AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, TROISIEME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Donne acte à la société Razel, anciennement dénommée Razel Frères, venant aux droits de la société Razel Picot Sud du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre la société Groupama Transports, anciennement dénommée Groupama Chegaray ;
Donne acte à la société Mammoet Fostrans, venant aux droits de la société Fostrans, du désistement de son pourvoi incident ;
Sur le moyen unique du pourvoi principal :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 17 mars 2004), que la société Razel, venant aux droits de la société Razel Pico Sud, chargée, par un maître d'ouvrage public, en qualité d'entrepreneur principal, des travaux de doublement d'un pont enjambant une rivière, a, par contrat en date du 15 octobre 1996, stipulant un prix forfaitaire pour cinq jours de travail au maximum, sous-traité à la société Mammoet Fostrans, venant aux droits de la société Fostrans, le transport, par remorques autopropulsées, depuis une aire de préfabrication, de 16 poutres en béton précontraint d'une longueur de 45 mètres ainsi que le levage, à l'aide de grues KR 1000 ou similaires, de ces poutres, à partir d'une plate-forme de pose dans le lit de la rivière, la réalisation de cette plate-forme et de sa piste d'accès incombant à la société Razel; qu'une crue du cours d'eau survenue le 6 décembre 1996 a rendu inutilisable la piste d'accès et la plate-forme, isolant la grue alors en cours de montage, dont les éléments électriques et mécaniques vitaux, partiellement ou totalement submergés, ont été soit endommagés soit emportés par le courant ; qu'à la suite de difficultés ayant opposé les parties sur le financement de l'opération de sauvetage de la grue sinistrée et la fourniture d'une grue de substitution, de l'effondrement le 21 janvier 1997, à la suite d'une nouvelle crue de la rivière, de la plate-forme et de sa piste d'accès nouvellement reconstruites, la société Razel, ayant réalisé pour la troisième fois une plate-forme avec piste d'accès et fait délivrer infructueusement à la société Fostrans, le 21 février 1997, une mise en demeure de reprendre l'exécution des travaux, lui a notifié la résiliation de son contrat et a fait appel à une tierce entreprise ; que la société Fostrans a assigné la société Razel aux fins d'obtenir la rupture du sous-traité à ses torts ainsi que des dommages-intérêts ; que la société Razel a demandé, par voie reconventionnelle, le prononcé de la rupture du contrat aux torts exclusifs de la société Fostrans et l'indemnisation de son préjudice ;
Attendu que la société Razel fait grief à l'arrêt de prononcer la résiliation du sous-traité aux torts réciproques, de la condamner à payer des dommages et intérêts à la société Fostrans pour l'immobilisation de la grue sinistrée, de limiter à une certaine somme les dommages-intérêts accordés pour l'immobilisation du chantier et de rejeter les demandes de condamnation du sous-traitant au titre de ses défaillances, alors, selon le moyen :
1 / qu'un contractant n'est tenu d'aucune obligation de renégocier les conditions d'un marché forfaitaire à la suite d'un sinistre dont la responsabilité incombe à son cocontractant seul ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a relevé que la société Fostrans, seule responsable de l'immersion de sa grue sur le chantier sinistré, était tenue d'une obligation de résultat de procéder aux opérations de levage des poutres dans le délai et au prix prévu par le sous-traité et devait à ses frais enlever le matériel endommagé, pourvoir à son remplacement et poursuivre l'exécution du contrat au prix convenu, tout dépassement devant rester à sa charge définitive ; qu'il en résulte que la société Fostrans ne pouvait, sans méconnaître ses obligations et se rendre coupable d'abus, subordonner le retrait de son matériel endommagé à l'engagement préalable de la société Razel d'en supporter le coût ; qu'en jugeant néanmoins que la société Razel avait fait preuve d'une inertie fautive en étant incapable de s'entendre avec son sous-traitant sur un plan de sauvetage en raison de leurs divergences sur ses aspects financiers, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres énonciations, en violation des articles 1134, 1147, 1184 et 1793 du Code civil ;
2 / que le juge ne saurait, sans méconnaître les limites du litige, fonder un partage de responsabilité sur l'affirmation d'un fait expressément dénié par l'ensemble des parties ; que la société Fostrans avait souligné dans ses conclusions qu'il fallait trouver une grue de substitution pour procéder au retirement de la grue sinistrée de la société Fostrans et la pose des poutres, soulignant ainsi qu'aucun autre moyen n'aurait permis de désenclaver la grue endommagée du lit de la rivière ;
qu'en jugeant néanmoins que la société Razel avait failli à ses obligations contractuelles, en décidant, au lieu de procéder à une réfection provisoire de ses terrassements endommagés qui aurait pu permettre à la société Fostrans d'enlever son matériel, d'attendre que son cocontractant trouve une grue de substitution pour réaliser un seul et même terrassement permettant à la fois l'enlèvement de la grue sinistrée et l'installation de la nouvelle grue, la cour d'appel a modifié les termes du litige, en violation de l'article 4 du nouveau Code de procédure civile ;
3 / que la victime d'un sinistre dont la responsabilité incombe à son cocontractant seul n'est tenue d'aucune obligation de limiter les pertes de celui-ci ; qu'en jugeant que la société Razel avait failli à ses obligations contractuelles en décidant d'attendre que son cocontractant trouve une grue de substitution pour réaliser un seul et même terrassement pour l'enlèvement de la grue sinistrée et la poursuite de l'exécution du contrat, au lieu de procéder à une réfection provisoire de ses terrassements endommagés qui aurait pu permettre à la société Fostrans d'enlever son matériel, la cour d'appel a violé les articles 1134,1135,1147 et 1184 du Code civil ;
4 / que la gravité du comportement d'une partie à un contrat peut justifier que l'autre partie y mette unilatéralement fin, à ses risques et périls, en provoquant sa résiliation aux torts du contractant défaillant ; qu'il résulte des constatations mêmes de l'arrêt qu'en dépit de la reconstruction d'un 3 ème terrassement qui levait tout obstacle à la poursuite du contrat, la société Fostrans avait déclaré qu'elle n'exécuterait pas ses obligations, sinon à des conditions financières que la cour d'appel qualifie d'inacceptables ; qu'en refusant par principe d'apprécier le bien-fondé de la décision de résiliation unilatérale du sous-traité prise par la société Razel et en s'abstenant par voie de conséquence de rechercher, comme elle y était invitée, si le comportement de la société Fostrans n'avait pas été d'une gravité telle que le contrat ait pu être unilatéralement rompu, la cour d'appel a commis une erreur de droit en violation des articles 1147 et 1184 du Code civil ;
5 / que le contractant jugé seul responsable d'un sinistre ne saurait demander réparation de ses suites préjudiciables pour lui-même ;
qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que le sinistre du 6 septembre 1996 était imputable à faute au seul sous-traitant et que l'immobilisation de sa grue sur le site sinistré aurait pu être évitée s'il avait pris les mesures de rapatriement d'urgence qui lui incombaient ; qu'en décidant néanmoins que le coût financier de l'immobilisation ultérieure de la grue sinistrée serait indemnisé par l'entrepreneur à concurrence de 30 jours, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres énonciations, en violation de l'article 1147 du Code civil ;
Mais attendu qu'ayant relevé, par des motifs non critiqués, que dès avant la délivrance de la mise en demeure de reprendre le chantier, aucune des parties ne souhaitait plus poursuivre l'exécution de ce contrat conflictuel, la société Razel ayant trouvé en cours d'expertise un autre sous-traitant disponible et meilleur marché, et la société Fostrans ayant pris le parti de ne pas se manifester pendant le délai de la mise en demeure, et constaté que l'immobilisation de la grue sur le site résultait de l'inertie réciproque et fautive des parties en décembre 1996, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de procéder à une recherche sur la gravité du comportement de la société Fostrans que ses constatations rendaient inopérante, et qui a pu retenir que les parties ayant toutes deux failli à leurs obligations, chacune devait réparer le dommage direct et certain que sa propre faute avait causé à l'autre, a légalement justifié sa décision de ce chef ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Laisse à chaque demandeur la charge des dépens afférents à son pourvoi ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, condamne la société Razel à payer la somme de 2 000 euros à la société Groupama Transport et à la société Mammoet Fostrans la somme de 2 000 euros ; rejette toute autre demande ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quinze février deux mille six.