AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, PREMIERE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique, pris en ses trois branches :
Attendu, selon l'arrêt confirmatif attaqué (Douai, 18 juin 2001) et la procédure que le service public de la distribution d'électricité sur le territoire de la commune de Douai a été concédé à la société Quentinoise d'éclairage par convention du 17 décembre 1923, approuvée par le préfet le 9 janvier 1924 ; que le cahier des charges-type annexé à la concession comprenait notamment un article 12 prévoyant des réductions de tarif au profit de la commune ; qu'en application de la loi de nationalisation, EDF s'est substituée au concessionnaire initial ;
qu'un avenant du 19 mai 1952, approuvé par le préfet le 27 mars 1953 a substitué à l'article 12 du cahier des charges un nouvel article 12 prévoyant également des réductions de tarif au profit de la commune ainsi que la fourniture à titre gratuit d'une certaine quantité d'électricité par an ; qu'EDF n'ayant pas appliqué ces dispositions qu'elle disait illégales, la commune l'a fait assigner devant le tribunal de grande instance de Douai aux fins de condamnation à lui payer la somme principale de 1 088 000 francs ;
Attendu que la commune fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré bien fondée l'exception d'incompétence du juge judiciaire soulevée par EDF, alors, selon le moyen :
1 / que si un contrat conclu entre deux personnes publiques revêt en principe un caractère administratif, impliquant la compétence des juridictions administratives pour connaître des litiges sur les manquements aux obligations en découlant, il en va autrement lorsque, eu égard à son objet, le contrat fait naître entre les parties des rapports de droit privé, ce qui est le cas des contrats unissant les services publics industriels et commerciaux à leurs usagers ; qu'il s'ensuit que constitue un contrat de droit privé le contrat de fourniture, nécessairement distinct du contrat de concession lui-même, qu'une commune conclut en vue de bénéficier des prestations du service public industriel et commercial assuré par la personne publique prestataire de ce dernier ; qu'en l'espèce, si le litige opposait la société EDF, concessionnaire, et la commune de Douai, autorité concédante, il résultait de l'exercice d'une action en répétition de l'indu et avait très précisément pour objet l'application, à la commune, prise en sa seule qualité d'usager, des conditions tarifaires ; qu'en décidant néanmoins que ce litige relevait de la compétence de la juridiction administrative, la cour d'appel a violé la loi des 16-24 août 1790 et le principe de la séparation des pouvoirs ;
2 / qu'un contrat par lequel une personne publique (EDF) chargée de la gestion du service de la distribution d'électricité qui, eu égard à ses conditions de fonctionnement, présente le caractère d'un service public industriel et commercial, s'engage à fournir de l'électricité à une commune moyennant une rémunération fixée sur la base du cahier des charges annexé au contrat de concession est, par son objet, un contrat de droit privé ; qu'en décidant que le présent litige relevait de la compétence du juge administratif, sans rechercher si, eu égard à son objet, le contrat conclut entre EDF et la commune de Douai ne faisait pas naître des rapports de droit privé justifiant la compétence du juge judiciaire, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de la loi des 16-24 août 1790 et du principe de la séparation des pouvoirs ;
3 / que constituent des clauses réglementaires les clauses du cahier des charges annexé au contrat de concession déterminant le tarif des prestations dont bénéficie le concessionnaire ; qu'il s'ensuit que le litige ayant pour objet l'application de ces clauses à la commune, usager des prestations du service public concédé, et par ailleurs autorité concédante, ne saurait l'opposer au concessionnaire qu'en sa seule qualité d'usager ; qu'un tel litige relève, par voie de conséquence, de la compétence du juge judiciaire ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a derechef violé la loi des 16-24 août 1790 et le principe de la séparation des pouvoirs ;
Mais attendu que les juges du fond ont relevé, à bon droit, que les dispositions du cahier des charges prévoyant les fournitures promises à la collectivité territoriale ne constituaient pas une convention juridiquement distincte du contrat de concession, mais une simple clause de ce contrat liée aux autres par un rapport d'interdépendance ; qu'ils en ont exactement déduit que le litige relevait de la compétence de la juridiction administrative ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la commune de Douai aux dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejette la demande de l'Electricité de France ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du six janvier deux mille quatre.