Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 16 novembre 1995), et les productions, qu'à l'occasion d'un conflit collectif du travail, les 27 et 28 septembre 1995, la compagnie Air France a fait diffuser, sur les chaînes de télévision TF1, France 2, France 3 et Canal Plus, un message publicitaire ainsi conçu :
" Cet écran publicitaire aurait dû être consacré à la présentation des nouvelles cabines et du nouveau service long-courrier d'Air France. Un produit révolutionnaire. L'un des plus beaux du monde. Un produit inventé pour mieux satisfaire le client.
Malheureusement, deux syndicats du personnel navigant commercial ont décidé de déclencher une grève.
S'adapter ou mourir ? L'immense majorité du personnel d'Air France a déjà répondu : vivre. " ;
Que le Syndicat national du personnel navigant commercial (SNPNC) a, par lettres du 2 octobre 1995, adressé aux directeurs de la publication des quatre chaînes de télévision, Patrick Y... pour TF1, Jean-Pierre X... pour France 2 et France 3, Pierre Z... pour Canal Plus, le message suivant, dont il a demandé la diffusion, au titre du droit de réponse :
" Les syndicats du personnel navigant commercial SNPNC et UNAC-CGC protestent contre la campagne publicitaire de vaste envergure lancée par la compagnie Air France, à seule fin de porter atteinte à l'exercice des libertés fondamentales, au droit syndical et au droit de grève.
Cette campagne orchestrée pour dramatiser la grève et discréditer les syndicats cache l'essentiel : la mise en cause par Air France d'un métier et d'un savoir-faire irremplaçables.
Les hôtesses et stewards ont fait un autre choix : lutter pour l'emploi, pour la survie de l'entreprise. " ;
Que la diffusion n'ayant pas été faite, le SNPNC a assigné en référé les directeurs des chaînes de télévision TF1, France 2, France 3 et Canal Plus, afin que soit ordonnée la diffusion de la réponse ;
Sur le premier moyen :
Attendu qu'il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué, d'avoir débouté le SNPNC du droit de réponse qu'il avait sollicité, alors que constitue une atteinte à l'honneur et à la réputation d'un syndicat l'imputation d'appeler à une grève ruineuse pour l'entreprise et ce, contre la volonté de l'ensemble du personnel, et que, pour en avoir décidé autrement, l'arrêt attaqué a violé l'article 6 de la loi du 29 juillet 1982 ;
Mais attendu que l'arrêt relève, que les deux premiers paragraphes du message incriminé se limitaient au rappel de l'intention de la compagnie Air France de faire une communication publicitaire sur ses deux nouveaux produits, que les deux derniers paragraphes, introduits par le terme " malheureusement ", exprimaient le regret de ne pouvoir diffuser le message programmé, ainsi que l'opinion de la Compagnie estimant inopportun le moment choisi pour appeler à un mouvement de grève ayant pour effet de rendre indisponible, pour la clientèle, le produit objet de la campagne publicitaire, dans un contexte de vive concurrence sur le marché du transport aérien, suggéré par l'interrogation " s'adapter ou mourir ? ", que ces paragraphes mentionnent, en outre, que les syndicats ayant appelé à la grève ne représentaient pas tous les salariés d'Air France, et que des opinions différentes existaient dans l'entreprise ; que la cour d'appel a pu déduire de ces énonciations que le message incriminé restait dans les limites de la libre critique appartenant à chacun et ne comportait pas d'imputations susceptibles de porter atteinte à l'honneur ou à la réputation du syndicat SNPNC ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le deuxième et sur le troisième moyens réunis :
Attendu qu'il est fait grief à l'arrêt d'avoir débouté le SNPNC du droit de réponse qu'il sollicitait, alors que, d'une part, le fait pour un employeur de prendre parti, dans le cadre d'un message publicitaire, sur l'action menée par des syndicats de son entreprise, sans que ces derniers ne puissent lui répliquer, par le biais d'un droit de réponse, a pour effet de neutraliser l'exercice du droit syndical et du droit de grève, et qu'ainsi, l'arrêt attaqué a violé le Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 et les articles L. 412-1 et suivants du Code du travail ; que, d'autre part, la liberté publicitaire télévisuelle ne saurait aller jusqu'à permettre la critique du droit de grève et du droit syndical, qu'admettre le contraire reviendrait non seulement à rompre l'égalité des armes entre patronat et salariat dès lors qu'interviendrait un paramètre financier, au demeurant aggravé par le refus d'un droit de réponse mais encore à hisser la publicité à la hauteur de la liberté d'expression politique, et qu'ainsi, en admettant la faculté pour une entreprise d'exprimer dans un message publicitaire son opinion sur une action syndicale, l'arrêt attaqué a violé tout à la fois le Préambule de la Constitution de 1946 et l'article 10 paragraphe 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Mais attendu, que si l'article 6 de la loi du 29 juillet 1982, qui ne distingue pas entre les diverses formes possibles d'activités de communication audiovisuelle, s'applique à un message publicitaire, encore faut-il, pour ouvrir droit à une réponse, que ce message contienne des imputations susceptibles de porter atteinte à l'honneur ou à la réputation de la personne physique ou morale mise en cause ;
Et attendu que l'arrêt ayant retenu à bon droit que le message ne contenait pas de telles imputations, a, par ce seul motif, justifié le refus de diffusion de la réponse ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi.