AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, DEUXIEME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique, pris en sa première branche :
Vu les articles 30, 31 et 46 de la loi du 29 juillet 1881 ;
Attendu que l'interdiction d'exercer l'action civile séparément de l'action publique, édictée par l'article 46 de la loi susvisée, ne concerne que la diffamation commise envers les personnes protégées par les articles 30 et 31 de la même loi et notamment les dépositaires ou agents de l'autorité publique ou les citoyens chargés d'un service public ;
que la qualité de dépositaire ou agent de l'autorité publique ou de citoyen chargé d'un service public, au sens de ce texte, est reconnue à celui qui accomplit une mission d'intérêt général en exerçant des prérogatives de puissance publique ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que le quotidien Libération a publié, le 10 décembre 1998, un article de M. X..., sous le titre "Giacometti : les aveux de Me Y..." et le sous-titre "Mis en cause, le commissaire-priseur a écrit à ses clients pour s'expliquer" ; que s'estimant diffamé, M. Y... a fait assigner, le 18 décembre 1998, devant le tribunal de grande instance, la société éditrice et le directeur de la publication de ce quotidien ainsi que l'auteur de l'article litigieux, en réparation de son préjudice sur le fondement de l'article 29 de la loi du 29 juillet 1881 ; que les défendeurs ont invoqué l'irrecevabilité de la demande, en application de l'article 46 de la même loi ;
Attendu que, pour déclarer l'action irrecevable devant les juridictions civiles, l'arrêt retient qu'aux termes de l'article 1er de l'ordonnance du 2 novembre 1945, les commissaires-priseurs ont un statut d'officier ministériel, qui résulte de leur nomination par le ministre de la Justice en qualité de titulaire d'un office, et sont chargés de procéder à l'estimation et à la vente aux enchères de meubles et effets mobiliers corporels ; qu'ils sont, dans le cadre de leur activité professionnelle, investis du pouvoir de dresser des procès-verbaux d'adjudication qui ont le caractère d'actes authentiques, qui font foi des faits constatés par eux-mêmes et qui sont considérés comme des écritures publiques au sens de l'article 444-1 du Code pénal ; que, dans l'exercice de cette prérogative, destinée à assurer la sécurité juridique des opérations de vente, les commissaires-priseurs agissent en qualité d'officiers publics, cette qualité étant liée au pouvoir dont ils disposent seuls de conférer l'authenticité aux actes qu'ils établissent du fait de leur présence et de leur signature ; que M. Y... soutient, dès lors vainement, que ces professionnels, exerçant leur ministère en vue d'intérêts privés, ne disposent d'aucune délégation de puissance publique ; que la qualité d'officier public leur a, au demeurant, été reconnue par l'article 2 de la loi du 27 ventôse an IX, qui n'a pas été modifiée par l'ordonnance du 2 novembre 1945 précitée ; qu'en conséquence, le Tribunal a estimé à juste titre qu'en sa qualité d'officier public, M. Y... est un citoyen protégé par les dispositions de l'article 31 de la loi du 29 juillet 1881 qui réprime plus sévèrement la diffamation publique commise envers un dépositaire de l'autorité publique ;
Qu'en statuant ainsi, alors que les commissaires-priseurs ne disposent d'aucune prérogative de puissance publique, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres branches du moyen :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 30 juin 2000, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;
Condamne M. Z..., M. A... dit X... et la Société nouvelle de presse et de communication (SNPC) aux dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejette la demande de M. Y... ;
Dit que sur les diligences du Procureur général près la Cour de Cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du onze décembre deux mille trois.