AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, TROISIEME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur les trois moyens réunis :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Versailles, 5 avril 2004), qu'en 1998, M. X... a obtenu un permis de construire un immeuble collectif sur une parcelle située dans une zone d'aménagement concerté (ZAC) ; que ce permis a été transféré à la société civile immobilière Armand Silvestre construction (la SCI) qui a procédé à l'édification de l'immeuble ; qu'en 2001, les époux Y...
Z..., propriétaires d'un appartement dans un immeuble voisin, soutenant que le permis de construire délivré à la SCI ne respectait pas les règles d'urbanisme, ont, sur le fondement des articles L. 480-13 du code de l'urbanisme et 1143 du code civil, assigné M. X... et la SCI devant le tribunal de grande instance afin, d'une part, qu'il soit sursis à statuer et que les parties soient invitées à saisir la juridiction administrative à titre préjudiciel de la légalité du permis de construire, d'autre part, que M. X... et la SCI soient condamnés solidairement à la démolition de la construction édifiée ainsi qu'au paiement de dommages-intérêts ;
Attendu que la SCI et M. X... font grief à l'arrêt de surseoir à statuer et de renvoyer les parties à se pourvoir devant la juridiction administrative afin que celle-ci se prononce sur la légalité du permis de construire au regard des dispositions des articles R. 123-21 1 b) du Code de l'urbanisme, ZA.8 du règlement d'aménagement de zone (RAZ) et R. 421-2 6 et 7 du code de l'urbanisme, alors, selon le moyen :
1 / que lorsque le juge civil se trouve saisi d'une action en démolition fondée sur l'article L. 480-13 du code de l'urbanisme, il doit rechercher si la construction litigieuse a été édifiée en violation d'une règle d'urbanisme ; que lorsqu'il est soutenu que le plan d'occupation des sols, ou le document d'urbanisme en tenant lieu, serait illégal, il lui appartient alors d'examiner si le permis de construire a été accordé à la faveur de la (ou des) disposition(s) prétendument illégale(s), seule circonstance susceptible de conduire le juge administratif à déclarer illégal ledit permis ;
qu'en l'espèce, en s'abstenant de rechercher si le permis du 23 décembre 1998 avait été délivré à la faveur d'une ou plusieurs dispositions du RAZ qui seraient illégales, avant d'inviter les parties à saisir le juge administratif de la question préjudicielle de la légalité du RAZ par rapport à l'article R. 123-21 de l'ancien code de l'urbanisme, la cour d'appel a violé les articles L. 480-13 du code de l'urbanisme et 1382 du code civil, ainsi que les principes susvisés ;
2 / que le juge civil saisi d'une demande de démolition ne peut surseoir à statuer et inviter les parties à saisir le juge administratif de la question préjudicielle de la légalité d'un permis de construire que dans la mesure où les préjudices causés sont en relation directe avec les règles d'urbanisme dont la violation est alléguée ; qu'en jugeant que la prétendue illégalité du RAZ au regard de l'article R. 123-21 du code de l'urbanisme, du fait de "l'absence de réglementation relative à l'implantation des constructions par rapport aux limites séparatives et autres constructions", serait directement à l'origine du préjudice de vue et de perte d'intimité invoqués par les requérants, alors que précisément cette absence de réglementation ne permettait pas de connaître la règle qui aurait dû être appliquée en l'espèce, la cour d'appel a violé les articles L. 480-13 du code de l'urbanisme et 1382 du code civil ;
3 / qu'aucun texte législatif ou réglementaire n'impose aux plans d'occupation des sols -ou aux documents d'urbanisme en tenant lieu- de prévoir des règles relatives à l'implantation des constructions les unes par rapport aux autres lorsqu'elles sont situées sur des propriétés différentes, qu'aucun texte ne fixe d'ailleurs de distance minimale lorsque celle-ci est réglementée par le plan d'occupation des sols, de sorte qu'en jugeant encore qu'il existait un lien de causalité entre la prétendue illégalité du RAZ et le préjudice allégué de "perte de luminosité", dans la mesure où si l'article ZA.8 avait été conforme à l'article R. 123-21 du code de l'urbanisme, la distance séparant les deux immeubles "aurait été portée à la hauteur de la façade la plus élevée si les deux façades ou la façade la plus basse comportent des pièces de séjour, de sommeil ou de travail", la cour d'appel a violé les articles L. 480-13 et R. 123-21 du code de l'urbanisme et 1382 du Code civil ;
4 / qu'il ressort des mentions de l'arrêt attaqué que si les époux Y...
Z... prétendaient que le permis de construire serait contraire aux articles R. 421-2, R. 123-21 du code de l'urbanisme, ZA.6 et ZA.13 du RAZ, ils n'ont en revanche jamais soutenu que ledit permis méconnaîtrait les dispositions de l'article ZA.8, de sorte qu'en relevant que le permis paraissait contraire à ces dispositions et en invitant les parties à saisir le tribunal administratif de la question préjudicielle de la légalité du permis au regard de ce texte, la cour d'appel, qui a statué ultra petita, a violé les articles 4 et 5 du nouveau code de procédure civile ;
5 / qu'il est de principe que le juge civil, saisi d'une demande de démolition sur le fondement des articles L. 480-13 du code de l'urbanisme et 1382 du code civil, ne peut faire droit à cette demande lorsqu'une modification ultérieure des règles d'urbanisme a rendu régulière la construction litigieuse ; qu'en refusant d'examiner si le règlement d'aménagement de la ZAC et, par voie de conséquence, le permis de construire du 23 décembre 1998, étaient devenus conformes à l'article R. 123-21 du code de l'urbanisme, à la suite de la modification du RAZ au mois de mars 2001, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
6 / qu'en application des dispositions de l'article L. 480-13 du code de l'urbanisme, seule la méconnaissance "des règles d'urbanisme ou des servitudes d'utilité publique" peut servir de fondement à une action en démolition d'une construction édifiée conformément à un permis de construire ; qu'au nombre des "règles d'urbanisme" visées par ce texte figurent les règles dites de fond, à l'exception des règles d'ordre procédural ; d'où il suit qu'en jugeant qu'une prétendue méconnaissance de l'article R. 421-2. A du code de l'urbanisme, qui ne concerne que les modalités de présentation de la demande de permis, pourrait servir de fondement à une action en démolition, la cour d'appel a violé les articles L. 480-13, R. 421-2 du code de l'urbanisme et 1382 du code civil ;
7 / qu'en tout état de cause, le juge civil, saisi d'une demande de démolition, ne peut surseoir à statuer et inviter les parties à saisir le juge administratif de la question préjudicielle de la légalité d'un permis de construire que dans la mesure où les préjudices causés sont en relation directe avec les règles d'urbanisme dont la violation est alléguée ; qu'en jugeant que la prétendue violation de l'article R. 421-2. A du code de l'urbanisme serait la cause directe des préjudices allégués de vue, de perte d'intimité et de perte de luminosité, alors que ce texte ne contient aucune prescription de fond relative à l'implantation des constructions nouvelles, de sorte que sa méconnaissance et/ou son respect demeurent sans incidence sur l'implantation de l'immeuble litigieux, la cour d'appel a violé les articles 1382 du code civil et L. 480-13 du code de l'urbanisme ;
Mais attendu qu'ayant relevé que le règlement d'aménagement de zone de la ZAC ne prévoyait, en son article ZA.8, les distances d'implantation des constructions qu'à l'intérieur d'une même propriété alors que l'article R. 123-21 1 , b) du Code de l'urbanisme précise que ce règlement doit fixer les dispositions applicables à ces distances d'implantation par rapport aux voies, aux limites et autres constructions à l'intérieur de la zone, et retenu que si l'article ZA.8 avait été conforme aux prescriptions du Code de l'urbanisme, la distance minimale de 8 mètres entre deux immeubles situés dans deux propriétés voisines aurait été portée à la hauteur de la façade la plus élevée soit 21 mètres au moins et que les dispositions de l'article R. 421-2. A du code de l'urbanisme, qui apparaissaient ne pas avoir été respectées, auraient permis à l'autorité compétente de se rendre compte des inconvénients de la mauvaise insertion du projet de construction dans son environnement eu égard au décrochement de la façade arrière par rapport à l'immeuble habité par les demandeurs à l'action en responsabilité, la cour d'appel, qui n'a ni modifié l'objet du litige, ni refusé d'examiner si le permis de construire était devenu conforme à l'article R. 123-21 du code de l'urbanisme à la suite de la modification du RAZ, a pu en déduire que les préjudices de vue, de perte d'intimité et de perte de luminosité invoqués résultaient directement de la violation alléguée des articles R. 123-21 du code de l'urbanisme, ZA.8 du RAZ et R. 421-2. A du code de l'urbanisme ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la SCI Armand Silvestre construction et M. X... aux dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejette la demande de la SCI Armand Silvestre construction et de M. X... ;
les condamne à payer aux époux Y...
Z... la somme de 1000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du treize septembre deux mille six.