AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, PREMIERE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par :
1 / M. Julien X...,
2 / Mme Paule Z..., épouse X..., demeurant ...,
3 / Mme Marie-Paule X..., épouse A..., demeurant ..., en cassation d'un arrêt rendu le 18 décembre 1992 par la cour d'appel de Fort-de-France (1re chambre), au profit de Mme Jeanine Y..., demeurant B... Etienne, Anse Mitan, 97229 Trois Ilets, défenderesse à la cassation ;
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, les deux moyens de cassation annexé au présent arrêt ;
LA COUR, en l'audience publique du 21 novembre 1995, où étaient présents : M. Lemontey, président, M. Thierry, conseiller rapporteur, MM. Grégoire, Renard-Payen, Chartier, Ancel, Durieux, conseillers, M. Savatier, Mme Bignon, conseillers référendaires, Mme Le Foyer de Costil, avocat général, Mme Collet, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. le conseiller Thierry, les observations de Me Choucroy, avocat des consorts X..., de la SCP Gatineau, avocat de Mme Y..., les conclusions de Mme Le Foyer de Costil, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Attendu, selon les énonciations des juges du fond, que, par acte notarié du 8 novembre 1985, Mme Y... a vendu à M. X... un voilier pour la somme de 600 000 francs ;
que, selon jugement du 28 octobre 1986, le tribunal de grande instance de Fort-de-France a condamné l'acquéreur à payer à la venderesse la somme de 550 000 francs, représentant le solde du prix ;
que, par acte notarié du 9 juin 1987, M. X... a fait donation d'un immeuble à son épouse, et d'un autre immeuble à sa fille ;
que, le 14 octobre 1988, Mme Y... l'a assigné en inopposabilité de ces deux donations ;
que l'arrêt attaqué a accueilli cette demande en son principe, mais s'est borné à révoquer une seule des deux donations, le débiteur ayant réglé en mai 1989 une somme de 550 000 francs ;
Sur le premier moyen, pris en ses deux branches :
Attendu que M. X... fait grief à l'arrêt d'avoir ainsi statué, alors, selon le moyen, d'une part, qu'il ne résulte pas des énonciations de cet arrêt qu'à la date de l'introduction de l'action paulienne, il n'ait disposé que de la seule propriété de son bateau, à l'exclusion de toute somme d'argent, puisqu'au contraire la cour d'appel constate qu'il était titulaire d'un compte bancaire, qui avait été alimenté à deux reprises et sur lequel il avait tiré un chèque de 550 000 francs, dès que le jugement du 28 octobre 1986 était devenu irrévocable ;
qu'ainsi, l'arrêt est entaché d'un manque de base légale au regard de l'article 1167 du Code civil ;
et alors, d'autre part, que la cour d'appel a refusé de s'expliquer sur un fait décisif retenu par les premiers juges et tiré de ce que le notaire avait été chargé, dès 1984, de préparer les actes de donations, c'est-à -dire avant la naissance de la créance de Mme Y..., ce qui était de nature à priver de cause son action paulienne, tant en raison de ce défaut de créance certaine en son principe qu'eu égard à l'absence d'organisation de son insolvabilité par le débiteur ; qu'il s'ensuit que l'arrêt se trouve, de nouveau, privé de base légale au regard du même texte ;
Mais attendu, d'abord, que la cour d'appel constate qu'invité à justifier du montant des liquidités dont il disposait, M. X... n'a pas déféré à cette injonction mais s'est borné à faire état de la remise sur son compte bancaire de deux chèques, l'un antérieur de six ans à l'assignation en justice du 14 octobre 1988, et l'autre postérieur à cette assignation ;
que la juridiction du second degré a pu en déduire que le seul bien mobilier appartenant à M. X... à cette date était constitué par le voilier ;
Attendu, ensuite, qu'il importe peu que le notaire ait été chargé, dès 1984, d'établir les actes de donations ;
que c'est en effet à la date à laquelle le débiteur se dépouille effectivement de certains éléments de son patrimoine, le 9 juin 1987 en l'espèce, qu'il convient de se placer pour déterminer l'existence ou l'absence de la fraude paulienne ;
Qu'il s'ensuit que le premier moyen ne peut être accueilli en aucune de ses deux branches ;
Mais sur le second moyen, pris en sa première branche :
Vu l'article 1167 du Code civil ;
Attendu que les créanciers ne peuvent attaquer les actes frauduleux de leur débiteur que dans la mesure du préjudice qu'ils leur causent ;
Attendu que, pour annuler une donation consentie par M. X... en fraude des droits de Mme Y..., envers laquelle il était, au jour de l'assignation, redevable de 700 000 francs, l'arrêt constate que le débiteur ne possédait pas d'autres biens qu'un voilier d'une valeur de 400 000 francs, saisi par Mme Y..., mais aussi qu'il avait versé à celle-ci, en cours d'instance, une somme de 550 000 francs ;
Attendu qu'en statuant comme elle a fait, alors que la créance de Mme Y..., ainsi réduite à 150 000 francs, ne se trouvait pas compromise, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la seconde branche du second moyen :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 18 décembre 1992, entre les parties, par la cour d'appel de Fort-de-France ;
remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Basse-Terre ;
REJETTE la demande formée par Mme Y... au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Condamne Mme Y..., envers les consorts X..., aux dépens et aux frais d'exécution du présent arrêt ;
Ordonne qu'à la diligence de M. le procureur général près la Cour de Cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit sur les registres de la cour d'appel de Fort-de-France, en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Première chambre civile, et prononcé par M. le président en son audience publique du neuf janvier mil neuf cent quatre-vingt-seize.
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