Sur le premier moyen :
Attendu, selon l'arrêt confirmatif attaqué et les productions, que le journal hebdomadaire Z..., daté du 25 au 31 juillet 1992, a publié un article, annoncé en page de couverture, par le titre " Affaire A... - B... innocentée. Le document qui referme le dossier le plus intrigant de l'époque ", comportant la reproduction par extraits du réquisitoire définitif de non-lieu du procureur général près la cour d'appel de Dijon ; qu'estimant cette publication fautive envers les ayants droit de M. Bernard C..., et envers elles, Mme Marie-Ange Y..., agissant tant en son nom personnel qu'en qualité d'administratrice légale de ses enfants mineurs Sébastien et Jean-Bernard C..., et Mlle X... ont assigné la société d'exploitation de l'hebdomadaire Z... en réparation de leur préjudice, sur le fondement de l'article 1382 du Code civil ;
Attendu qu'il est fait grief à l'arrêt d'avoir constaté la prescription de l'action civile, en application de l'article 65 de la loi du 29 juillet 1881 et d'avoir déclaré l'action irrecevable, alors que, de première part, le fait de se procurer, d'utiliser et de publier les réquisitions écrites du Parquet constitue le délit de recel du secret de l'instruction, délit distinct de la diffamation définie aux articles 29, 32 et 34 de la loi du 29 juillet 1881, qu'au plan civil, ce fait est constitutif d'une faute au sens de l'article 1382, distincte de la diffamation, engageant la responsabilité de son auteur sans qu'il soit besoin d'examiner le contenu de l'acte publié, qu'en se bornant à déclarer que les propos poursuivis ne pourraient être susceptibles de revêtir aucune autre qualification, que celles des articles 29, 32 et 34 de la loi du 29 juillet 1881, et en déclarant prescrite l'action de Marie-Ange et Muriel X..., la cour d'appel a violé, par fausse application, les articles 29, 32, 34 et 65 de la loi du 29 juillet 1881 et, par refus d'application, les articles 1382 et 2270-1 du Code civil ; que, de deuxième part, en décidant que les propos mettant en cause Bernard C... époux décédé de Marie-Ange X... et père des enfants mineurs de celle-ci, constituaient le délit prévu et réprimé par l'article 34 de la loi du 29 juillet 1881, sans constater la volonté de leur auteur de porter atteinte à l'honneur ou à la considération de ses héritiers poursuivants, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard du texte précité, ensemble l'article 65 de la même loi ; que, de troisième part, en l'absence de volonté de porter atteinte à leur honneur ou à leur considération, Mme Marie-Ange X... agissant en son nom personnel et en qualité d'administratrice légale de ses enfants mineurs, était fondée en application de l'article 1382 du Code civil, à demander la réparation des préjudices personnels résultant de l'offense faite à la mémoire de leur époux et père décédé, qu'en décidant qu'une telle demande poursuivait la réparation du délit prévu par l'article 34 de la loi du 29 juillet 1881, la cour d'appel a violé par fausse application les articles 34 et 65 de la loi du 29 juillet 1881 et, par refus d'application les articles 1382 et 2270-1 du Code civil ;
Mais attendu qu'il appartient aux juges de restituer aux faits leur exacte qualification, sans s'arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposée ;
Et attendu que la cour d'appel, qui a constaté que la cause du dommage résidait dans la publication d'un article diffamatoire envers les plaignants, et un de leurs auteurs décédé, a fait à bon droit application de la prescription spéciale prévue par l'article 65 de la loi du 29 juillet 1881, bien que les parties eussent fondé leur action en dommages-intérêts sur l'article 1382 du Code civil, dès lors que les éléments de la diffamation publique envers des particuliers et envers la mémoire d'un mort se trouvaient réunis, et que la publication incriminée était interdite par l'article 38 de la loi du 29 juillet 1881 ; qu'ainsi la cour d'appel a légalement justifié sa décision ;
D'où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ;
Mais sur le second moyen :
Vu les articles 65 de la loi du 29 juillet 1881 et 757 du nouveau Code de procédure civile ;
Attendu que la réitération d'une assignation, dans le délai prévu par le premier de ces textes, en empêche la caducité au sens du second ;
Attendu que l'arrêt énonce que les appelantes ne justifient pas avoir placé dans le délai imparti par l'article 757 du nouveau Code de procédure civile, l'assignation qu'elles ont fait délivrer le 21 octobre 1992, que devenue caduque, cette assignation n'a pu interrompre la prescription, que plus de 3 mois s'étant écoulés entre la publication incriminée et le 7 janvier 1993, date de l'assignation régulièrement " placée ", sans qu'aient été accomplis des actes interruptifs au sens du texte ci-avant rappelé, la demande des appelantes est prescrite ;
Qu'en statuant ainsi, alors que la caducité de la première assignation n'avait pas été constatée lorsqu'a été remise au greffe la seconde assignation, qui en était la réitération, de sorte que les assignations délivrées en termes identiques dans le délai de trois mois prévu par l'article 65 de la loi du 29 juillet 1881 constituaient des actes de poursuite, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 23 mai 1995, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Versailles.