REJET de la demande présentée par X... Raphaël et tendant à la révision de l'arrêt de la cour d'assises des Vosges, en date du 12 mars 1997, qui, pour meurtre et vol aggravé, l'a condamné à dix-sept ans de réclusion criminelle.
LA COMMISSION DE REVISION,
Vu la demande susvisée ;
Vu les articles 622 et suivants du code de procédure pénale ;
Rappel des faits et de la procédure :
Le lundi 12 août 1991, vers 13 heures 15, était découvert, dans la forêt de Thaon-les-Vosges, le cadavre, dénudé, de Valérie Y..., née le 7 février 1971, qui présentait deux ecchymoses à la face et quarante-neuf plaies ponctiformes sur le corps et dont le cou était enserré par un torchon maintenu par un double noeud.
Le jour même, le professeur Patrice M..., expert à la cour d'appel de Colmar, procédait à un examen du corps et à un prélèvement d'humeur vitrée afin de préciser l'heure de la mort. Il déposait un rapport d'examen médico-légal, le 16 septembre 1991, et un rapport d'autopsie médico-légale, le 17 septembre 1991, aux termes desquels il concluait que le décès, imputable à une asphyxie mécanique entraînée par des manoeuvres de strangulation, pouvait "remonter à une douzaine d'heures environ en raison de l'installation incomplète de la rigidité cadavérique, à moins que cette dernière ait été rompue lors des manipulations du corps pour son transport". Le prélèvement de l'humeur vitrée, analysé à l'institut médico-légal de Strasbourg, donnait lieu à un rapport d'expertise toxicologique et biologique, déposé le 18 septembre 1991. Dans ce rapport, l'expert, après avoir mentionné que " les limites de l'intervalle de confiance sont de plus ou moins 20 heures ", indiquait, dans ses conclusions, que " le décès pourrait remonter à la soirée du 10 août 1991 aux environs de 20 heures ".
Dans le pavillon des parents de Valérie Y... dans lequel celle-ci résidait seule en leur absence, les enquêteurs notaient la disparition d'un magnétoscope et de la télécommande et relevaient des traces de sang, dans le garage, sur le sol, et dans la maison, sur la porte d'accès au sous-sol, sur les tapis du couloir et du hall d'entrée, dans le couloir devant la chambre de la victime.
L'enquête établissait que le 11 août 1991, Valérie Y... avait été raccompagnée à son domicile par son ami, Christophe Z..., à 1 heure 30, après avoir dîné avec lui dans un restaurant chinois.
Des voisins, Soued A... et Paul B..., domiciliés dans la même rue, indiquaient aux enquêteurs qu'un véhicule automobile s'était arrêté, dans la nuit du 10 au 11 août 1991, devant la maison de M. et Mme Y... avant de repartir un quart d'heure plus tard.
La soeur de Valérie Y..., Catherine C..., déclarait et confirmait lors de l'instruction que lorsqu'elle était venue au domicile de ses parents, avec son mari, Christian C..., le dimanche 11 août 1991, vers 11 heures, sa soeur était absente, le hublot du garage était cassé, le magnétoscope avait disparu et des traces de sang se trouvaient sur le sol, dans le garage et au premier étage.
Yann D..., qui connaissait Valérie Y..., a été placé en garde-à-vue en raison de contradictions existant sur son emploi du temps dans la nuit du 10 au 11 août 1991 ; il expliquait qu'il avait décidé avec Raphaël X... de dérober le magnétoscope de M. et Mme Y... pour le revendre. Après être allé chercher Raphaël X..., à son domicile, à Epinal, vers 3 heures du matin le dimanche 11 août 1991, avec son véhicule, ils avaient tous deux pénétré dans le pavillon de M. et Mme Y... en forçant la lucarne du garage. Alors qu'il s'emparait du magnétoscope, dans le salon, il avait entendu un cri de femme, à l'étage, et avait vu Raphaël X... donner une gifle à Valérie Y..., vêtue d'un slip et d'une chemisette, à genoux sur le lit face à lui. A la demande de Raphaël X..., il était parti avec son véhicule avant de revenir, " pris de remords " vers 4 heures 45 ou 5 heures. Après que Raphaël X... lui a expliqué que Valérie Y... s'était évanouie, ils avaient tous deux traîné son corps, dénudé et inerte, jusqu'à son véhicule avant de le déposer au bois de la Souche où Raphaël X... l'avait fait rouler dans un fossé. Il avait raccompagné Raphaël X... à son domicile et était rentré chez lui vers 6 heures.
Raphaël X..., également placé en garde à vue, déclarait qu'il avait eu une liaison avec Valérie Y... de la fin de l'année 1988 à la fin des vacances 1989 et qu'il l'avait revue, pour la première fois après sa sortie de prison, le 9 août 1991, lors d'une soirée. Il indiquait que Yann D... l'avait informé de son intention de voler le magnétoscope de M. et Mme Y... et l'avait mis en contact avec un ami. Il précisait qu'il n'avait pas participé au vol et qu'il ne s'était pas rendu chez Valérie Y... dans la nuit du 10 au 11 août 1991. Il précisait qu'il était resté au " Grand Café " jusqu'à 1 heure 45 avant de se rendre dans un autre café, " Le Rivoli " où on avait refusé de le servir et qu'il s'était couché à 2 heures du matin.
Pendant l'instruction, Raphaël X... et Yann D... maintenaient leur version des faits.
Claude E..., codétenu de Raphaël X..., entendu par le juge d'instruction à sa demande puis par la chambre d'accusation, déclarait que celui-ci lui avait confié qu'il avait tué " la fille ", qui ne voulait plus sortir avec lui, après l'avoir frappée, pendant l'absence de son ami, à qui il avait dit de partir. Lorsque celui-ci était revenu, il l'avait obligé à transporter le corps, dénudé.
Par arrêt du 25 janvier 1996, la chambre d'accusation a ordonné le renvoi, devant la cour d'assises des Vosges de :
- Raphaël X... et Yann D... pour avoir, dans la soirée du 10 au 11 août 1991, à Chavelot (Vosges), volé avec effraction un magnétoscope et sa télécommande aux époux Y... ;
- Raphaël X..., pour avoir tué Valérie Y... ;
- Yann D..., pour s'être abstenu de porter assistance à Valérie Y... et avoir recélé son cadavre.
Par arrêt du 14 mars 1997, la cour d'assises des Vosges les a déclaré coupables des faits pour lesquels ils avaient été renvoyés, à l'exception du délit de non-assistance à personne en danger pour lequel Yann D... a été acquitté. La cour a condamné Raphaël X... à dix-sept ans de réclusion et Yann D..., à deux ans d'emprisonnement.
La requête :
Raphaël X... a déposé, le 8 avril 2005, par l'intermédiaire d'un avocat, une requête en révision.
A l'appui de sa demande, Raphaël X..., se fondant principalement sur la contradiction entre l'évaluation médico-légale du 12 août 1991 et les résultats de l'analyse de l'humeur vitrée du 18 septembre 1991, produit un courrier adressé le 31 mars 2005 à son avocate par le professeur M..., dans lequel l'expert écrit :
" Si l'on m'avait expliqué la teneur réelle de l'enjeu de l'estimation de l'heure du décès, j'aurais sans nul doute récusé la possibilité de la survenue du décès dans la nuit du samedi 10 au dimanche 11 août 1991 et certainement confirmé les résultats de mes investigations médico-légales initiales à savoir que le décès était survenu durant la première moitié de la journée du 12 août 1991 ".
Raphaël X... produit également une réponse du professeur Bertrand L..., exerçant à l'institut médico-légal de Strasbourg, à une lettre de son avocate datée du 23 décembre 2004, dans laquelle il écrit que la technique de l'humeur vitrée est aujourd'hui utilisée avec les plus extrêmes réserves pour approcher le délai post-mortem, dans la mesure où son prélèvement et sa conservation doivent être réalisés dans des conditions strictes, où l'intervalle de confiance est de plus ou moins 4 à plus ou moins 12 heures (dans les premières 24 heures post-mortem) et de plus ou moins 9,5 à plus ou moins 40 heures (après les 100 premières heures post-mortem) et où les résultats sont faussés en cas de traumatisme facial, crânien ou crânio-facial en raison d'une élévation de la concentration de potassium de l'humeur vitrée.
Pour établir qu'il n'a pas pu participer aux faits, le requérant verse aux débats une attestation d'un agent de sécurité du bar " Le Rivoli ", Jean-Paul F..., non datée, dans laquelle celui-ci indique que, contrairement à ce qu'il avait déclaré pendant l'enquête, il avait travaillé à la porte du bar " Le Rivoli ", du 7 juillet au 31 août 1991, qu'il était présent dans cet établissement les vendredi et samedi soirs de 10 heures à 2 heures du matin, heure de fermeture et que la fille des gérants du bar avait pu refuser l'entrée de l'établissement à Raphaël X... ainsi qu'il l'avait déclaré. Il produit également une attestation de sa soeur, Evelyne X... épouse G..., non datée, adressée par fax le 21 novembre 2005, indiquant que son frère " est rentré le dimanche soir 11 août 1991 et a bien dormi chez elle ".
Raphaël X... fait également valoir que les témoignages de Yann D..., qui aurait donné des versions différentes des faits et qui aurait menacé, avec un pistolet M. et Mme H... (courrier adressé par ce couple, le 18 août 1999 à l'avocate de Raphaël X...) et de Claude E..., codétenu, qui se serait vanté, pendant la période mars-avril 1993, " d'attendre une belle somme d'argent " (attestation au nom d'Alain I..., non datée) ne seraient pas probants.
Par ailleurs, selon un rapport d'un détective privé, Pascal J..., établi le 23 septembre 2002, à la demande de Mme Ida K..., la concubine de Raphaël X..., le meurtre de Valérie Y... aurait pu avoir été commis par " un individu ayant des connaissances en médecine parallèle " (en raison des lésions retrouvées sur le corps de la victime) ou avoir été commis par une dénommée Soued A... mise en cause indirectement par un témoin préférant garder l'anonymat ou avoir un lien avec d'autres disparitions non élucidées, dans les Vosges, entre mai 1978 et octobre 1983.
L'avocat de M. et Mme Jean Y... et de Mme Catherine C..., parents et soeur de la victime, ont déposé, le 13 mars 2006, un mémoire faisant valoir, notamment, que la question de l'heure de la mort avait été débattue dans les mêmes termes devant la cour d'assises.
La commission de révision a effectué différentes investigations.
La commission a procédé, le 12 décembre 2005, à l'audition du professeur Patrice M..., qui a notamment déclaré : " En ce qui me concerne, je persiste à penser que le décès était récent, comme indiqué dans mon rapport d'examen médico-légal ; j'avais considéré qu'il devait remonter au lundi matin. J'ai été convoqué devant la cour d'assises, en mars 1997... " ; " je me souviens, que, sur place, il y avait Me L... qui m'avait interrogé sur la question du dosage de l'humeur vitrée. J'ai répondu, comme je l'avais dit dans mon rapport, que le résultat de cette analyse était très aléatoire et j'ai rappelé qu'il y avait un intervalle de confiance de plus ou moins 20 heures... " ; " ... je me suis dit qu'il n'était pas possible que le juge ait pu fonder toute son argumentation quant à l'heure de la mort sur ce résultat concernant le dosage du potassium dans l'humeur vitrée. Je rappelle les réserves que j'avais émises dans mon rapport concernant ce dosage et que j'ai confirmées lors de mon audition devant la cour d'assises ".
Le 6 avril 2006, la commission a entendu Yann D..., qui a confirmé ses déclarations antérieures sur les circonstances et la date des faits.
Le 15 février 2006, elle a ordonné une expertise afin de préciser, compte tenu des pièces du dossier :
- la date et l'heure du décès de la victime,
- si la date retenue par l'accusation est compatible ou incompatible avec les constatations médico-légales,
- si la mort a pu être instantanée à la suite des blessures que la victime a subies et, dans le cas contraire, l'intervalle de temps ayant pu s'écouler entre l'agression et la mort.
Les deux experts commis, le professeur Dominique L... et le docteur Walter V..., ont conclu dans leur rapport, déposé le 21 avril 2006, que :
- ils estimaient l'heure du décès de Valérie Y... le dimanche 11 août entre 2 heures et 6 heures du matin ;
- la seule lésion mortelle était la strangulation au lien mou ;
- pour tuer quelqu'un par asphyxie par strangulation au lien, il fallait, compte tenu de l'âge de la victime, un délai d'environ 10 minutes.
La décision :
Attendu que les faits nouveaux ou éléments inconnus de la cour d'assises de nature à faire naître un doute sur la culpabilité du requérant invoqués comme tels par le requérant au soutien de sa demande en révision sont :
- le caractère contestable des témoignages de Yann D... et Claude E... ;
- l'existence d'un alibi pour Raphaël X... et de soupçons à l'encontre d'autres personnes (attestation de Jean-Paul F..., d'Evelyne G... et rapport du détective privé) ;
- la fixation de la nuit du 11 au 12 août 1991 comme date du décès de la victime au lieu de celle du 10 au 11 août 1991 ;
1° Sur le caractère contestable des témoignages de Yann D... et Claude E... :
Attendu que les témoignages de Yann D..., coaccusé, et de Claude E..., codétenu de Raphaël X..., étaient connus de la cour d'assises, qui a condamné le premier pour recel de cadavre, au vu de ses différentes auditions, et devant laquelle n'a pas comparu le second, dont la crédibilité avait été étudiée par la chambre d'accusation dans son arrêt de renvoi ; que, par ailleurs, l'attestation d'Alain I..., a déjà été produite à l'appui d'une première requête en révision, présentée par Raphaël X... et qui a été rejetée le 17 mai 1999, au motif qu'elle n'était pas de nature à jeter un doute sur la culpabilité du requérant ;
2° Sur les attestations de Jean-Paul F... et d'Evelyne G... et sur le rapport du détective privé :
Attendu que l'attestation de Jean-Paul F..., agent de sécurité au bar " Le Rivoli ", établit que les employés du café Le Rivoli ont pu refuser de servir Raphaël X..., vers 1 heure 45 un vendredi ou un samedi soir, et que celui-ci a pu dire la vérité sur ce point ; qu'elle ne peut constituer un alibi, les faits s'étant déroulés après 2 heures du matin ;
Attendu que l'attestation d'Evelyne G..., soeur de Raphaël X..., qui n'est pas datée et qui avait été entendue à plusieurs reprises dans le cadre de la procédure, ne saurait constituer un possible alibi que dans la mesure où les faits auraient eu lieu le lundi 12 août ;
Attendu qu'enfin, le rapport du détective privé, qui fait état d'autres disparitions dans les Vosges et du témoignage d'une personne préférant garder l'anonymat mettant en cause, indirectement, une dénommée Soued A..., ne contient pas des éléments précis, vérifiables et circonstanciés susceptibles de remettre en cause la condamnation prononcée ;
3° Sur la fixation de la nuit du 11 au 12 août 1991 comme date du décès de la victime au lieu de celle du 10 au 11 août 1991 :
Attendu que les expertises judiciaires sont soumises à la discussion des parties pendant la procédure d'instruction ainsi que pendant les débats devant la cour d'assises ; que les parties ont le droit de demander des contre-expertises ou des expertises complémentaires ainsi que des avis privés et de les transmettre tant au magistrat instructeur qu'à la cour d'assises ;
Attendu qu'en l'espèce, les rapports d'expertise judiciaire (examen et autopsie médico-légaux, d'une part et expertise toxicologique et biologique comportant l'analyse du potassium dans l'humeur vitrée, d'autre part) établis par le professeur Mangin ont été soumis aux parties, qui ont été en mesure de constater les contradictions existant entre leurs conclusions sur la date du décès de la victime, de présenter leurs observations et de faire les demandes d'actes qu'elles estimaient nécessaires ; qu'il résulte, par ailleurs, d'une photocopie d'un article de presse produite par les parties civiles (Est Républicain - 14 mars 1997) intitulé " L'énigme de la date de la mort de Valérie. Une surprenante imprécision demeure : le médecin légiste date la mort de Valérie 24 heures après les faits ... ", que cette question a été débattue devant la cour d'assises, le jour du témoignage du professeur M... ;
Attendu, par ailleurs, que dans son rapport d'examen médico-légal, le professeur M..., qui conclut que le décès de la victime est survenu une douzaine d'heures avant la découverte du corps, précise, toutefois, que le transport du corps peut interrompre le processus de rigidité et donc le retarder ; que la date de la mort résultant de ces conclusions (première moitié du lundi 12 août) n'est donc pas indiscutable ;
Attendu en outre, que les experts commis par la commission ont conclu que le décès avait eu lieu le dimanche 11 août entre 2 heures et 6 heures du matin, en prenant en compte les différents critères classiques de médecine légale (lividités, rigidité, aspect des yeux, présence de larves) ainsi que le contenu gastrique identifié à l'autopsie, qui n'est pas modifié depuis la mort ; que le bol alimentaire, constitué de restes de nourriture asiatique, est compatible avec un décès de la victime survenu quelques heures après son dîner au restaurant chinois, avec son ami, dans la nuit du 10 au 11 août 1991 ;
Attendu, enfin, que la soeur de Valérie Y... a déclaré pendant l'enquête et l'instruction que le dimanche 11 août 1991, vers 11 heures, le hublot du garage du domicile de ses parents était cassé, qu'il y avait des traces de sang et que le magnétoscope avait disparu ; que la commission des faits durant la nuit du 10 au 11 août 1991 est également corroborée par le témoignage de voisins, Soued A... et Paul B..., qui ont indiqué qu'ils avaient entendu un véhicule automobile s'arrêter devant la maison de M. et Mme Y..., avant de repartir, durant cette nuit ;
Attendu que les documents produits par Raphaël X... n'établissent donc pas que la mort de la victime a eu lieu dans la nuit du 11 au 12 août 1991 alors que l'expertise ordonnée par la commission et les témoignages précités permettent de confirmer la date des faits retenue par l'accusation, à savoir la nuit du 10 au 11 août 1991 ;
Attendu qu'il résulte de ce qui précède que certains des éléments de fait invoqués à l'appui de la demande en révision ne sont pas nouveaux, ayant été connus lors des débats devant la cour d'assises et que ceux qui pourraient être tenus pour nouveaux ne sont pas de nature à faire naître un doute sur la culpabilité du condamné ;
Par ces motifs :
REJETTE la demande présentée par Raphaël X... ;
DIT n'y avoir lieu à saisine de la cour de révision.