AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, DEUXIEME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Attendu, selon l'arrêt infirmatif attaqué (Lyon, 18 novembre 1999), que le journal Lyon Mag' a publié, dans son numéro 81 daté de mai 1999, à la rubrique Justice, un article intitulé "X... et Y... rackettent la place des Terreaux", comportant l'accroche suivante : "Dans quelques mois, le tribunal de grande instance devra dire si Daniel X... et Christian Y..., qui ont rénové la place des Terreaux, peuvent revendiquer un droit sur cet espace public. Ce duo exige que quatre petits éditeurs de cartes postales leur versent 800 000 francs pour avoir utilisé l'image de cette place sans leur accord, et surtout leur versent des royalties. Alors que cette place a coûté très cher et que des malfaçons ont exigé des travaux importants. Bien entendu, la plupart des élus lyonnais condamnent cette démarche. En attendant, la loi est du côté des racketteurs." ; que l'article, consacré à la rénovation d'une place de Lyon par un artiste sculpteur et un architecte, comportait encore les passages suivants : "Alors que la communauté urbaine est empêtrée dans les procédures, X... et son complice Y... continuent à défendre leurs petits intérêts" ; "Un auteur a des droits, c'est vrai et on le sait bien. Mais quand on photographie un lieu public, on n'a jamais de problème. Le problème avec la Place des Terreaux, c'est qu'on est tombé sur quelqu'un de très procédurier : Daniel X..." ; "D'ailleurs, ça relève plus du bon sens que du droit. Au nom de quoi un type qui a été grassement payé pour rénover une place peut considérer que cette place lui appartient ?" ;
Que s'estimant diffamé, M. X... a fait assigner devant le tribunal de grande instance, par acte d'huissier de justice du 31 mai 1999, M. Z..., directeur de la publication du journal, et la société Lyon Mag', éditrice du journal, en réparation de son préjudice, sur le fondement des articles 29 et 32, alinéa 1er, de la loi du 29 juillet 1881 ;
Attendu que M. X... fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté cette demande, alors, selon le moyen, que toute allégation ou imputation d'un fait qui porte atteinte à l'honneur ou à la considération d'une personne constitue une diffamation ; que l'imputation d'un racket porte nécessairement atteinte à l'honneur et à la considération de la personne contre qui cette accusation est portée ; que le fait que l'objet du racket soit désigné dans le chapeau de l'article par la phrase "X... et Y... rackettent la Place des Terreaux" n'exclut nullement que l'auteur de ce racket ait été nommément désigné à plusieurs reprises dans le corps de l'article et que personne ne pouvait se méprendre sur l'auteur du fait délictueux, le lecteur ne pouvant au demeurant imaginer que l'on puisse racketter une chose ; qu'en admettant même que le chapeau de l'article soit constitutif d'une métaphore, la forme de l'allégation ou de l'imputation important peu et pouvant résulter d'une interrogation, d'un soupçon ou d'une insinuation, la diffamation aurait été constituée ; qu'en refusant, en l'état, de considérer l'article litigieux comme diffamatoire, l'arrêt attaqué a violé l'article 29 de la loi du 29 juillet 1881 ;
Mais attendu que l'arrêt retient que la parution de l'article incriminé se situe dans le contexte d'une polémique sur l'engagement de poursuites par MM. X... et Y... contre des éditeurs de cartes postales, reproduisant des images photographiques de la Place des Terreaux, sans avoir recueilli leur consentement ni mentionné leur nom ;
que certains organes de presse ont relaté cette polémique ; qu'un article du journal Le Monde avait été titré "Pour les photographes, la rue n'est plus libre de droits" ; que de plus, à l'époque, des articles de presse se sont fait l'écho de l'engagement de travaux de voirie que nécessitait l'état défectueux de la place ; que le ton et le contenu de l'article doivent être examinés à l'aune de cette situation conflictuelle ; que le racket est l'extorsion d'argent ou d'objets par intimidation et violence, ce qui recouvre l'expression d'un délit pénal, mais que seule une personne peut être victime d'un tel délit, alors que, selon le titre incriminé, la victime du racket est un lieu ; qu'un lecteur ne peut donc, dans ce contexte, se laisser abuser par ce terme et penser que M. X... se livre à un racket au sens du droit pénal ; que le titre incriminé doit s'entendre dans un sens métaphorique ; que le chapeau de l'article explique en caractères gras les réclamations portées par M. X... devant le Tribunal, en admettant la pertinence de ces demandes et en regrettant que la loi soit "du côté des racketteurs" ; que le passage de l'article se rapportant à la défense, avec son "complice" M. Y..., de leurs "petits intérêts", n'est pas diffamatoire dans la mesure où il s'adresse à un particulier et non à une personne ayant une fonction de service public ; que le mot complice doit s'entendre dans le sens de participation à une action commune et ne revêt pas une connotation pénale ; que M. X..., qui reconnaît avoir touché 900 000 francs pour la réalisation de la Place des Terreaux, ne peut se plaindre qu'un journaliste puisse estimer qu'il a été grassement payé ; qu'au demeurant, dire de quelqu'un qu'il a touché des sommes importantes n'est pas diffamatoire puisqu'il n'est pas suggéré que ces sommes ont été acquises malhonnêtement ;
Qu'en déduisant de ces constatations et énonciations qu'aucun des passages de l'article ne portait atteinte à l'honneur et à la considération de M. X..., la cour d'appel n'a pas méconnu le sens et la portée des propos incriminés ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. X... aux dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejette la demande de la société Lyon Mag' ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-six septembre deux mille deux.