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22/01/2004 | FRANCE | N°01-01423

France | France, Cour de cassation, Chambre civile 2, 22 janvier 2004, 01-01423


AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, DEUXIEME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Versailles, 22 novembre 2000), rendu sur renvoi après cassation (2ème Civile, 6 mai 1999, Bull. n° 79), que le journal hebdomadaire Le Point, daté du 25 au 31 juillet 1992, a publié un article, annoncé en page de couverture, par le titre "Affaire Grégory - Christine X... innocentée - Le document qui referme le dossier le plus intrigant de l'époque", comportant la reproduction par extraits du réquisitoire définitif de non-lieu du procureu

r général près la cour d'appel de Dijon ; qu'estimant cette publication f...

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, DEUXIEME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Versailles, 22 novembre 2000), rendu sur renvoi après cassation (2ème Civile, 6 mai 1999, Bull. n° 79), que le journal hebdomadaire Le Point, daté du 25 au 31 juillet 1992, a publié un article, annoncé en page de couverture, par le titre "Affaire Grégory - Christine X... innocentée - Le document qui referme le dossier le plus intrigant de l'époque", comportant la reproduction par extraits du réquisitoire définitif de non-lieu du procureur général près la cour d'appel de Dijon ; qu'estimant cette publication fautive envers les ayants droit de Bernard Y..., et envers elles, Mme Marie-Ange Z..., épouse A..., agissant tant en son nom personnel qu'en qualité d'administratrice légale de ses enfants mineurs Sébastien et Jean-Bernard Y..., et Mlle Murielle Z... ont assigné la Société d'exploitation de l'hebdomadaire Le Point (la société SEBDO) en réparation de leur préjudice, sur le fondement de l'article 1382 du Code civil ; que Sébastien Y..., devenu majeur, est intervenu à l'instance ;

Sur le premier moyen :

Attendu que la société SEBDO fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté l'exception d'irrecevabilité prise par elle du défaut de mise en cause du directeur de la publication, alors, selon le moyen, qu'il résulte de l'article 44 de la loi du 29 juillet 1881 que le propriétaire d'un journal ou d'un écrit périodique peut seulement être déclaré responsable des condamnations prononcées au profit des tiers contre le directeur de la publication, auteur principal, sans pouvoir être poursuivi en responsabilité indépendamment de celui-ci ; qu'en l'espèce, la société SEBDO, propriétaire du journal Le Point, excipait de l'irrecevabilité de l'action en diffamation formée contre elle seule par les consorts Z... et Y..., faute de mise en cause concomitante du directeur de la publication ; qu'en retenant, pour néanmoins la déclarer recevable, que l'action litigieuse n'était pas subordonnée à la mise en cause de l'auteur de l'article incriminé, non plus qu'à celle du directeur de la publication, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

Mais attendu qu'il ne résulte d'aucune énonciation ni d'aucunes conclusions que l'exception prise par la société SEBDO du défaut de mise en cause du directeur de la publication ait été soulevée avant toute défense au fond ; qu'elle ne pouvait être invoquée par la première fois devant la cour d'appel de renvoi ; que, par ce motif de pur droit substitué à ceux critiqués par le moyen, la décision se trouve légalement justifiée ;

Sur le deuxième moyen :

Attendu que la société SEBDO fait grief à l'arrêt d'avoir retenu que les propos incriminés constituaient des diffamations envers Mlle Z... et envers la mémoire de Bernard Y..., alors, selon le moyen :

1 / que la diffamation suppose l'imputation à une personne d'un fait précis, susceptible de faire l'objet d'une preuve contraire et portant atteinte à son honneur ou à sa considération ; qu'en l'espèce, comme le soutenait la société SEBDO, l'article litigieux ne portait aucune accusation d'assassinat contre Bernard Y..., mais se bornait à relater les circonstances de la mise en examen de celui-ci, puis sa disculpation dès lors que les éléments recueillis au cours de l'enquête -traces de pneus d'un autre véhicule et empreintes de chaussures de femme- anéantissaient les premiers soupçons portés contre lui par le magistrat instructeur, la mise en examen de Christine X... et sa vraisemblable disculpation aux termes d'une instruction n'ayant pas permis de découvrir l'auteur du crime, pour conclure au constat d'un échec judiciaire dont Bernard Y... avait notamment été la victime ; qu'en se bornant dès lors à affirmer que les propos relatés dans la publication incriminée portaient incontestablement atteinte à l'honneur et à la considération de Bernard Y..., en ce qu'il était reproché à celui-ci un assassinat, sans s'expliquer, comme elle y était invitée, sur le moyen tiré de ce qu'outre la mention de la mise en examen de celui-ci pour assassinat, y figuraient également sa disculpation et le fait que le meurtrier du petit Grégory n'avait pas, en définitive, été trouvé, en sorte qu'aucun préjugé de culpabilité n'étant à cet égard exprimé à l'encontre de M. Y... la diffamation alléguée n'était pas caractérisée, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 29 et 34 de la loi du 29 juillet 1881 ;

2 / que, dans ses conclusions d'appel, la société SEBDO soutenait que l'article incriminé ne pouvait caractériser le délit de diffamation à l'égard de Mlle Murielle Z... puisqu'il contenait un simple rappel incident de ses déclarations successives à la justice, sans appréciation ni jugement de valeur ; qu'en se bornant dès lors à affirmer qu'il était reproché à Mlle Z... de fausses déclarations à la justice, sans expliquer en quoi le rappel objectif des déclarations, au demeurant contradictoires, effectivement faites par celle-ci caractérisait l'imputation d'un fait portant atteinte à son honneur ou à sa considération, la cour d'appel a encore privé sa décision de base légale au regard de l'article 29 de la loi du 29 juillet 1881 ;

3 / que, comme le soutenait la société SEBDO, le passage, qui se bornait à reproduire le réquisitoire du procureur général, faisant état de ce qu'il n'était pas exclu que Murielle Z... ait été l'objet de pressions voire de menaces, ne pouvait être attentatoire à l'honneur ou à la considération de celle-ci, présentée comme l'éventuelle victime de ces pressions ou menaces ; qu'en décidant pourtant le contraire, la cour d'appel a violé l'article 29 de la loi du 29 juillet 1881 ;

Mais attendu que l'arrêt retient que les propos incriminés portaient incontestablement atteinte à l'honneur et à la considération de Bernard Y..., de Mlle Z... et de leur entourage familial, en ce qu'il était respectivement reproché aux intéressés un assassinat, de fausses déclarations à la justice et une subornation de témoins ; que l'intention de nuire prévue par l'article 34 de la loi du 29 juillet 1881 se déduit en l'occurrence de la conscience qu'avait nécessairement la société SEBDO de causer un préjudice à la famille du défunt, en procédant au rappel, injustifié, des charges dont l'intéressé avait en définitive été blanchi dans le cadre de l'instruction, charges qui le désignaient comme l'assassin probable de l'enfant Grégory ;

Que de ces constatations et énonciations; la cour d'appel, qui a exactement apprécié le sens et la portée des propos incriminés, a déduit à bon droit que les faits entraient dans les prévisions des articles 32 et 34 de la loi du 29 juillet 1881 ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le troisième moyen :

Attendu que la société SEBDO fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté l'exception de bonne foi invoquée par elle, alors, selon le moyen :

1 / qu'ainsi que le soutenait la société SEBDO dans ses conclusions d'appel, le rappel objectif et dénué de tout caractère polémique ou malveillant du déroulement de l'information ouverte à la suite de l'assassinat de Grégory X..., et partant de la mise en examen puis de la disculpation de M. Y..., ainsi que des déclarations successives de Mlle Murielle Z... aux magistrats instructeurs, exprimé, au surplus, en termes mesurés et reposant sur une enquête sérieuse, faisait la preuve de sa bonne foi ; qu'en écartant cependant l'exception de bonne foi ainsi invoquée, au motif erroné, dès lors qu'elle constatait que l'information légitime du public et l'actualité judiciaire de l'époque justifiaient que fussent portés à la connaissance du lecteur les derniers développements de la procédure judiciaire en cours et ainsi à révéler aux lecteurs que Christine X... allait vraisemblablement faire l'objet d'un non-lieu, que rien ne justifiait, en revanche, Le Point à se livrer alors à un historique exhaustif de l'affaire, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 29 et 34 de la loi du 29 juillet 1881 ;

2 / qu'en omettant de répondre au moyen invoqué par la société SEBDO dans ses conclusions, tiré de ce qu'un journaliste poursuivi pour diffamation, dès lors qu'il acceptait pour les besoins de sa défense de rendre compte de tout ou partie de ses sources, ne pouvait se voir opposer le grief de publication interdite ou de recel de secret professionnel, la cour d'appel a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;

Mais attendu que l'arrêt retient que si l'information légitime du public et l'actualité judiciaire de l'époque justifiaient que fussent portés à la connaissance du lecteur les derniers développements de la procédure judiciaire en cours, au stade où elle en était à la date de la publication de l'article incriminé, et ainsi à révéler aux lecteurs que Mme X... allait vraisemblablement faire l'objet d'un non-lieu, la divulgation d'extraits du réquisitoire définitif dans lequel Le Point a puisé son information était interdite par l'article 38 de la loi du 29 juillet 1881 ;

Que de ces constatations et énonciations, la cour d'appel a déduit, à bon droit, que la société SEBDO ne pouvait se prévaloir de la bonne foi ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société SEBDO aux dépens ;

Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, condamne la société SEBDO à payer aux consorts Z... et Y... la somme de 2 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-deux janvier deux mille quatre.


Synthèse
Formation : Chambre civile 2
Numéro d'arrêt : 01-01423
Date de la décision : 22/01/2004
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Civile

Analyses

1° PRESSE - Abus de la liberté d'expression - Définition - Atteinte à la mémoire d'un mort - Atteinte à l'honneur ou à la considération des héritiers - époux ou légataires universels vivants - Intention de porter atteinte à leur réputation - Détermination.

1° L'intention de nuire prévue à l'article 34 de la loi du 29 juillet 1881 se déduit de la conscience, qu'avait l'auteur de la diffamation, de causer un préjudice par des propos rappelant, de façon injustifiée, les charges dont l'intéressé avait été blanchi dans le cadre d'une instruction.

2° PRESSE - Abus de la liberté d'expression - Bonne foi - Exclusion - Cas.

2° La mauvaise foi se déduit de la divulgation, alors interdite, des extraits d'un réquisitoire définitif révélant les derniers éléments d'une procédure judiciaire en cours.


Références :

1° :
Loi du 29 juillet 1881 art. 34

Décision attaquée : Cour d'appel de Versailles, 22 novembre 2000


Publications
Proposition de citation : Cass. Civ. 2e, 22 jan. 2004, pourvoi n°01-01423, Bull. civ. 2004 II N° 19 p. 15
Publié au bulletin des arrêts des chambres civiles 2004 II N° 19 p. 15

Composition du Tribunal
Président : M. Ancel.
Avocat général : M. Kessous.
Rapporteur ?: M. Guerder.
Avocat(s) : la SCP de Chaisemartin et Courjon, la SCP Piwnica et Molinié.

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2004:01.01423
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