AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, TROISIEME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par la société Stratus, société à responsabilité limitée, dont le siège était précédemment ... et actuellement ...,
en cassation d'un arrêt rendu le 15 décembre 1999 par la cour d'appel de Paris (23e chambre, section A), au profit de la Société immobilière du Palais des congrès (SIPAC), dont le siège est ...,
défenderesse à la cassation ;
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt ;
LA COUR, en l'audience publique du 25 septembre 2001, où étaient présents : M. Weber, président, Mme Fossaert-Sabatier, conseiller référendaire rapporteur, Mlle Fossereau, MM. Chemin, Villien, Cachelot, Martin, Mme Lardet, conseillers, Mme Boulanger, conseiller référendaire, M. Guérin, avocat général, Mlle Jacomy, greffier de chambre ;
Sur le rapport de Mme Fossaert-Sabatier, conseiller référendaire, les observations de Me Vuitton, avocat de la société Stratus, de Me Cossa, avocat de la Société immobilière du Palais des congrès (SIPAC), les conclusions de M. Guérin, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Sur le premier et le deuxième moyens, réunis :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 15 décembre 1999), que la Société immobilière du palais des congrès (SIPAC) a confié à la société Stratus la conception et la construction clés en mains d'un ensemble de palissades et d'habillages permettant la mise en valeur du chantier pendant la durée des travaux de l'extension du palais des congrès à Paris, le marché stipulant que les études et les travaux seraient rémunérés par un prix global et forfaitaire ; que la société SIPAC ayant refusé de payer les sommes, excédant ce prix, réclamées par la société Stratus, celle-ci l'a assignée en paiement ;
Attendu que la société Stratus fait grief à l'arrêt de rejeter cette demande, alors, selon le moyen :
1 / que le marché à forfait se définit strictement par l'existence objective d'un plan arrêté et convenu et par l'immutabilité du prix qui en résulte ; que n'a pas cette spécificité, quelle que soit la dénomination qui lui est donnée par les parties, le contrat qui comporte des clauses exprimant un aléa ou une indétermination sur les travaux à réaliser, c'est-à-dire une absence de définition des travaux à entreprendre ; qu'en l'espèce, la société Stratus avait souligné avec l'expert que selon le contrat litigieux, le travail, encore à concevoir, n'était, par hypothèse, pas défini à l'origine ; que le projet qui devait naître de cette conception n'était a fortiori, et selon le contrat lui-même, ni défini ni validé et que cette validation n'avait d'ailleurs jamais eu lieu ; qu'il résultait dès lors de ces éléments objectifs que le contrat ne pouvait en aucune manière être qualifié de marché à forfait ; qu'en décidant néanmoins le contraire, la cour d'appel a violé l'article 1793 du Code civil ;
2 / que pour retenir la qualification de marché à forfait, la cour d'appel a estimé que le report ultérieur, par le contrat litigieux, de la définition et de la validation du projet n'entrait pas en contradiction avec l'existence d'un tel marché à forfait parce que ces prestations futures ne nécessitaient pas une remise en question du devis descriptif initial ; qu'en se prononçant ainsi, alors que pour être incompatible avec la notion de forfait, il suffit qu'une telle remise en question soit rendue possible, comme en l'espèce, par l'indétermination du contrat et qu'en toute hypothèse la seule absence de définition du travail à entreprendre ne permettait pas l'application de l'article 1793 du Code civil, la cour d'appel s'est déterminée par des motifs inopérants, en violation de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
3 / qu'un marché à forfait ne peut être constitué, selon les exigences légales, que si les dispositions contractuelles définissent strictement les travaux à entreprendre, c'est-à-dire "un plan arrêté et convenu" ; qu'en l'espèce, la société Stratus a fait valoir, avec l'expert, que les plans sur lesquels reposait le contrat étaient très succincts au point qu'ils n'avaient pu être appliqués qu'au prix de modifications ultérieures, ce qui en accusait le caractère indéterminé au moment de la conclusion du contrat ; que la cour d'appel s'est bornée à énoncer qu'il appartenait à ladite société d'apporter la preuve de modifications sur les plans ; qu'en se déterminant ainsi, sans s'interroger sur la question préalable dont elle était saisie de savoir si, comme il était contesté, les plans initiaux permettaient de caractériser l'existence objective d'un "plan arrêté et convenu" dans le contrat, susceptible de servir de norme à ce qui pouvait ou non être considéré ultérieurement comme des travaux supplémentaires, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1793 du Code civil ;
4 / que la cour d'appel, qui a estimé que le montant très faible des travaux supplémentaires réalisés par l'entrepreneur ne justifiait pas l'exclusion du régime du marché à forfait, bien que ce montant représentât déjà un surcoût de près de 20 % par rapport à celui-ci, sans avoir recherché si l'ensemble des modifications réalisées par ce même entrepreneur du fait des modifications imposées par le maître de l'ouvrage et d'un montant bien supérieur à titre estimatoire n'était pas de nature à caractériser un bouleversement de l'économie du contrat, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1793 du Code civil ;
5 / que la société SIPAC avait notamment fait valoir que le maître de l'ouvrage avait apporté dès le début des opérations des modifications qui avaient donné lieu à un paiement qui ne correspondait pas au devis initial, qu'il avait imposé des modifications sensibles sur les "visuels" et qu'il avait réintroduit dans le forfait, après réception des travaux, une somme de 205 000 francs pour l'exécution d'un complément de palissade déjà prévue dans le cadre du forfait supposé ; qu'en se dispensant dès lors de rechercher, comme elle y était invitée, si ce comportement du maître de l'ouvrage n'avait pas pu faire croire à la société Stratus que l'exécution des travaux sortait dudit marché à forfait et ne traduisait pas une renonciation à ce marché, la cour d'appel a derechef privé sa décision de base légale au regard de l'article 1793 du Code civil ;
Mais attendu, d'une part, qu'ayant constaté que l'ensemble à réaliser se composait de palissades de différentes hauteurs, de deux tours en façade principale et de l'habillage des huit entrées latérales, que les pièces contractuelles, incluant le devis descriptif estimatif du 13 septembre 1996 et la série des plans d'avant projet à l'échelle 1/500e du 5 août 1996 actualisé, précisaient l'ensemble des prestations incluses dans le forfait, les différentes phases et le calendrier d'exécution, et relevé que la phase dénommée "validation définitive du projet" ne nécessitait nullement une remise en question du devis descriptif initial à partir duquel le marché avait été conclu, ayant seulement pour objet la mise au point pratique de l'opération et que les ouvrages réalisés par Stratus étaient bien ceux qui étaient prévus au marché, la cour d'appel a pu décider que le contrat était un marché à forfait régi par l'article 1793 du Code civil ;
Attendu, d'autre part, qu'ayant relevé que la société Stratus n'établissait pas un bouleversement de l'économie du contrat et qu'il résultait du rapport de l'expert et des pièces versées aux débats que les surcoûts dont le montant était réclamé par la société Stratus provenaient essentiellement d'une préparation insuffisante voire défectueuse de l'opération et incombait à cette société, la cour d'appel a légalement justifié sa décision de ce chef ;
Sur le troisième moyen :
Attendu que la société Stratus fait grief à l'arrêt de la condamner à restituer à la société SIPAC la somme de 236 050 francs, alors selon le moyen :
1 / que, selon les propres constatations de la cour d'appel, la société SIPAC devait payer la somme litigieuse, selon l'ordonnance du 6 juin 1997, entre les mains de M. X..., séquestre, qui devait lui-même la payer à la société GTM ; que la société SIPAC, comme il est également admis par les parties, a payé non pas entre les mains de M. X... mais directement à la société GTM ; qu'il s'ensuit qu'aucune somme n'a été séquestrée entre les mains de M. X..., qui aurait pu être versée à la société Stratus et dont il pourrait lui être demandé remboursement ; qu'en condamnant dès lors la société Stratus à restituer ladite somme à la société SIPAC, au motif qu'elle l'aurait "encaissée indûment", la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, en violation de l'article 1235 du Code civil ;
2 / que la cour d'appel ne pouvait conclure comme elle l'a fait que s'il était établi qu'il y avait eu deux versements effectués par la société SIPAC, l'un à la société GTM, l'autre à la société Stratus, ce dont la société SIPAC s'est elle-même défendue ; que pour établir que la société Stratus avait "encaissé indûment une somme à laquelle elle n'avait pas droit", la cour d'appel devait, nécessairement, constater que la société SIPAC avait payé cette même somme entre les mains de M. X... qui, à son tour, l'avait versée à la société Stratus ; qu'en se dispensant de cette recherche, qui l'aurait inévitablement conduite à modifier son appréciation, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1235 du Code civil ;
Mais attendu qu'ayant constaté que la société SIPAC avait réglé le solde du prix du marché et exactement retenu que la société Stratus ne pouvait rien réclamer au-delà du forfait à l'exception des travaux ayant fait l'objet de la part de la société SIPAC d'une acceptation expresse non équivoque, la cour d'appel, abstraction faite de motifs surabondants, a décidé, à bon droit, que la somme de 236 050 francs versée directement par la société SIPAC à un sous-traitant de la société Stratus devait être restituée par cette dernière ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Stratus aux dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, condamne la société Stratus à payer à la Société immobilière du palais des congrès (SIPAC) la somme de 12 000 francs ou 1 829,39 euros ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejette la demande de la société Stratus ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du trente et un octobre deux mille un.