AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, TROISIEME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par Mme Jacqueline, Clotilde X..., veuve Y..., demeurant villa "Le Trèfle", ..., en cassation d'un arrêt rendu le 4 août 1995 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (4e chambre civile, section B), au profit :
1°/ de M. André Z...,
2°/ de Mme A... Abatte, épouse Z..., demeurant ensemble Parc Royal, ..., défendeurs à la cassation ;
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt ;
LA COUR, en l'audience publique du 12 mai 1998, où étaient présents : M. Beauvois, président, M. Martin, conseiller rapporteur, Mlle Fossereau, MM. Chemin, Fromont, Villien, Cachelot, conseillers, M. Nivôse, Mmes Masson-Daum, Boulanger, conseillers référendaires, M. Baechlin, avocat général, Mlle Jacomy, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. Martin, conseiller, les observations de Me Cossa, avocat de Mme Y..., de la SCP Rouvière et Boutet, avocat des époux Z..., les conclusions de M. Baechlin, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Sur le premier moyen :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 4 août 1995), que Mme Y... a fait exécuter des travaux d'agrandissement de sa villa en copropriété qui ont été interrompus en raison de leur défaut de conformité au permis de construire et au plan d'occupation des sols (POS) ;
qu'un arrêt du 18 avril 1985 a débouté ses voisins, les époux Z..., de leur demande en démolition de ces constructions, mais a condamné Mme Y... à leur verser une indemnité en réparation du trouble de jouissance depuis 1977;
que se plaignant de la persistance de ce trouble et de la construction d'un appentis, puis de celle de l'extension nord de la villa, les époux Z... l'ont assignée en démolition et en réparation de leur préjudice ;
Attendu que Mme Y... fait grief à l'arrêt d'accueillir la demande, alors, selon le moyen, "1°/ qu'il est retenu que par un jugement du 29 mars 1983, le tribunal de grande instance de Grasse a débouté les époux Z... de leur demande en démolition de l'extension nord de la villa, faute pour eux de se prévaloir d'une atteinte à leurs droits réels ou d'une infraction aux servitudes d'urbanisme;
que la cour d'appel, dans l'arrêt du 18 avril 1985, a retenu expressément que les époux Z... persistent à demander la démolition de la partie des constructions, non conformes au permis de construire, en s'abstenant de se prévaloir d'un défaut de conformité au POS et de critiquer les dispositions de la décision dont appel constatant leur renonciation à ce moyen et les a en conséquence déboutés de leur demande tendant à obtenir, par voie de démolition partielle, la mise en conformité au permis de construire périmé des ouvrages irréguliers;
que dès lors, en l'état de ces deux décisions définitives impliquant la renonciation des époux Z... à se prévaloir d'une violation aux règles d'urbanisme pour justifier leur demande en démolition, la cour d'appel, qui a néanmoins ordonné la démolition des constructions litigieuses en retenant l'existence d'une violation, par elle, des règles d'urbanisme, a violé l'autorité de la chose jugée attachée aux décisions précitées, et partant l'article 1351 du Code civil;
2°/ que dans ses conclusions d'appel, Mme Y... avait expressément demandé à la cour d'appel de rejeter la demande en démolition formée par ses voisins de la construction constituant l'extension nord de sa villa en l'état du jugement et de l'arrêt précédemment rendus ;
que, dès lors, en ordonnant la démolition litigieuse sans répondre à ce moyen pourtant déterminant de l'autorité de la chose jugée des deux décisions ayant constaté la renonciation des époux Z... à solliciter une telle mesure, la cour d'appel a entaché sa décision d'un défaut de motifs en violation de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile;
3°/ que s'agissant de l'appentis destiné à abriter les bouteilles de gaz, Mme Y... a fait valoir, dans ses conclusions d'appel, qu'elle avait été autorisée, le 3 décembre 1976, par les propriétaires du Parc Royal à établir une cabine réglementaire contenant quatre bouteilles industrielles en vue d'alimenter sa maison et que le 17 septembre 1990, la mairie lui a confirmé que cet ouvrage ne nécessitait pas d'autorisation administrative;
que, dès lors, en décidant que la construction de cet appentis contrevient aux règles d'urbanisme sans répondre à ces conclusions déterminantes quant à la régularité de la construction litigieuse, la cour d'appel a entaché sa décision d'un défaut de motifs en violation de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile;
4°/ que la villa des époux Marro et celle de Mme Y... sont construites sur un même tènement immobilier;
qu'indépendamment de la question de savoir s'il existe ou non des lignes divisoires en copropriété horizontale, seules sont applicables en l'espèce les prescriptions du POS de la ville de Cannes concernant l'implantation des constructions les unes par rapport aux autres sur une même unité foncière", selon lesquelles la distance doit être égale à la hauteur de la plus grande des deux avec un minimum de quatre mètres, et non celles relatives à "l'implantation des constructions par rapport aux lignes séparatives";
que dès-lors, en décidant que l'extension nord de sa villa, comme la construction de l'appentis destiné aux bouteilles de gaz, contreviennent aux règles d'urbanisme, puisque réalisées à moins de cinq mètres de la ligne séparative des propriétés des parties, la cour d'appel a violé par fausse application l'article 7 de ce document d'urbanisme, et partant l'article 1134 du Code civil;
5°/ que la violation d'une règle d'urbanisme ne suffit pas pour réclamer réparation, le demandeur devant démontrer l'existence d'un lien de cause à effet entre l'infraction commise et le préjudice allégué;
que, dès lors, en se bornant à affirmer que l'appentis cause à l'évidence aux époux Z... un préjudice esthétique sans s'expliquer sur ledit préjudice et surtout sans établir le lien entre la prétendue violation d'une règle d'urbanisme et le préjudice esthétique, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1143 du Code civil" :
Mais, attendu, d'une part, que Mme Y... n'ayant pas soutenu, dans ses écritures devant la cour d'appel, que les dispositions du POS applicables à l'extension nord de sa villa et de son appentis étaient celles relatives aux constructions les unes par rapport aux autres sur une même unité foncière et non celles concernant les constructions par rapport aux lignes séparatives, le moyen est, de ce chef, nouveau, mélangé de fait et de droit ;
Attendu, d'autre part, qu'ayant constaté, par motifs adoptés, que si le tribunal de grande instance de Grasse dans son jugement du 29 mars 1983 et la cour d'appel d'Aix-en-Provence dans son arrêt du 18 avril 1985 avaient rejeté la demande en démolition des ouvrages litigieux formée par les époux Z..., c'est au motif que ces derniers ne se prévalaient pas d'une infraction aux règles de l'urbanisme, alors que dans la présente procédure ils invoquaient la violation de ces règles, la cour d'appel a pu en déduire, sans violer l'autorité de la chose jugée et sans être tenue de répondre à des conclusions que ses constatations rendaient inopérantes, qu'il convenait d'accueillir leur demande de démolition, limitée à l'extension nord de la villa et à l'appentis destiné à abriter des bouteilles de gaz, dont les photographies produites aux débats établissaient le préjudice esthétique que son implantation à moins de cinq mètres de la ligne séparative des propriétés causait aux époux Z... ;
D'où il suit que, pour partie irrecevable, le moyen n'est pas fondé pour le surplus ;
Sur le second moyen :
Attendu que Mme Y... fait grief à l'arrêt d'accueillir la demande des époux Z... en réparation de leur préjudice de jouissance, alors, selon le moyen, "que le dommage est définitivement fixé à la date où le juge rend sa décision et seule peut être accueillie la nouvelle action en justice tendant à la réparation d'un élément de préjudice inconnu au moment de la demande initiale, sur lequel il n'a donc pu être statué, qu'il résulte de l'arrêt attaqué que la cour d'appel a définitivement retenu le principe du préjudice de jouissance subi par les époux Z... et l'a indemnisé au jour du prononcé de son arrêt le 18 avril 1985, que dès lors la cour d'appel ne pouvait, sans porter atteinte à l'autorité de chose jugée, indemniser ce même préjudice de jouissance sous prétexte qu'il "perdure à ce jour", violant ainsi les articles 1351 et 1382 du Code civil" ;
Mais attendu qu'ayant constaté, par motifs adoptés, que les bâtiments litigieux étaient demeurés en l'état depuis l'arrêt du 18 avril 1985 ayant indemnisé le préjudice de jouissance des époux Z... pour la période allant de 1977 au jour de son prononcé, la cour d'appel a pu retenir, sans violer l'autorité de la chose jugée, que ce préjudice s'était poursuivi et qu'il convenait de le réparer ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne Mme Y... aux dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, condamne Mme Y... à payer aux époux Z... la somme de 9 000 francs ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-sept juin mil neuf cent quatre-vingt-dix-huit.