La Commission nationale de réparation des détentions instituée par l'article 149-3 du Code de procédure pénale, a rendu la décision suivante :
Statuant sur le recours formé par :
- M. Gérard LE X...,
contre la décision du premier président de la cour d'appel de Rennes en date du 2 septembre 2002 qui lui a alloué une indemnité de 3.000 euros sur le fondement de l'article 149 du Code précité, ainsi qu'une somme de 1.500 euros sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Les débats ayant eu lieu en audience publique le 11 octobre 2004, le demandeur et son avocat ne s'y étant pas opposé ;
Vu les dossiers de la procédure de réparation et de la procédure pénale ;
Vu la décision de la Commission nationale de réparation des détentions, en date du 6 octobre 2003, ordonnant une expertise médicale confiée au Docteur Anne Henry et une expertise matérielle confiée à M. Georges Hubert, experts près la cour d'appel de Rennes ;
Vu les rapports d'expertise déposés et notifiés aux parties ;
Vu les conclusions de M. Florand avocat au barreau de Paris représentant M. Le X... ;
Vu les conclusions de l'agent judiciaire du Trésor ;
Vu les conclusions de M. le procureur général près la Cour de Cassation ;
Vu la notification de la date de l'audience, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, au demandeur, à son avocat, à l'agent judiciaire du Trésor et à son avocat, un mois avant l'audience ;
Sur le rapport de Mme le conseiller Karsenty, les observations de M. Beaufils, avocat au barreau de Paris, substituant M. Florand et assistant M. Le X..., celles de M. Le X... comparant et de Mme Couturier-Heller, avocat représentant l'agent judiciaire du Trésor, les conclusions de M. l'avocat général Finielz, le demandeur ayant eu la parole en dernier ;
Après en avoir délibéré conformément à la loi, la décision étant rendue en audience publique ;
LA COMMISSION :
Vu les articles 149 à 150 du Code de procédure pénale ;
Attendu qu'une indemnité est accordée, à sa demande, à la personne ayant fait l'objet d'une détention provisoire au cours d'une procédure terminée à son égard par une décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement devenue définitive ; que cette indemnité répare intégralement le préjudice personnel, moral ou matériel causé par la privation de liberté ;
Sur la réparation du préjudice matériel :
Attendu que M. Le X... a soutenu devant le premier président, qu'étant dirigeant de l'association de défense des entreprises en difficulté (ADED), au moment de son placement en détention, il percevait un salaire de 4.725,92, dont il a été privé pendant sa détention du 4 avril 1995 au 9 juin suivant ; qu'il a produit trois bulletins de salaire des mois d'octobre, novembre et décembre 1994 ;
Attendu que, pour rejeter la demande la demande de réparation du préjudice économique, le premier président retient que les déclarations fiscales de 1993 et 1994 produites par M. Le X... ne permettent pas d'établir que les revenus perçus seraient les siens et non ceux de son épouse ; qu'il ajoute encore que M. Le X... et son épouse ont perçu des revenus mobiliers importants, de 163.804 francs en 1993 et 240.920 francs en 1994 mais que le préjudice matériel n'est pas établi, en l'absence de preuve que les revenus aient eu pour origine les salaires de M. Le X... ;
Attendu que, par décision précitée du 6 mai 2003, la Commission nationale de réparation des détentions a ordonné une expertise, aux fins de déterminer si M. Le X... a subi des pertes de traitement du fait de son placement en détention et pendant la durée de celle-ci, et dans l'affirmative, de le chiffrer ;
Que le rapport d'expertise ayant été communiqué aux parties, M. Le X... souligne que les bulletins de salaire produits prouvent la réalité du préjudice d'un montant de 9.123 , dont il demande réparation, et subsidiairement fait valoir la perte de revenus mobiliers, objet d'un redressement fiscal, que l'expert a estimé à 6.692 ;
Que de son côté, l'agent judiciaire du trésor soutient que le rapport d'expertise conclut que les bulletins de salaire ne correspondent pas à des règlements effectués par l'ADED, que les services fiscaux ont estimé que les retraits effectués par M. Le X... sur le compte de l'association s'analysaient en bénéfices distribués non déclarés, dont l'intéressé ne peut demander réparation à raison de la détention, dépourvue de lien avec la perte de tels revenus et qui sont au demeurant illicites ;
Que le rapport d'expertise déposé le 2 juillet 2004 relève que M. Le X..., avec son épouse, trésorière de l'association, a opéré des retraits du compte bancaire de l'association à leur profit, en l'absence de toute formalisation et sans réelle justification ; qu'il conclut, au vu des bulletins de salaires produits qu'il est impossible d'identifier le règlement des salaires nets perçus en raison de la confusion de patrimoine constatée, l'administration fiscale ayant dénié à M. Le X... sa qualité de salarié pour l'imposer au titre de revenus mobiliers des bénéfices ainsi distribués ;
Attendu que ces conclusions, si elles ne permettent pas d'admettre comme certaine la perte de salaires pendant la durée de la détention, établissent que M. Le X..., du fait de son placement en détention, a été privé de ressources provenant de l'association qu'il dirigeait et qu'il convient d'évaluer, comme l'a retenu le rapport d'expertise, à la somme de 6.692 ;
Que le recours doit être accueilli de ce chef ;
Sur la réparation du préjudice moral :
Attendu que pour fixer à la somme de 3.000 la réparation du préjudice moral, le premier président après avoir retenu qu'il n'est pas établi que la détention ait aggravé l'état dépressif préexistant de M. Le X..., attesté par des certificats médicaux antérieures à l'incarcération, a tenu compte de la perception, par l'intéressé, de la souffrance morale de ses proches, élément important de son préjudice moral ;
Que la Commission nationale de réparation des détentions a ordonné une expertise tendant à déterminer les conséquences de la détention sur l'état psychologique de M. Le X... ; que le rapport d'expertise ayant été communiqué aux parties, M. Le X... a sollicité la somme de 13.720,41 , tandis que l'agent judiciaire du Trésor a conclu au rejet du recours sur ce point ;
Attendu que le rapport déposé le 19 décembre 2003 relève que l'examen psychiatrique ne révèle aucun élément en faveur d'une affection aigüe ou chronique ou en faveur de troubles graves de la personnalité ;
Que cependant les conclusions mettent en évidence que M. le X... a subi une souffrance psychique intense, organisée en un syndrome anxio-dépressif, avec des signes tels que la perte importante de poids, de sorte qu'il convient de fixer la réparation de ce chef de préjudice à la somme de 6.000 ; que la décision doit être réformée en ce sens ;
Sur la demande formée sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale :
Attendu qu'une telle demande, qui ne peut être formée que sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, n'est pas justifiée conformément aux dispositions de l'article 245 du décret du 27 novembre 1991; qu'il convient de la rejeter ;
PAR CES MOTIFS :
ACCUEILLE le recours de M. Gérard LE X... sur la réparation des préjudices matériel et moral et statuant à nouveau :
LUI ALLOUE la somme de 6.692 (six mille six cent quatre- vingt-douze euros) en réparation du préjudice matériel ;
LUI ALLOUE la somme de 6.000 (six mille euros) en réparation du préjudice moral ;
REJETTE la demande formée au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
LAISSE les dépens à la charge du trésor public.
Ainsi fait, jugé et prononcé en audience publique par la Commission Nationale de réparation des détentions, le 12 novembre 2004 où étaient présents : M.Canivet, président, Mme Karsenty, conseiller rapporteur, M. Bizot, conseiller, M. Finielz, avocat général, Mme Grosjean, greffier.
En foi de quoi la présente décision a été signée par le président, le rapporteur et le greffier.