AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, TROISIEME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par M. Firmin A..., demeurant ...,
en cassation d'un arrêt rendu le 5 octobre 1999 par la cour d'appel de Paris (2e chambre, section A), au profit :
1 / de M. Louis D..., demeurant ...,
2 / de Mme Rose X..., épouse B..., demeurant 23, route nationale 734, 17310 Saint-Pierre-d'Oléron,
3 / de Mme Jeanne Z..., épouse Y..., demeurant ...,
4 / de M. Fleuret D..., demeurant ...,
défendeurs à la cassation ;
Les consorts D..., C...
B... et C...
Y... ont formé, par un mémoire déposé au greffe le 4 août 2000, un pourvoi incident contre le même arrêt ;
Le demandeur au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, deux moyens de cassation annexés au présent arrêt ;
Les demandeurs au pourvoi incident invoquent, à l'appui de leur recours, un moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ;
LA COUR, en l'audience publique du 17 juillet 2001, où étaient présents : M. Beauvois, président, M. Assié, conseiller rapporteur, Mlle Fossereau, MM. Toitot, Bourrelly, Mme Stéphan, MM. Peyrat, Dupertuys, Philippot, Assié, Mme Gabet, conseillers, M. Bétoulle, Mme Nési, conseillers référendaires, M. Guérin, avocat général, Mlle Jacomy, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. Assié, conseiller, les observations de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de M. A..., de la SCP Monod et Colin, avocat des consorts D..., de Mme B... et de Mme Y..., les conclusions de M. Guérin, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Sur le premier moyen du pourvoi principal :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 5 octobre 1999), que, par acte sous seing privé du 11 janvier 1995, Mme E... s'est engagée à vendre à M. A... divers biens immobiliers ; que Mme E... ayant refusé de signer l'acte authentique dans le délai convenu, M. A... l'a faite assigner en réalisation forcée de la vente ; que Mme E... étant décédée en cours de procédure, M. A... a attrait en la cause aux mêmes fins les consorts D..., venant aux droits de Mme E... ;
Attendu que M. A... fait grief à l'arrêt de prononcer la nullité pour dol de la convention du 11 janvier 1995 et de le condamner à payer aux consorts D... des dommages-intérêts pour préjudice locatif et pour procédure abusive, alors, selon le moyen :
1 / qu'aux termes de l'article 1116 du Code civil, le dol n'est une cause de nullité de la convention qu'à la condition que des manoeuvres aient été pratiquées par l'une des parties et qu'elles aient été déterminantes du consentement du cocontractant ; qu'en retenant, pour annuler l'accord de vente formé entre M. A... et Mme E... que cette dernière avait, antérieurement, réitéré son refus de vendre ses immeubles, qu'elle avait signé un compromis de huit pages à la dactylographie serrée, qu'elle était perturbée comme venant d'intégrer une maison de retraite, qu'elle avait une vue très déficiente, qu'aucun officier ministériel n'était présent, qu'elle avait des liquidités importantes et faisait gérer par une agence son patrimoine immobilier, la cour d'appel, qui, en statuant ainsi, n'a pas constaté l'existence de manoeuvres, imputables à M. A..., déterminant Mme E... à vendre, a privé sa décision de base légale au regard de la disposition susvisée ;
2 / que, conformément à l'article 1116 du Code civil, le dol n'est une cause de nullité qu'à la condition que les manoeuvres pratiquées aient provoqué une erreur de nature à vicier le consentement ;
que la cour d'appel, qui n'a pas constaté que l'attitude qu'elle reprochait à l'acquéreur, en la qualifiant de dolosive, avait eu pour objet de tromper Mme E... en la déterminant à vendre, a derechef privé sa décision de base légale au regard de la disposition susvisée ;
3 / que, conformément à l'article 1109 du Code civil, l'existence d'un vice du consentement doit être appréciée à la date à laquelle celui-ci a été exprimé ; que la cour d'appel, qui a constaté que Mme E... avait, sur la sommation qui lui a été faite, déclaré : "Je ne veux pas signer car je n'ai plus confiance. Je préférerais vendre l'immeuble de Vincennes par appartements...", constatation d'où il résultait qu'à la date à laquelle Mme E... a signé, elle avait exprimé son consentement à la vente, mais qui a néanmoins prononcé l'annulation de l'accord de vente, a, en statuant ainsi, violé la disposition susvisée ;
Mais attendu qu'ayant relevé que Mme E... était entrée en maison de retraite le 4 janvier 1995, que le kinésithérapeute de cet établissement avait attesté de sa perturbation mentale au moment de son admission, qu'il ressortait des certificats médicaux produits qu'elle avait une mauvaise vision et lisait avec une loupe, que ce fait était connu de M. A..., qu'un voisin de la maison d'Estaing avait attesté que Mme E... lui avait refusé la vente de cette maison, que le notaire avait également attesté que celle-ci avait dans le passé refusé à deux reprises les offres d'achat faites par M. A... par son intermédiaire et qu'elle lui avait toujours manifesté, par la suite et jusqu'à son décès, son refus de vendre ses immeubles, la cour d'appel a pu déduire de ses constatations, que ne contredisent pas la réponse faite par Mme E... à la sommation qui lui a été délivrée le 27 avril 1995, que la signature par Mme E... de la promesse de vente comprenant huit pages à la dactylographie serrée et portant sur l'ensemble de ses biens immobiliers, intervenue dans ce contexte, sans assistance d'un officier ministériel, alors que Mme E... disposait de liquidités importantes et faisait gérer son patrimoine immobilier par un professionnel, relevait de manoeuvres dolosives ayant vicié le consentement de celle-ci ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le second moyen du pourvoi principal :
Attendu que M. A... fait grief à l'arrêt de le condamner à payer aux consorts D... la somme de 15 000 francs à titre de dommages-intérêts pour préjudice locatif et celle de 50 000 francs à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive, alors, selon le moyen :
1 / que la cour d'appel, qui n'a pas énoncé de motifs caractérisant une faute imputable à M. A..., que ce soit dans l'apposition de scellés ou dans la poursuite de la procédure, n'a pas justifié sa décision de le condamner au paiement de dommages-intérêts ;
qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé l'article 1382 du Code civil ;
2 / que la cour d'appel, qui a fait droit à la demande de M. A... d'annulation du jugement, ce dont il résultait que son appel était, à tout le moins, partiellement fondé, ne pouvait le condamner à des dommages-intérêts au titre de la poursuite de la procédure sans violer derechef la disposition susvisée ;
Mais attendu qu'ayant retenu que la signature par Mme E... de l'acte du 11 janvier 1995 résultait de manoeuvres dolosives imputables à M. A... et que cet acte devait être tenu pour nul, la cour d'appel en a exactement déduit que les consorts D..., venant aux droits de Mme E..., pouvaient prétendre à réparation du préjudice locatif qui leur avait été causé par l'apposition de scellés sur un appartement ainsi qu'à des dommages-intérêts pour l'immobilisation de leur patrimoine immobilier en raison de la procédure introduite par M. A... ;
Sur le moyen unique du pourvoi incident :
Attendu que les consorts D... font grief à l'arrêt de limiter à 15 000 francs le montant des dommages-intérêts que M. A... a été condamné à leur verser, alors, selon le moyen :
1 / qu'il incombe aux juges du fond de se prononcer sur les documents régulièrement versés aux débats et soumis à leur examen ;
que dès lors, en s'abstenant d'examiner l'attestation par laquelle la SCPA Puijalon, gestionnaire des biens de Mme E..., relatait que le défaut de location des appartement de l'immeuble de Vincennes était dû à la procédure engagée par M. A..., la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1353 du Code civil et 5 du nouveau Code de procédure civile ;
2 / qu'en se bornant à retenir que le risque de devoir reverser les loyers perçus n'empêchait pas la location des appartements sans répondre aux conclusions des demandeurs qui faisaient valoir que la procédure engagée par M. A... avait dissuadé tous les locataires potentiels, de sorte que l'absence de location des appartements de l'immeuble de Vincennes, loin de résulter d'un choix délibéré des légataires, était imputable à M. A..., la cour d'appel a privé sa décision de motifs en violation de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu qu'ayant, dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation, retenu que le choix des légataires de laisser vacants les appartements libérés autres que celui sur lequel avaient été apposés les scellés ne dépendait pas de la procédure en cours et que le risque de reverser les loyers n'était pas de nature à empêcher la location de ces appartements, la cour d'appel a répondu aux conclusions et rejeté l'attestation délivrée par le gestionnaire des biens de Mme E... ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE les pourvois ;
Condamne M. A... aux dépens des pourvois ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, condamne M. A... à payer aux consorts D... et à Mmes B... et Y..., ensemble, la somme de 12 000 francs ou 1 829,39 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Troisième chambre civile, et prononcé à l'audience publique du dix octobre deux mille un par Mlle Fossereau, conformément à l'article 452 du nouveau Code de procédure civile.