AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, TROISIEME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par la société civile immobilière (SCI) MGF immobilier, dont le siège est ...,
en cassation d'un arrêt rendu le 26 septembre 1995 par la cour d'appel de Paris (19e chambre, section A), au profit de la société Saint-Jacques et compagnie, société en nom collectif, dont le siège est ...,
défenderesse à la cassation ;
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt;
LA COUR, en l'audience publique du 2 avril 1996, où étaient présents : M. Beauvois, président, Mlle Fossereau, conseiller rapporteur, MM. Deville, Chemin, Fromont, Villien, Cachelot, conseillers, Mme Cobert, M. Nivôse, Mme Masson-Daum, conseillers référendaires, M. Weber, avocat général, Mme Pacanowski, greffier de chambre;
Sur le rapport de Mlle le conseiller Fossereau, les observations de Me Capron, avocat de la société civile immobilière MGF immobilier, de la SCP Lyon-Caen, Fabiani et Thiriez, avocat de la société Saint-Jacques et compagnie, les conclusions de M. Weber, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi;
Sur la recevabilité du pourvoi, contestée par la défense :
Attendu que la société Saint-Jacques et compagnie (SNC) soutient que le pourvoi serait irrecevable, l'arrêt, se bornant à statuer sur l'appel d'une ordonnance d'un juge de la mise en état allouant une provision;
Mais attendu que l'instance s'ouvre par la saisine de la juridiction qui est appelée à trancher le point litigieux qui lui est soumis et prend fin par le dessaisissement de cette juridiction; que, saisie de la seule question relative à l'octroi de provisions, la cour d'appel a épuisé sa saisine ;
que, dès lors, l'instance introduite devant elle a pris fin même si le litige demeure pendant sur le fond devant le Tribunal;
D'où il suit que le pourvoi est recevable ;
Sur le second moyen :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 26 septembre 1995), statuant sur appel d'une ordonnance du juge de la mise en état, que la société civile immobilière MGF immobilier (SCI) ayant, suivant acte du 16 juin 1992, acquis de la SNC un groupe d'immeubles en l'état futur d'achèvement, a réglé partie du prix, puis a refusé de payer diverses fractions de celui-ci en invoquant l'exception d'inexécution en raison de la non-conformité des travaux aux stipulations du contrat; que la SCI a ensuite sollicité devant le juge de la mise en état le paiement d'une provision sur des sommes réclamées pour perte d'intérêts, et à titre d'indemnités de retard ;
que la SNC a demandé, à titre reconventionnel, le versement d'une provision sur des situations de travaux;
Attendu que la SCI fait grief à l'arrêt d'écarter sa demande de provision au titre du préjudice dû à la perte des intérêts des sommes versées par elle avant le démarrage tardif des travaux, alors, selon le moyen, "que dans la vente d'immeuble à construire, dont la vente en l'état futur d'achèvement constitue une des formes, le vendeur s'oblige à édifier un immeuble; qu'en énonçant que la convention conclue par la société MGF immobilier et par la société Saint-Jacques et compagnie ne lie pas le paiement de la première fraction du prix à l'avancement effectif des travaux, la cour d'appel, qui méconnaît que le vendeur en l'état futur d'achèvement est tenu d'édifier l'immeuble, a violé les articles 1135 et 1601-1 du Code civil";
Mais attendu que la cour d'appel a légalement justifié sa décision de ce chef en relevant qu'il existait une contestation sérieuse sur le fondement même de la demande et que le contrat n'établissait pas avec évidence que le versement de l'acompte préalable ait été lié à un avancement des travaux;
Mais, sur le premier moyen :
:
Vu l'article 771-3° du nouveau Code de procédure civile ;
Attendu que, lorsque la demande est présentée postérieurement à sa désignation, le juge de la mise en état est, jusqu'à son dessaisissement, seul compétent, à l'exclusion de toute autre formation du Tribunal, pour accorder une provision au créancier lorsque l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable;
Attendu que pour condamner la SCI à verser à la SNC une provision sur les fractions de prix impayées, l'arrêt retient que le contrat de vente s'applique tant que la résolution n'est pas prononcée et relève que l'état d'avancement des travaux correspondant à la provision demandée n'est pas contesté par la SCI;
Qu'en statuant ainsi, sans rechercher, comme il lui était demandé, si les non-conformités invoquées des travaux au contrat n'étaient pas constitutives d'une contestation sérieuse, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision de ce chef;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a condamné la SCI à payer 104 603 235 francs à la SNC Saint-Jacques, l'arrêt rendu le 26 septembre 1995, entre les parties, par la cour d'appel de Paris; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Versailles;
DIT n'y avoir lieu à indemnité en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;
Laisse à chaque partie la charge de ses propres dépens ;
Les condamne; ensemble, aux frais d'exécution du présent arrêt;
Ordonne qu'à la diligence de M. le procureur général près la Cour de Cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit sur les registres de la cour d'appel de Paris, en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Troisième chambre civile, et prononcé par M. le président en son audience publique du sept mai mil neuf cent quatre-vingt-seize.