La Commission nationale de réparation des détentions instituée par l'article 149-3 du Code de procédure pénale, composée lors des débats de M. Gueudet, président, Mme Nési, M. Chaumont, conseillers référendaires, en présence de M. Charpenel, avocat général et avec l'assistance de Mme Bureau, greffier a rendu la décison suivante :
Statuant sur le recours formé par :
- M. Abdelmalik X...,
contre la décision du premier président de la cour d'appel de Rouen en date du 25 janvier 2005 qui lui a alloué une indemnité de 70.000 euros sur le fondement de l'article 149 du Code précité ;
Les débats ayant eu lieu en audience publique le 23 septembre 2005, le demandeur et son avocat ne s'y étant pas opposé ;
Vu les dossiers de la procédure de réparation et de la procédure pénale ;
Vu les conclusions de M. Lescene, avocat au Barreau de Rouen représentant M. X... ;
Vu les conclusions de l'agent judiciaire du Trésor ;
Vu les conclusions de M. le procureur général près la Cour de Cassation ;
Vu les conclusions en réponse de M. Lescene ;
Vu la notification de la date de l'audience, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, au demandeur, à son avocat, à l'agent judiciaire du Trésor et à son avocat, un mois avant l'audience ;
Sur le rapport de Mme le conseiller Nési, les observations de M. Lescene, avocat assistant M. X..., celles de M. X... comparant et de Mme Couturier-Heller, avocat représentant l'agent judiciaire du Trésor, les conclusions de M. l'avocat général Charpenel, le demandeur ayant eu la parole en dernier ;
Après en avoir délibéré conformément à la loi, la décision étant rendue en audience publique ;
LA COMMISSION,
Attendu que par décision du 16 novembre 2004 le premier président de la cour d'appel de Rouen a alloué à M. Abdelmalik X... une indemnité de 70.000 euros en réparation du préjudice moral résultant d'une détention de 34 mois et 14 jours effectuée du 5 novembre 1993 au 13 juin 1995 puis du 11 juillet 1995 au 17 octobre 1996 pour des faits ayant donné lieu à une ordonnance de non-lieu définitive du 26 mars 2004 et l'a débouté de ses demandes tendant à l'indemnisation de son préjudice matériel et à la désignation d'un expert médical et psychologique avec versement d'une provision ;
Attendu que M. X... a régulièrement formé un recours le novembre 2004 contre cette décision pour obtenir une somme de 51.750 euros au titre de son préjudice matériel et de 517.500 euros au titre de son préjudice moral ainsi qu'une expertise ;
Vu les articles 149 à 150 du Code de procédure pénale ;
Attendu qu'une indemnité est accordée à sa demande à la personne ayant fait l'objet d'une détention provisoire terminée à son égard par une décision de non lieu, de relaxe ou d'acquittement devenue définitive ; que selon l'article 149 précité, l'indemnité est allouée en vue de réparer intégralement le préjudice personnel, matériel et moral causé par la privation de liberté ;
Sur le préjudice matériel :
Attendu que pour rejeter la demande de M. X... à ce titre le premier président a relevé que le requérant ne travaillait plus depuis cinq ans avant la date de sa première période d'incarcération , qu'il avait peu travaillé dans les deux années qui avaient suivi sa libération puis avait totalement cessé toute activité depuis six années , sans justifier de la moindre recherche d'emploi, ni même du suivi effectif d'une quelconque formation ;
Attendu que l'agent judiciaire du Trésor soutient qu'il appartient au demandeur de rapporter la preuve qu'il a subi une perte de chance réelle et sérieuse de trouver un emploi pendant la période durant laquelle il a été détenu ;
Attendu qu'il résulte des pièces produites par M. X... qu'il a travaillé régulièrement de 1973 à 1988, et notamment pendant onze ans en tant que salarié de l'union des usagers du port de Rouen, emploi qu'il a quitté dans le cadre d'une réduction de personnel pour motif économique moyennant le versement d'indemnités importantes ; qu'il est constant qu'après sa remise en liberté définitive en octobre 1996 il a exercé des activités en 1997 et 1998, certes de manière épisodique et avec des revenus très limités ; que si l'intéressé ne travaillait pas au moment de son incarcération ces éléments suffisent néanmoins à établir la perte d'une chance réelle et sérieuse de trouver un emploi rémunéré , directement causée par la privation de liberté, et qui, compte tenu de son parcours professionnel, doit être évaluée à la somme de 10.200 euros ;
Qu'il convient donc d'accueillir le recours de M. X... du chef du préjudice matériel ;
Sur le préjudice moral :
Attendu que pour fixer à 70.000 euros l'indemnité allouée à M. X... au titre de son préjudice moral le premier président a pris compte, outre l'âge de l'intéressé et la durée de la détention, l'existence d'un syndrome d'hyper-anxiété phobique depuis la sortie de prison, ainsi que la nécessité d'un traitement et d'un suivi thérapeutiques pour traiter les séquelles psychologiques de l'incarcération ;
Qu'il a revanche exclu, à juste titre, sur le fondement de l'article 149 du Code de procédure pénale, toute réparation d'un état dépressif dès lors qu'il résultait des pièces produites par le requérant lui-même que cet état n'était pas lié exclusivement à la détention mais également à la nature des faits et à la durée de la procédure pénale ;
Que M. X... n'apportant pas d'éléments contredisant cette appréciation ou démontrant l'existence d'autres facteurs d'aggravation du préjudice invoqués , son recours de ce chef sera rejeté ;
Sur la demande d'expertise :
Attendu que l'expertise médicale demandée par M. X... et déjà refusée par le premier président n'est pas davantage justifiée à ce jour en l'absence de tout commencement de preuve d'un trouble psychologique lié à l'incarcération autre que le syndrome d'hyper-anxiété phobique réparé lors de la fixation du préjudice moral et d'un lien entre la détention et une pathologie gastro-intestinale apparue plus de quatre années après la libération définitive du requérant ;
Qu'il convient également de rejeter le recours de ce chef ;
PAR CES MOTIFS :
ACCUEILLE le recours de M. Abdelmalik X... au titre de son préjudice matériel et statuant à nouveau :
Lui ALLOUE à ce titre la somme de 10.200 euros (dix mille deux cents euros) ;
REJETTE le recours au titre du préjudice moral et de l'expertise médicale et psychologique ;
LAISSE les dépens à la charge du Trésor Public ;
Ainsi fait, jugé et prononcé en audience publique le 21 octobre 2005 par le président de la Commission nationale de réparation des détentions,
En foi de quoi la présente décision a été signée par le président, le rapporteur et le greffier.