LA COUR DE CASSATION, DEUXIEME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Joint les pourvois n° T 99-21.503 et T 00-12.965 ;
Attendu, selon les arrêts attaqués, rendus en référé (Orléans, 20 septembre 1999 et 24 janvier 2000), qu'un tract intitulé "Santé et Liberté", édité à 50 000 exemplaires, a été émis par l'Omnium des libertés (l'Omnium) et par la Fédération française des psychosomatothérapeutes (la Fédération), et distribué en Indre-et-Loire pour appeler à une réunion publique à Tours, le 3 juillet 1998, sur le thème de la liberté des choix thérapeutiques ; qu'estimant que ce document contenait des "allégations mensongères, insultantes, menaçantes", le Conseil de l'Ordre des médecins d'Indre-et-Loire (le Conseil) a assigné en référé, devant le président du tribunal de grande instance, sur le fondement des articles 1382 du Code civil et 809 du nouveau Code de procédure civile, l'Omnium, la Fédération et le président de celle-ci, M. X..., aux fins de retrait immédiat du tract sous astreinte et de condamnation au paiement d'une provision ; que par ordonnance du 2 juillet 1998, le juge des référés a accueilli ces demandes ;
Sur le premier moyen du pourvoi n° T 99-21.503 :
Attendu que le Conseil fait grief à l'arrêt du 20 septembre 1999, qui a annulé cette ordonnance, d'avoir ordonné la réouverture des débats sur le moyen d'irrecevabilité soulevé d'office par la cour d'appel, et pris de l'application de l'article 65 de la loi du 29 juillet 1881, alors, selon le moyen, que si le juge des référés saisi de faits diffamatoires ne peut accorder une provision au demandeur sans observer le délai dont bénéficie le défendeur pour faire la preuve de leur vérité, les dispositions de la loi du 29 juillet 1881 ne sauraient en revanche faire obstacle à sa compétence pour, sans délai, prévenir un dommage imminent ou faire cesser un trouble manifestement illicite qui résulterait de la diffusion de ces faits ; que, dès lors, en annulant en totalité l'ordonnance de référé qui ne se bornait pas à accorder au demandeur une provision sur son préjudice, mais ordonnait en outre que soit cessée la diffusion du tract litigieux, la cour d'appel a violé par refus d'application l'article 809, alinéa 1, du nouveau Code de procédure civile, et par fausse application les articles 35 et 55 de la loi susvisée ;
Mais attendu qu'il résulte de l'article 35 de la loi du 29 juillet 1881 que sauf exception légale, la vérité des faits diffamatoires peut toujours être prouvée ; que, selon l'article 55 de ladite loi, sauf pendant la période électorale, la partie assignée en diffamation qui veut être admise à prouver la vérité des faits diffamatoires dispose d'un délai de 10 jours après la signification de l'assignation pour lui permettre de faire cette preuve ; que ce délai est d'ordre public ;
Et attendu que l'arrêt, après avoir analysé le tract incriminé, et caractérisé sa portée diffamatoire, retient que les faits relèvent des dispositions de la loi du 29 juillet 1881, notamment son article 55 qui accorde à l'auteur d'un article diffamatoire un délai d'ordre public de dix jours pour faire la preuve de la vérité ; qu'un tel délai, revendiqué en défense, n'a pas été observé en l'espèce, puisque seulement quatre jours ont séparé la date à laquelle l'affaire fut évoquée devant le juge des référés de celle de l'acte introductif d'instance du 26 juin 1998 ;
Que de ces constatations et énonciations, desquelles il résulte que le juge des référés avait excédé ses pouvoirs, la cour d'appel a pu déduire qu'il y avait lieu d'annuler l'ordonnance rendue le 2 juillet 1998 et d'évoquer ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le deuxième moyen du pourvoi n° T 99-21.503 :
Attendu que le Conseil fait grief à l'arrêt du 30 septembre 1999 d'avoir statué comme il l'a fait, alors, selon le moyen :
1 ) que les dispositions de la loi du 29 juillet 1881 ne sauraient faire obstacle à la compétence du juge des référés pour prévenir un dommage imminent ou faire cesser un trouble manifestement illicite qui résulterait de la diffusion de faits diffamatoires ; que, dès lors, en soulevant d'office un moyen tiré de l'article 65 de la loi susvisée, la cour d'appel a violé ce texte par fausse application et l'article 809, alinéa 1, du nouveau Code de procédure civile par refus d'application ;
2 ) qu'en toute hypothèse, l'article 2223 du Code civil étant applicable lorsque l'action civile relative à des faits diffamatoires est exercée séparément de l'action publique, la cour d'appel a violé ce texte en suppléant d'office le moyen tiré de la prescription ;
Mais attendu que les abus de la liberté d'expression prévus et réprimés par la loi du 29 juillet 1881 ne peuvent être réparés sur le fondement de l'article 1382 du Code civil ; que dans les instances civiles en réparation des délits prévus par la loi précitée, l'action résultant d'une de ces infractions se prescrit après trois mois révolus, à compter du jour où l'infraction a été commise ou du jour du dernier acte de procédure, s'il en a été fait ; que la fin de non-recevoir tirée de l'extinction de l'action civile par cette prescription, d'ordre public, peut être proposée en tout état de cause, et doit être relevée d'office ;
Et attendu que l'arrêt retient que l'action du Conseil n'est pas fondée sur des faits distincts de ceux relevant de la loi du 29 juillet 1881 ; qu'aux termes des dispositions de l'article 65 de cette loi, l'action civile résultant des faits réprimés par les dispositions de celle-ci se prescrit après trois mois révolus du jour du dernier acte de poursuite ;
qu'en la cause, plus de trois mois se sont écoulés depuis le dernier acte de cette nature ; que le délai de prescription est d'ordre public ; qu'ainsi, le moyen d'irrecevabilité tiré de la prescription peut être soulevé d'office par la cour d'appel ;
Qu'en l'état de ces constatations et énonciations, la cour d'appel a décidé à bon droit qu'il convenait d'ordonner la réouverture des débats afin de permettre aux parties de conclure sur ce moyen de droit soulevé d'office ;
Sur le moyen unique du pourvoi n° T 00-12.965 :
Attendu que le Conseil fait grief à l'arrêt du 24 janvier 2000 d'avoir déclaré son action prescrite, alors, selon le moyen :
1 ) qu'en application de l'article 625 du nouveau Code de procédure civile, la cassation de l'arrêt du 20 septembre 1999 (objet du pourvoi n° T 99-21.503) entraînera l'annulation par voie de conséquence de l'arrêt présentement attaqué qui en est la suite ;
2 ) que les dispositions de la loi du 29 juillet 1881 ne sauraient faire obstacle à la compétence du juge des référés pour prévenir un dommage imminent ou faire cesser un trouble manifestement illicite qui résulterait de la diffusion de faits diffamatoires ; que, dès lors, en se fondant sur l'article 65 de la loi susvisée pour dire l'action prescrite, la cour d'appel a violé ce texte par fausse application et l'article 809, alinéa 1, du nouveau Code de procédure civile par refus d'application ;
3 ) qu'en toute hypothèse, l'article 2223 du Code civil étant applicable lorsque l'action civile relative à des faits diffamatoires est exercée séparément de l'action publique, la cour d'appel a violé ce texte en décidant qu'il lui appartenait d'appliquer d'office la prescription de l'article 65 de la loi du 29 juillet 1881 ;
Mais attendu que l'arrêt retient, à bon droit, que la prescription de l'article 65 de la loi du 29 juillet 1881, d'ordre public, doit être relevée d'office, aucune distinction n'étant à apporter suivant que l'action civile est exercée séparément ou non de l'action publique ; que, comme le relevait la cour d'appel, un laps de temps de plus de trois mois s'est écoulé entre deux actes de poursuite consécutifs et plus précisément entre l'acte d'appel de M. X... le 13 juillet 1998, et les premières conclusions au fond du 13 novembre suivant ; qu'encore un délai de plus de trois mois s'est écoulé entre ces conclusions et les premières conclusions du Conseil devant la cour d'appel du 20 mai 1999, en sorte que l'action en référé est atteinte par la prescription de l'article 65 de la loi précitée ;
D'où il suit que le moyen, qui manque en fait en sa première branche, est pour le surplus mal fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE les pourvois ;
Condamne le conseil de l'Ordre des médecins d'Indre-et-Loire aux dépens ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-quatre avril deux mille trois.