La Commission nationale de réparation des détentions instituée par l'article 149-3 du Code de procédure pénale, a rendu la décision suivante :
Statuant sur le recours formé par :
- M. Thierry X...,
contre la décision du premier président de la cour d'appel d'Amiens en date du 29 juin 2004 qui lui a alloué une indemnité de 9.000 euros au titre de son préjudice moral sur le fondement de l'article 149 du Code précité ;
Les débats ayant eu lieu en audience publique le 7 mars 2005, le demandeur et son avocat ne s'y étant pas opposé ;
Vu les dossiers de la procédure de réparation et de la procédure pénale ;
Vu les conclusions de M. Duport, avocat au Barreau d'Amiens assistant M. X... ;
Vu les conclusions de l'agent judiciaire du Trésor ;
Vu les conclusions de M. le procureur général près la Cour de Cassation ;
Vu les conclusions en réponse de M. Duport, avocat ;
Vu la notification de la date de l'audience, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, au demandeur, à son avocat, à l'agent judiciaire du Trésor et à son avocat, un mois avant l'audience ;
Sur le rapport de M. le conseiller Gueudet, les observations de M. Duport, avocat assistant M. X..., celles de M. X..., comparant et de Mme Couturier-Heller, avocat représentant l'agent judiciaire du Trésor, les conclusions de M. l'avocat général Finielz, le demandeur ayant eu la parole en dernier ;
Après en avoir délibéré conformément à la loi, la décision étant rendue en audience publique ;
LA COMMISSION :
Attendu que, par décision du 29 juin 2004, le premier président de la cour d'appel d'Amiens a alloué à M. X... une somme de 9.000 euros en réparation du préjudice moral qu'il a subi, à raison d'une détention provisoire de huit mois et 27 jours (267 jours) effectuée du 29 septembre 1994 au 26 juin 1995 et a rejeté ses autres demandes ;
Attendu que M. X... a régulièrement formé, le 9 juillet 2004, un recours contre cette décision pour obtenir l'allocation des sommes de 60.060,47 euros au titre de son préjudice matériel, de 20.000 euros au titre de son préjudice moral, de 7.622 euros en remboursement de ses frais d'avocat consécutifs à l'incarcération et de 4.573,47 euros au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Vu les articles 149 à 150 du Code de procédure pénale ;
Attendu qu'une indemnité est accordée, à sa demande, à la personne ayant fait l'objet d'une détention provisoire terminée à son égard par une décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement devenue définitive ; que, selon l'article 149 précité, l'indemnité est allouée en vue de réparer intégralement le préjudice personnel, matériel et moral causé par la privation de liberté ;
1) Sur le préjudice matériel
Attendu que pour rejeter la demande de réparation du préjudice matériel le premier président a estimé que la perte de rémunération alléguée avait pour origine, non la détention mais la décision ayant révoqué le requérant de ses fonctions de policier ; Attendu que M. X... soutient que compte tenu de la rémunération mensuelle qu'il percevait avant qu'il soit révoqué, sa perte de revenus pendant sa détention doit être fixée à 11.862,42 euros pour la période comprise entre la date de son incarcération et le 12 juin 1995, date de la prise d'effet de cette décision ; qu'il ajoute que, n'ayant pu immédiatement retrouver un travail à sa sortie de prison et ayant dû effectuer une formation faiblement rémunérée, il a encore subi une perte de revenus de 48.197,05 euros ;
Attendu que l'agent judiciaire du Trésor soutient que M. X... ne peut prétendre qu'à l'indemnisation de la perte de rémunérations subie pour la période comprise entre le 29 septembre 1994 et le 26 avril 1995 date de sa révocation, soit une somme de 9.200 euros et que les pertes supplémentaires de rémunérations qui résultent de sa révocation ne peuvent être indemnisées au titre de l'article 149 du nouveau Code de procédure pénale;
Attendu qu'en septembre 1994, M. X... percevait un traitement net de 10.357,86 francs soit de 1581,79 par mois ; que par arrêté ministériel du 26 avril 1995 porté à sa connaissance le 26 mai 1995 et prenant effet le 12 juin 1995 il a été révoqué de ses fonctions pour manquement grave au code de déontologie ; que dans ces conditions M. X... ne peut prétendre qu'à l'indemnisation de ses pertes de salaires pendant sa détention jusqu'à la date de la prise d'effet de la décision de révocation soit pendant 8 mois 13 jours ;
qu'il y a lieu en conséquence de lui allouer le montant de 11.862,42 euros qu'il réclame ; qu'en revanche les pertes de revenus subies après sa libération, intervenue 14 jours après la prise d'effet de sa révocation, résultent exclusivement de cette mesure qui a entraîné pour M. X... la nécessité d'entreprendre une reconversion professionnelle ;
2) Sur le préjudice moral :
Attendu que pour fixer à 9.000 euros le préjudice moral de M. X... la décision attaquée retient seulement que le requérant en sa qualité de fonctionnaire ou d'ex-fonctionnaire de police a souffert de l'hostilité et de vexations de la part de ses co-détenus ;
Attendu que M. X... soutient que son préjudice moral a été sous-évalué par le premier président dès lors que ses conditions de détention ont été rendues particulièrement difficiles eu égard à sa profession de policier et à la nature des infractions qui lui étaient reprochées, qu'il a été éloigné de sa compagne et de ses enfants et qu'il a été porté atteinte à la présomption d'innocence ;
Attendu que l'agent judiciaire du Trésor estime que l'indemnité allouée doit être confirmée ;
Attendu que le préjudice résultant de l'atteinte à la présomption d'innocence ne résulte pas directement de la privation de liberté ;
Attendu que compte tenu de l'âge de l'intéressé (34 ans) au moment de son incarcération dans une maison d'arrêt éloigné de son domicile, de la durée de sa détention (8 mois 27 jours), de l'incidence de sa qualité de policier sur ses conditions de vie en détention, de sa séparation d'avec sa compagne et ses 3 enfants dont l'un âgé de 5 ans, l'indemnité réparatrice de l'intégralité de son préjudice moral doit être fixée à 13.500 euros ;
3) Sur le remboursement des frais d'avocat
Attendu que M. X... sollicite le remboursement d'une somme de 7.622 euros au titre des frais d'avocat liés à sa détention ;
Attendu que l'agent judiciaire du Trésor conclut au rejet de cette demande au motif que M. X... ne justifie pas ce chef de préjudice ;
Attendu que M. X... verse aux débats une convention d'honoraires datée du 3 avril 2003 mentionnant les honoraires dûs à son avocat ;
Mais attendu que les frais de défense qui incluent les honoraires d'avocat ne sont pris en compte au titre du préjudice causé par la détention que s'ils rémunèrent des prestations directement liées à la privation de liberté et résultant de factures ou d'un compte que son défendeur doit établir en application de l'article 245 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 ; que la convention produite, postérieure de plus de 7 ans à la mise en liberté, qui ne satisfait pas à cette exigence de preuve, ne peut permettre à M. X... d'obtenir l'indemnisation qu'il sollicite à ce titre ;
4) Sur l'article 700 du nouveau Code de procédure civile :
Attendu que M. X... sollicite à ce titre une somme de 4.573,47 euros pour les deux instances ;
Attendu que pour des raisons d'équité il y a lieu d'allouer une somme de 1.000 euros pour chacune des deux instances au requérant qui a exposé des frais non compris dans les dépens pour obtenir réparation des préjudices subis à raison de sa détention ;
PAR CES MOTIFS :
ACCUEILLE le recours des chefs du préjudice matériel et du préjudice moral ;
ALLOUE à M. Thierry X... une indemnité de 13.500 (treize mille cinq cents euros) en réparation de son préjudice moral, une indemnité de 11.862,42 (onze mille huit cent soixante deux euros, quarante deux centimes) en réparation de son préjudice matériel ;
ALLOUE à M. Thierry X... la somme de 2.000 (deux mille euros) pour les deux instances au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
REJETTE le recours pour le surplus ;
LAISSE les dépens à la charge du Trésor Public.
Ainsi fait, jugé et prononcé en audience publique par la Commission nationale de réparation des détentions, le 1 avril 2005 où étaient présents : M. Canivet, président, M. Gueudet, conseiller rapporteur, Mme Gailly, conseiller référendaire, M. Finielz, avocat général, Mme Grosjean, greffier.
En foi de quoi la présente décision a été signée par le président, le rapporteur et le greffier.