COUR DE CASSATION
06CRD073
Audience publique du 21 mai 2007 Prononcé au 18 juin 2007
La commission nationale de réparation des détentions instituée par l'article 149-3 du code de procédure pénale, composée lors des débats de M. Gueudet, président, Mme Nési, Mme Gorce, conseillers référendaires, en présence de M. Charpenel, avocat général et avec l'assistance de Mme Bureau, greffier, a rendu la décision suivante :
INFIRMATION PARTIELLE ET REJET du recours formé par M. Jean-Jacques X..., contre la décision du premier président de la cour d'appel d'Angers en date du 18 octobre 2006 qui a déclaré sa requête irrecevable ;
Les débats ayant eu lieu en audience publique le 21 mai 2007 le demandeur et son avocat ne s'y étant pas opposé ;
Vu les dossiers de la procédure de réparation et de la procédure pénale ;
Vu les conclusions de Me Descamps, avocat au Barreau d'Angers représentant M. X... ;
Vu les conclusions de l'agent judiciaire du Trésor ;
Vu les conclusions de M. le procureur général près la Cour de cassation ;
Vu les conclusions en réponse de Me Descamps ;
Vu la notification de la date de l'audience, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, au demandeur, à son avocat, à l'agent judiciaire du Trésor et à son avocat, un mois avant l'audience ;
Sur le rapport de Mme le conseiller Nési, les observations de Me Descamps, avocat assistant M. X..., celles de M. X... comparant et de Me Couturier-Heller, avocat représentant l'agent judiciaire du Trésor, les conclusions de M. l'avocat général Charpenel, le demandeur ayant eu la parole en dernier ;
Après en avoir délibéré conformément à la loi, la décision étant rendue en audience publique ;
LA COMMISSION NATIONALE DE REPARATION DES DETENTIONS,
Attendu que, par décision du 18 octobre 2006, le premier président de la cour d'appel d'Angers a déclaré irrecevable la requête présentée par M. X... pour obtenir la réparation de son préjudice moral et matériel à raison d'une détention provisoire de deux ans, neuf mois et dix-neuf jours, effectuée du 9 octobre 2002 au 27 juillet 2005 pour des faits qui ont donné lieu à un acquittement partiel ;
Attendu que M. X... a régulièrement formé un recours contre cette décision, et réitéré ses demandes initiales en paiement des sommes de 20 000 euros au titre de son préjudice moral, 50 000 euros au titre de son préjudice matériel, outre 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;
Attendu que, selon l'article 149 du code de procédure pénale, la personne qui a fait l'objet d'une détention provisoire au cours d'une procédure terminée à son égard par une décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement devenue définitive a droit, à sa demande, à la réparation intégrale du préjudice moral et matériel que lui a causé cette détention ;
Attendu qu'il ressort des pièces du dossier pénal que M. X... a été mis en examen, placé puis maintenu en détention provisoire des chefs de viols, d'agressions sexuelles et de corruption de mineurs de 15 ans ;
Que, par arrêt de la cour d'assises du Maine-et-Loire du 27 juillet 2005 devenu définitif, il a été acquitté des faits de viols et d'agressions sexuelles sur mineurs de 15 ans mais condamné à deux ans d'emprisonnement du chef de corruption de mineurs de 15 ans ;
Attendu que pour déclarer la requête de M. X... irrecevable, le premier président a retenu que l'intéressé avait été détenu provisoirement non seulement pour les faits pour lesquels il avait été acquitté, mais aussi pour ceux ayant donné lieu à une condamnation à deux ans d'emprisonnement, et que la détention provisoire effectuée n'excédait pas la peine de cinq ans encourue ;
Attendu cependant que lorsqu'un demandeur, placé en détention provisoire du chef de plusieurs infractions, ne bénéficie d'une décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement que pour certaines d'entre elles, la compatibilité entre les infractions dont il a été déclaré coupable et la détention provisoire subie s'apprécie en prenant en compte non la durée maximale de la peine encourue, mais la durée maximale de la détention provisoire que la loi autorise pour les infractions retenues ;
Attendu que M. X... fait observer que la détention provisoire ne pouvant, selon l'article 145-1 du code de procédure pénale, excéder un an pour le délit pour lequel il a été condamné, il est fondé à demander l'indemnisation pour le surplus, puisqu'il aurait pu bénéficier, compte tenu de son âge et des dispositions législatives en vigueur, d'un aménagement pour le reste de la peine à effectuer ;
Attendu que, pour conclure au rejet du recours et à l'irrecevabilité de la requête, l'agent judiciaire du Trésor considère que la peine prononcée s'impute sur la détention provisoire, dès lors que, s'il n'avait pas été détenu, M. X... aurait néanmoins dû purger cette peine, et qu'il ne faut donc raisonner que sur le surplus de la détention provisoire effectuée, soit neuf mois et dix-neuf jours, laquelle est compatible avec la détention provisoire permise par la loi ;
Attendu que l'avocat général estime au contraire que le recours est recevable et que la période de détention provisoire supérieure à une année est injustifiée dans sa totalité, peu important la durée de la peine définitive prononcée ;
Attendu que le délit de corruption de mineurs, expressément visé au mandat de dépôt, dont M. X... a été reconnu coupable, est susceptible à lui seul de fonder la mesure de détention provisoire, mais seulement à concurrence d'une période d'un an, en application de l'article 145-1 du code de procédure pénale ; que dès lors c'est à juste titre que l'avocat général soutient que la totalité de la période excédant la durée de la détention provisoire autorisée est susceptible d'être indemnisée ;
Attendu que l'incarcération pendant une année supplémentaire, si elle ne pouvait être autorisée au titre de la détention provisoire, correspond à l'exécution du reliquat de la peine d'emprisonnement prononcée à titre définitif pour ce délit, après déduction intégrale de la détention provisoire en application de l'article 716-4 du code de procédure pénale ; que M. X... ne peut donc utilement prétendre avoir subi un préjudice résultant d'une période pendant laquelle il devait être incarcéré en exécution de la peine d'emprisonnement prononcée ; qu'en tout cas il ne justifie d'aucun préjudice particulier résultant de cette situation ;
Sur le préjudice matériel :
Attendu que, reprenant les éléments de sa requête initiale, qui ne visait d'ailleurs que " les dix mois injustifiés au-delà des deux ans ", M. X... indique qu'il a fait l'objet, pendant cette période d'incarcération, de procédures d'ouverture de rétablissement personnel et de liquidation de son patrimoine, son épouse, victime d'une maladie de Parkinson, étant incapable de gérer ses biens ;
Mais attendu que, outre l'absence de précision sur le montant du préjudice, l'intéressé ne fournit aucun élément permettant de rattacher celui-ci exclusivement et directement à la période de détention injustifiée qu'il a subie ;
Que, en conséquence, son recours ne peut qu'être rejeté ;
Sur le préjudice moral :
Attendu que l'intéressé invoque également un préjudice moral limité à la période allant du 9 octobre 2004 au 27 juillet 2005, au cours de laquelle son état de santé se serait dégradé, nécessitant son hospitalisation d'urgence pour une adénomectomie, et responsable d'une perte d'autonomie à sa sortie de détention ; qu'il souligne également les conditions humaines pénibles et dégradantes d'un procès très médiatisé pour lequel il a dû comparaître détenu et le préjudice moral que lui a causé le fait d'être placé sous un mandat de dépôt criminel ;
Mais attendu qu'aucune des pièces du dossier ne permet d'établir que l'altération de l'état de santé de M. X... soit dû à son placement et à son maintien en détention ; que si le certificat du docteur Z... atteste d'un " passé difficile en détention nécessitant une reconstruction psychologique ", et s'il convient de prendre en compte le facteur d'aggravation du préjudice moral qu'a pu constituer la gravité des faits et la nature de la peine encourue, il n'en demeure pas moins que le choc carcéral d'une première incarcération et la séparation d'avec l'univers familial ont été en grande partie justifiés par les faits de corruption de mineurs dont l'intéressé a été reconnu coupable ;
Attendu qu'en revanche la durée supplémentaire de détention subie par M. X... pour ces mêmes faits, soit neuf mois et dix-neuf jours, lui ayant causé un préjudice, doit être réparée ;
Qu'eu égard à l'ensemble de ces éléments ainsi qu'à la durée de la détention injustifiée et à l'âge de M. X... lors de son incarcération (70 ans) l'indemnité constituant l'entière réparation de son préjudice moral doit être fixée à la somme de 13 000 euros ;
Sur l'article 700 du nouveau code de procédure civile :
Attendu que l'équité commande d'allouer à M. X... une indemnité de 1 500 euros à ce titre ;
Par ces motifs :
ACCUEILLE partiellement le recours de M. Jean-Jacques X... et statuant à nouveau ;
DECLARE sa requête en réparation recevable ;
Lui ALLOUE la somme de 13 000 euros (treize mille euros) en réparation de son préjudice moral ;
REJETTE sa demande au titre du préjudice matériel ;
Lui ALLOUE la somme de 1 500 EUROS (MILLE CINQ CENTS EUROS) sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;
LAISSE les dépens à la charge du Trésor public ;
Ainsi fait, jugé et prononcé en audience publique le 18 juin 2007 par le président de la commission nationale de réparation des détentions ;
En foi de quoi la présente décision a été signée par le président, le rapporteur et le greffier présent lors des débats et du prononcé.
Le président Le rapporteur M. Gueudet Mme Nési Le greffier Mme Bureau