La Commission nationale de réparation des détentions instituée par l'article 149-3 du Code de procédure pénale, composée lors des débats de M. Gueudet, président, Mme Nési, M. Chaumont, conseillers référendaires, en présence de M. Charpenel, avocat général et avec l'assistance de Mme Bureau, greffier, a rendu la décision suivante :
Statuant sur les recours formés par :
- M. Roland X...,
- L'agent judiciaire du Trésor,
contre la décision du premier président de la cour d'appel d'Aix-en-Provence en date du 26 juillet 2005 qui a alloué à M. X... une indemnité de 4.573,47 euros en réparation de son préjudice matériel et une somme de 5.340 euros en réparation de son préjudice moral sur le fondement de l'article 149 du Code précité ;
Les débats ayant eu lieu en audience publique le 31 mars 2006, le demandeur ne s'y étant pas opposé ;
Vu les dossiers de la procédure de réparation et de la procédure pénale ;
Vu les conclusions de M. Mascaras, avocat au Barreau de Montauban, représentant M. X... ;
Vu les conclusions de l'agent judiciaire du Trésor ;
Vu les conclusions de M. le procureur général près la Cour de cassation ;
Vu les conclusions en réponse de M. X... ;
Vu la notification de la date de l'audience, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, au demandeur, à son avocat, à l'agent judiciaire du Trésor et à son avocat, un mois avant l'audience ;
M. X... comparaît personnellement ;
Sur le rapport de M. le conseiller Chaumont, les observations de M. X..., comparant et de Mme Couturier-Heller, avocat représentant l'agent judiciaire du Trésor, les conclusions de M. l'avocat général Charpenel, le demandeur ayant eu la parole en dernier ;
Après en avoir délibéré conformément à la loi, la décision étant rendue en audience publique ;
LA COMMISSION,
Attendu que, par décision du 25 juillet 2005, le premier président de la cour d'appel d'Aix-en-Provence a alloué à M. X... les sommes de 4 573,47 euros en réparation de son préjudice matériel et 5 340 euros en réparation de son préjudice moral, à raison d'une détention provisoire effectuée du 17 avril au 15 juillet 1997 pour des faits ayant donné lieu à un arrêt de relaxe devenu définitif ;
Attendu que, le 5 août 2005, M. X... et l'agent judiciaire du Trésor ont régulièrement formé un recours contre cette décision;
Que M. X... réitère à l'audience les demandes présentées initialement dans les conclusions de son avocat, tendant au paiement des sommes de 3 557 468 et 152 450 euros en réparation de ses préjudices matériel et moral; qu'il ajoute qu'il a exposé des frais d'avocat pendant les 8 années de procédures qui s'élèvent à 45 734,71 euros ; que la vente de sa maison, par son épouse et pendant l'incarcération, s'est faite à un prix inférieur de 91 469,41 euros à sa valeur réelle; que le déménagement qui s'en est suivi l'a empêché de suivre ses affaires et a provoqué la perte des nombreux marchés;
que les pièces qui auraient permis de rapporter la preuve de ce qu'il avance ont été détruites lors d'un incendie au tribunal de commerce ;
Que l'agent judiciaire du Trésor sollicite la réformation de la décision déférée en ce qu'elle a alloué à M. X... une indemnité au titre du préjudice matériel et demande que la réparation du préjudice moral soit minorée ;
Vu les articles 149 à 150 du Code de procédure pénale ;
Attendu qu'une indemnité est accordée, à sa demande, à la personne ayant fait l'objet d'une détention provisoire terminée à son égard par une décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement devenue définitive ; que cette indemnité est allouée en vue de réparer intégralement le préjudice personnel, matériel et moral causé par la privation de liberté ;
Sur la réparation du préjudice matériel :
Attendu que, pour limiter à 4.573,47 euros l'indemnité allouée de ce chef, le premier président a estimé que les graves difficultés économiques éprouvées par la société exploitée par M. X..., qui ont conduit celle-ci au dépôt de bilan, n'avaient pas de lien de causalité avec la détention; qu'il a relevé que la déclaration de cessation des paiements était intervenue le 2 juin 1997, soit moins de deux mois après l'incarcération, et a considéré qu'une entreprise en bonne santé financière ne pouvait, pendant ce court laps de temps, déposer son bilan du seul fait de la détention de son dirigeant; qu'il a également estimé que M. X... était en mesure de reprendre normalement la direction de ses affaires, la poursuite de l'activité ayant été autorisée après sa remise en liberté;
Attendu que M. X... soutient que l'incarcération lui a fait perdre les sommes de :
- 226 691,69 euros correspondant, d'une part, au capital qu'il a perçu lorsqu'il a quitté son poste de directeur commercial de Mercedes-Benz et qu'il a entièrement investi dans sa société, et, d'autre part, au bénéfice de 127 599,83 euros que sa société a généré en 1996 et qu'il a également entièrement réinvesti ;
- 907 071,65 euros correspondant à la perte de son fonds de commerce;
- 2 423 704,90 euros correspondant à la perte de quatre marchés :
. FINAGRI : 1 829 388,20 euros
. Dumez Maroc : 254 355,39 euros
. WA 500 : 64 028,59 euros
. somacof Mali : 274 408,23 euros
Attendu que l'agent judiciaire du Trésor sollicite la réformation de la décision de première instance en ce qu'elle a alloué à M. X... une indemnité en réparation de la perte de ses salaires, au motif que le premier président s'est fondé, en l'absence de tout justificatif, sur ses seules déclarations; que, s'agissant des prétentions du demandeur, il estime qu'il n'est pas établi que le dépôt de bilan trouve son origine directe et exclusive dans la détention, que la seule production du bilan pour l'année 1996 ne suffit pas à démontrer la viabilité de l'entreprise, ni la réalité des investissements invoqués, pas plus que la valeur du fonds de commerce, que le lien de causalité entre l'incarcération et la perte des marchés n'est pas démontré et qu'en toute hypothèse, M. X... ne peut prétendre cumuler les méthodes alternatives de réparation ;
Attendu que l'avocat général conclut au rejet de toute réparation au titre du préjudice matériel ;
Sur la perte du fonds de commerce, des investissements et du bénéfice :
Attendu qu'il résulte des pièces du dossier que M. X... a immatriculé, le 9 mai 1995, au registre du commerce et des sociétés, une entreprise en son nom personnel ayant pour objet le courtage de produits agricoles et industriels qui a été domiciliée à son adresse personnelle; que, le 2 juin 1997, sa femme, munie d'un pouvoir, a effectué une déclaration de cessation des paiements; que, par jugement du 27 juin 1997, le tribunal de commerce de Salon-de-Provence a fixé la période d'observation à 2 mois, qu'il a prolongée, par jugements successifs, tout en autorisant la poursuite de l'activité, jusqu'au 17 juillet 1998; qu'à cette date, le tribunal a arrêté le plan de redressement présenté par M. X..., celui-ci ayant déclaré un passif de 796 848 F (121 478 euros), et a autorisé la continuation de l'activité de l'entreprise avant de prononcer, par jugement du 13 octobre 2000, la clôture des opérations de redressement judiciaire, le plan de continuation ayant été exécuté ;
Attendu que M. X... ne rapporte pas la preuve de la perte de son fonds de commerce alors qu'il est parvenu à exécuter le plan de continuation après apurement du passif et que son entreprise est encore, d'après ses propres déclarations, immatriculée au registre du commerce; que la réalité de la perte des investissements et du bénéfice alléguée ne résulte pas des seules pièces comptables qu'il produit, à savoir le bilan et le compte de résultat de l'année 1996 ;
Sur la perte des marchés:
Attendu que, s'agissant du marché Finagri, il apparaît qu'une saisie-arrêt a été exercée à l'égard de cet organisme le 21 janvier 1997, à la demande de M. X..., ce qui démontre l'existence des difficultés de paiement que rencontrait cet établissement et qui sont étrangères à l'incarcération; que si, comme il le prétend, les "pouvoirs publics" ont saisi l'occasion de sa détention pour ne pas verser les sommes dont ils étaient débiteurs, il apparaît qu'en toute hypothèse, il avait la possibilité de poursuivre le paiement de sa créance après sa remise en liberté ;
Que, concernant le marché DUMEZ Maroc, M. X... ne produit que deux factures, sans rapporter la preuve que ce client a refusé de donner suite à sa commande en raison de son incarcération ;
Que M. X... prétend que la machine WA 500, qui devait être livrée à une société tunisienne, a été volée pendant son incarcération, qu'elle a été ensuite retrouvée puis réparée mais qu'elle a dû être vendue pour seulement 50 000 F à la société Ipso-Facto; que, cependant, le jugement du tribunal de commerce de Montauban du 16 mai 2001, qu'il produit, mentionne que le premier utilisateur de cette machine a été la société Calcia Ciments français et que celle-ci l'a cédée à la société Ispo-Facto, ce qui ne correspond pas à ses affirmations ;
Que, s'agissant du marché SOMACOF, M. X... soutient, mais sans le prouver, que des concurrents auraient profité de sa détention pour s'emparer de ce marché ;
Sur la vente de la maison à vil prix:
Attendu que les époux X..., qui étaient mariés sous le régime de la séparation de biens, ont signé un compromis sur la vente de leur maison d'habitation de la Fare-les-Oliviers, dont ils étaient propriétaires en indivision, le 12 juin 1997; qu'ils ont sollicité l'autorisation du juge commissaire de vendre leur bien immobilier le 22 juillet 1997; que l'ordonnance d'autorisation a été délivrée le 14 novembre 1997 et le bien vendu le 19 décembre 1997, soit postérieurement à la remise en liberté du demandeur, pour la somme de 1 million de francs ayant permis d'apurer le passif; qu'il ne ressort d'aucune pièce que ce prix ait été sous-évalué ;
Sur les frais d'avocat:
Attendu que M. X... ne produit aucune facture attestant du paiement d'honoraires relatifs à des prestations fournies en raison de son placement en détention ;
Attendu qu'il résulte de ces développements que la décision du premier président qui a rejeté les demandes de M. X... au titre du préjudice matériel, à l'exception de celle relative à la perte de trois mois de salaires, qui correspond à la perte de la rémunération subie pendant son incarcération, doit être confirmée ;
Sur la réparation du préjudice moral:
Attendu que, pour apprécier le préjudice moral, le premier président a pris en compte la séparation d'avec l'entourage familial et social et l'impact psychologique de la détention mais non la demande de divorce, déposée postérieurement à la détention, ni l'accident de la circulation subi par l'épouse et la fille du requérant le 11 août 1997 ;
Attendu que M. X... fait valoir que son incarcération a été à l'origine du divorce que son épouse a demandé et obtenu, puis des divers problèmes relationnels et familiaux qui s'en sont suivis, que ses enfants ont beaucoup souffert de cette situation qui l'a également beaucoup affecté psychologiquement ;
Attendu que l'agent judiciaire du Trésor sollicite la réduction de la somme accordée au titre du préjudice moral, compte tenu de la brièveté de la détention; que l'avocat général conclut à la confirmation de l'évaluation du préjudice moral ;
Attendu que le jugement de divorce, prononcé le 14 juin 2000, mentionne que la requête a été présentée le 24 septembre 1999 par Mme X..., soit plus de deux ans après la décision de remise en liberté;
que le lien de causalité entre le divorce et la détention n'est pas établi; que réparation de la souffrance ressentie par les enfants ne peut être accordée dès lors que seul le préjudice personnel de l'intéressé peut être réparé sur le fondement de l'article 149 du Code de procédure pénale ;
Attendu cependant que, compte tenu de l'âge de l'intéressé au moment de son incarcération (46 ans), de la durée de la détention (88 jours), de l'absence de passé carcéral, du choc psychologique ressenti, de la séparation d'avec l'entourage familial, des souffrances morales résultant des difficultés rencontrées pas ses enfants durant cette incarcération, il convient de fixer à 11 000 l'indemnité allouée en réparation du préjudice moral ;
PAR CES MOTIFS :
ACCUEILLE partiellement le recours de M. Roland X... et statuant à nouveau ;
Lui ALLOUE la somme de 11 000 (ONZE MILLE EUROS) en réparation de son préjudice moral ;
REJETTE son recours pour le surplus;
REJETTE le recours de l'agent judiciaire du Trésor;
LAISSE les dépens à la charge du Trésor public ;
Ainsi fait, jugé et prononcé en audience publique le 2 mai 2006 par le président de la Commission nationale de réparation des détentions,
En foi de quoi la présente décision a été signée par le président, le rapporteur et le greffier présent lors des débats et du prononcé.