AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, TROISIEME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le premier moyen :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 9 novembre 2000), que le groupement d'intérêt économique (GIE) Technocentre, maître de l'ouvrage, a fait édifier un centre technologique ; que les travaux de charpente et de gros oeuvre de l'un des bâtiments ont été exécutés par la société JAF, depuis lors en liquidation judiciaire, assurée par la société AXA assurances IARD, la maîtrise d'oeuvre étant confiée à la société civile professionnelle d'architectes (SCPA) Chaix et Morel pour la conception architecturale, et aux sociétés Séchaud et Bossuyt et SEEE pour la maîtrise d'oeuvre d'exécution, le Centre d'études et de prévention (CEP), aux droits duquel vient la société Bureau Véritas, ayant une mission de contrôle technique ; qu'en cours de chantier et avant réception, des difficultés sont intervenues dans la réalisation de la couverture, avec apparition de phénomènes de corrosion ; que le maître de l'ouvrage a assigné les locateurs d'ouvrage en réparation de son préjudice, et ceux-ci ont formé entre eux des actions récursoires ;
Attendu que la société Bureau Véritas fait grief à l'arrêt d'accueillir la demande du GIE Technocentre à son encontre, alors, selon le moyen :
1 / que dans le cas où des désordres se produisent dans un immeuble en construction avant la réception de celui-ci, la responsabilité des entrepreneurs, notamment du contrôleur technique, ne peut être engagée qu'à la condition que soient caractérisées la faute qu'il a commise, la nature et l'étendue du préjudice et la stricte relation causale entre la faute établie et le préjudice déterminé ; qu'en affirmant que le contrôleur technique était en mesure, avant toute mise en oeuvre, de procéder à l'examen des plans des pièces préfabriquées et d'attirer l'attention du maître de l'ouvrage sur le fait que l'insert de ces pièces pouvait comporter un risque d'oxydation, tandis que le CEP, dans ses conclusions, s'appuyant sur un courrier adressé au GIE Technocentre du 16 novembre 1995, faisait valoir qu'aucun dossier technique ne lui avait été remis en dépit de demandes réitérées relatives à la nature des organes de fixation, la cour d'appel n'a pas caractérisé la faute commise, a, en statuant ainsi, privé sa décision de base légale en violation de l'article 1147 du Code civil ;
2 / que, dans des conclusions restées sans réponse, le CEP a fait valoir qu'il ne pouvait être déclaré fautif et tenu de réparer les 3/4 des travaux engagés pour cela seulement que, dans une note du 5 février 1996 confirmant les notes antérieures des 16 et 23 novembre 1995, il avait mis l'accent sur des anomalies graves dans la mise en oeuvre des éléments préfabriqués de la cinquième façade par la société JAF qui, après s'être abstenue de produire quelque dossier technique que ce soit sur la nature des organes de fixation des éléments préfabriqués, avait, de surcroît, procédé, de manière contraire, aux règles de l'art dans la fixation des sabots en inox dans le remplacement, sans avis préalable du CEP, des cordons de soudure linéaire et dans l'adaptation des pièces métalliques réalisées par l'entreprise JAF dans des conditions telles que la solidité des pièces n'est plus assurée ; que le CEP poursuivait en énonçant que les modifications des percements réalisés au chalumeau constituaient, appliquées à des pièces en acier inoxydable, une erreur très grave, incompatible avec la destination de l'immeuble, à raison de la dégradation qui devait s'ensuivre des caractères physiques de l'acier, de la dégradation de la passivation de l'acier sous l'action de la chaleur, ce qui engendre l'amorce d'une corrosion intergranulaire et/ou caverneuse et élimination de matières de nature à approcher la section de la plaquette en elle-même ; que le CEP, se fondant sur ses courriers adressés au maître de l'ouvrage, faisait encore valoir qu'il avait émis un avis défavorable dès qu'il avait eu connaissance des fautes commises par la société JAF mais que cet avis ne pouvait avoir pour effet de le rendre responsable des désordres constatés, dans la mesure où le choix des matériaux n'était pas en cause et où les désordres avaient pour origine les fautes d'exécution commises par la société JAF ; qu'en retenant la faute de la société Bureau Véritas sans s'expliquer sur le fait que, d'une part, la société JAF devait communiquer les dossiers techniques et le fait, d'autre part, que les désordres constatés avaient pour cause unique l'exécution défectueuse, par la société JAF, des obligations lui incombant relatives au mode de fixation des ferrures métalliques, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
3 / que le CEP ayant établi que, dès le 15 novembre 1995, lors d'une réunion de chantier, il avait alerté le maître de l'ouvrage quant à la mise en oeuvre des éléments préfabriqués de la cinquième façade, qu'il avait rappelé que, malgré une demande formulée en réunion de chantier, un mois auparavant, il restait dans l'attente des justificatifs relatifs à l'acier inoxydable et au métal d'apport constituant les soudures, de nombreuses pièces présentant un aspect douteux tant au niveau des soudures qu'au droit de certains percements, a, encore observé "que la nature des organes de fixation n'avait fait l'objet d'aucun dossier technique soumis à notre examen", et que le principe de percement par carottage nécessitait une procédure de contrôle particulière, in situ, qui, en l'espèce, n'existe pas ; le CEP ajoutait que les difficultés de mise en oeuvre rencontrées par l'entreprise JAF la conduisent à proposer des solutions inadéquates, ce qui lui a imposé de formuler un avis suspendu à l'exécution des prestations susceptibles de lever cet avis ; qu'en s'abstenant de répondre aux moyens par lesquels la société Contrôle et prévention alertait le maître de l'ouvrage à la fois du défaut d'information qu'il avait constaté émanant de l'entreprise JAF mais encore des manquements de celle-ci à ses obligations et de l'inadéquation des solutions proposées aux désordres susceptibles d'être provoqués, la cour d'appel a derechef méconnu les exigences de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
4 / que, statuant sur le quantum de dommages-intérêts, la cour d'appel a mis, à la charge du CEP, la totalité du coût du remplacement des sabots et travaux consécutifs, y compris les frais de maîtrise d'oeuvre, de suivi et de contrôle technique, soit une somme globale de 3 870 330 francs HT, bien que la société CEP ait fait valoir dans ses conclusions que la totalité des coûts générés par le changement des inserts ne pouvait peser sur elle, contrôleur technique, et que le coût susceptible de lui être, éventuellement, imputé ne pouvait être représenté que par la différence entre le coût de la réfection mise en oeuvre et une réfection à l'identique, qui n'a pas été chiffrée, mais qui doit correspondre au coût de l'étude des nouvelles ferrures s'affranchissant des inserts inox ; qu'en s'abstenant de répondre à ce moyen d'où il résultait que le CEP ne pouvait être condamné à réparer la totalité des dommages constatés, la cour d'appel a encore méconnu les exigences de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu qu'ayant souverainement relevé que, selon l'avis de l'expert, qui n'avait pas été contredit sur ce point, les plans des pièces préfabriquées avaient été soumis à l'appréciation du contrôleur technique, qui avait donné son accord, et retenu que ce contrôleur, qui était en mesure, avant toute mise en oeuvre, d'attirer l'attention du maître de l'ouvrage sur la possibilité de risque galvanique et de phénomènes d'oxydation, ne l'avait pas fait, alors que sa mission sur la solidité des ouvrages lui imposait de le faire, son avis postérieur à la mise en oeuvre ayant été tardif, et la circonstance que les sabots devaient être en partie remplacés en raison de la mauvaise exécution par l'entreprise étant inopérante, puisque l'ensemble des sabots devait également l'être par suite de la faute imputable au contrôleur, la cour d'appel, qui a souverainement déterminé le montant de la réparation du préjudice, a, répondant aux conclusions, légalement justifié sa décision de ce chef ;
Sur le second moyen :
Attendu que la société Bureau Véritas fait grief à l'arrêt de refuser de lui accorder la garantie des autres locateurs d'ouvrage, alors, selon le moyen :
1 / que la société JAF ayant sous-traité la fabrication des sabots inoxydables et des pièces fabriquées dont la mise en place défectueuse par la société JAF a entraîné les désordres, la cour d'appel ne pouvait exclure la faute, tant de ses sous-traitants que la société JAF, l'inexécution fautive de ses prestations par la société JAF en raison de la spécificité des pièces fabriquées par ces deux sous-traitants étant directement à l'origine du sinistre ; qu'en s'abstenant d'apprécier la responsabilité tant de l'entreprise JAF que de ses sous-traitants, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
2 / que la faute d'un constructeur n'est pas exclusive de la faute des autres intervenants à la construction de l'oeuvre, dès lors que celle-ci a concouru aux désordres constatés ; qu'en l'espèce la mission de contrôle technique confiée à la société CEP ne dispensait pas les intervenants à la construction de procéder au contrôle des prestations de la société JAF, de la qualité des matériaux fabriqués par ses sous-traitants et d'apprécier l'adéquation de l'oeuvre réalisée par l'entreprise JAF à la finalité du toit appelé cinquième façade ; que spécialement, l'architecte et le maître d'oeuvre, à raison de l'originalité de l'oeuvre, devaient s'attacher à mettre en garde, vérifier et contrôler l'exécution par les différents intervenants de leurs obligations respectives ;
qu'en refusant d'apprécier les fautes des différents intervenants à l'oeuvre de construction et en considérant que la faute du CEP qu'elle retenait la dispensait d'examiner les fautes des autres intervenants, la cour d'appel a violé l'article 1147 du Code civil ;
Mais attendu que la cour d'appel ayant retenu, par motifs non critiqués, que la société AXA assurances IARD n'était pas tenue à garantir son assurée la société JAF, et relevé que les fautes alléguées par la société CEP à l'encontre des architectes, du maître d'oeuvre SEEE, et de la société Séchaud et Bossuyt n'étaient pas caractérisées par le contrôleur technique et ne ressortaient pas du rapport de l'expert, le moyen n'est pas fondé, le locateur d'ouvrage qui recherche, sur le fondement quasi-délictuel, la garantie d'un autre constructeur étant tenu d'établir la faute commise par ce dernier à son égard ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Bureau Véritas aux dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, condamne la société Bureau Véritas à payer à M. X..., ès qualités, la somme de 1 900 euros, à la société Chaix et Morel la somme de 1 900 euros, à la société Séchaud et Bossuyt la somme de 1 900 euros et à la société Axa assurances IARD la somme de 1 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du six novembre deux mille deux.