'état", sans donner aucun motif de nature à justifier qu'en l'espèce le fait du tiers aurait été irrésistible, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1148 du Code civil ;
2 / que seules les conditions atmosphériques et les inondations lorsqu'elles rendent effectivement l'accomplissement du travail dangereux ou impossible eu égard soit à la santé ou à la sécurité des travailleurs, soit à la nature ou à la technique du travail à accomplir, sont considérées comme des "intempéries" de nature à suspendre l'obligation de l'entreprise de bâtiment ou de travaux publics ;
qu'en estimant qu'il est communément admis que de simples chutes de pluie ininterrompues ou très fréquentes, suffisent pour être considérées comme intempéries, la cour d'appel a violé les articles 1148 du Code civil et L. 731-2 du Code du travail ;
3 / qu'en se bornant à relever que l'expert s'était référé au courrier météo " 5 mn" et à la norme n 03001 d'octobre 1984, sans rechercher si, en l'espèce, les conditions atmosphériques invoquées par la société SNEG auraient pendant 36 jours rendu effectivement l'accomplissement du travail dangereux ou impossible eu égard soit à la santé ou à la sécurité des travailleurs, soit à la nature ou à la technique du travail à accomplir, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1148 du Code civil et L. 731-2 du Code du travail ;
4 / qu'en refusant de faire application de la clause pénale au seul motif que le créancier ne justifie d'aucun préjudice, sans constater que la peine convenue aurait été manifestement excessive, la cour d'appel a privé son arrêt de base légale au regard des articles 1147, 1152 et 1226 du Code civil" ;
Mais attendu qu'ayant, par motifs propres et adoptés, constaté que les retards de la société Salban, dont il n'était pas démontré qu'elle était le sous-traitant de la société SNEG dans l'exécution de son marché, avaient compromis l'avancement des travaux des autres corps d'état, que des nouveaux délais remplaçant celui du marché avaient été prévus le 29 octobre 1987 en présence d'un représentant du maître de l'ouvrage, que le 3 mars 1988, M. X... avait confirmé à la SNEG la date du 18 mars 1988, qu'il n'était pas démontré que les conséquences des intempéries relevées par l'expert l'aient été à tort, que des travaux supplémentaires avaient entraîné des retards de plusieurs jours, et souverainement retenu qu'il n'y avait pas eu de retard de la part de la société SNEG et que la preuve de la responsabilité de M. X... dans le retard du chantier n'était pas rapportée, la cour d'appel, qui n'avait pas à procéder à des recherches que ses constatations rendaient inopérantes, a légalement justifié sa décision de ce chef ;
Mais sur le moyen unique du pourvoi en ce qu'il est formé par la société civile immobilière Gisad :
Vu l'article 1152 du Code civil ;
Attendu que lorsque la convention porte que celui qui manquera de l'exécuter paiera une certaine somme à titre de dommages-intérêts, il ne peut être alloué à l'autre partie une somme plus forte, ni moindre ;
que, néanmoins, le juge peut, même d'office, modérer ou augmenter la peine qui avait été convenue, si elle est manifestement excessive ou dérisoire ;
toute stipulation contraire sera réputée non écrite ;
Attendu que, pour rejeter la demande en paiement de pénalités de retard formée par la SCI Gisad, l'arrêt retient que cette société ne justifie d'aucun préjudice pour deux journées de retard, relevées par l'expert ;
Qu'en statuant ainsi, sans constater que la peine prévue était manifestement excessive, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a rejeté la demande d'indemnités de retard formée par la SCI Gisad, l'arrêt rendu le 30 septembre 1992, entre les parties, par la cour d'appel de Pau ;
remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Toulouse ;
Dit n'y avoir lieu à indemnité en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Condamne, ensemble, M. X... et la société SNEG aux dépens et aux frais d'exécution du présent arrêt ;
Ordonne qu'à la diligence de M. le procureur général près la Cour de Cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit sur les registres de la cour d'appel de Pau, en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Troisième chambre civile, et prononcé par M. le président en son audience publique du dix-neuf juillet mil neuf cent quatre-vingt-quinze.