COUR DE CASSATION
07 CRD 035
Audience publique du 1er octobre 2007 Prononcé au 5 novembre 2007
La commission nationale de réparation des détentions instituée par l’article 149-3 du code de procédure pénale, composée lors des débats de M. Gueudet, président, M. Breillat, conseiller, Mme Gorce, conseiller référendaire, en présence de M. Charpenel, avocat général et avec l’assistance de Mme Bureau, greffier, a rendu la décision suivante :
Statuant sur le recours formé par :
- Monsieur Haitham X...,
contre la décision du premier président de la cour d'appel de Reims en date du 30 janvier 2007 qui lui a alloué une indemnité de 16 520 euros en réparation de son préjudice matériel et une indemnité de 3 000 euros sur le fondement de l’article 149 du code précité ;
Les débats ayant eu lieu en audience publique le 1er octobre 2007, le demandeur ne s’y étant pas opposé ;
Vu les dossiers de la procédure de réparation et de la procédure pénale ;
Vu les conclusions de M. X... ;
Vu les conclusions de l’agent judiciaire du Trésor ;
Vu les conclusions de M. le procureur général près la Cour de cassation ;
Vu la notification de la date de l’audience, par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, au demandeur, à l’agent judiciaire du Trésor et à son avocat, un mois avant l’audience ;
Monsieur X... comparaît personnellement.
Sur le rapport de M. le conseiller Breillat, les observations de M. X... comparant et de Me Couturier-Heller, avocat représentant l’agent judiciaire du Trésor, les conclusions de M. l’avocat général Charpenel, le demandeur ayant eu la parole en dernier ;
Après en avoir délibéré conformément à la loi, la décision étant rendue en audience publique ;
LA COMMISSION,
Attendu que par décision du 30 janvier 2007, le premier président de la cour d’appel de Reims, saisi par M. X... d’une requête en réparation à raison d’une détention effectuée du 30 avril au 6 juillet 1998, lui a alloué les sommes de 3 000 euros en réparation de son préjudice moral, et 16 520 euros au titre du préjudice matériel incluant celle de 2 000 euros au titre des frais d’avocat ;
Attendu que M. X..., réitérant ses prétentions initiales, a régulièrement formé un recours contre cette décision ;
Que l’agent judiciaire du Trésor conclut à la confirmation de la décision déférée, et le procureur général à sa réformation quant à l’évaluation du préjudice moral ;
Vu les articles 149 et 150 du code de procédure pénale ;
Attendu qu’une indemnité est accordée, à sa demande, à la personne ayant fait l’objet d’une détention provisoire terminée à son égard par une décision de non lieu, de relaxe ou d’acquittement devenue définitive; que cette indemnité répare intégralement le préjudice personnel , moral et matériel directement lié à la privation de liberté ;
Attendu que la présente instance n’a pas pour objet la réparation du dommage causé par le fonctionnement défectueux du service de la justice en cas de faute lourde, qui est prévue par l‘ article L 141-1 du code de l’organisation judiciaire et qui relève de la compétence du tribunal de grande instance, mais de réparer le seul préjudice causé par la détention; que dès lors toute l’argumentation du requérant sur les conséquences d’un dysfonctionnement de la justice doit être écartée ;
Sur le préjudice matériel:
Attendu que M. X..., sollicite de ce chef l’allocation de 115 119 euros dont :
. 46 501 euros au titre de la perte de salaires pendant et après la détention ;
. 2 112 euros au titre de la perte de congés payés ;
. 1 000 euros au titre des frais exposés pour l’obtention d’un examen universitaire qu’il n’a pu passer ;
. 50 000 euros au titre d’une perte de chance de carrière ;
. 13 594 euros au titre des frais d’avocat ;
. 1.933,28 euros au titre de frais d’expertise ;
. 988 euros au titre des loyers ;
Qu’il fait valoir, notamment, dans ses conclusions auxquelles il est fait expressément référence pour l’exposé complet de ses prétentions, qu' il travaillait en qualité d'attaché associé en chirurgie à l'hôpital de Vitry-le-François; qu’à la suite de son incarcération, cet hôpital a mis fin à son contrat en indiquant à tort que cette décision était intervenue d'un commun accord entre les parties; qu’iI l’a alors contestée devant la juridiction administrative qui l'a annulée par jugement du 8 décembre 1998, confirmé par la cour administrative d'appel de Nancy le 22 mars 2004; que faute d'avoir été licencié, il n'a pas été indemnisé par l'Assedic, ne percevant qu'une allocation unique dégressive et le revenu minimum d’insertion ;
Qu’il soutient qu'il a été contraint de changer de lieu de travail et d'accepter une diminution de son salaire pour pouvoir retrouver un emploi, dans un premier temps au Centre Hospitalier de Moulins, de novembre 1998 à octobre 1999 puis à l'hôpital Guy Thomas à Riom, où il a perdu son emploi en novembre 2002 quand le directeur de l'hôpital a eu connaissance de l'instruction pénale ouverte à son encontre ;
Mais attendu que, pour être indemnisé dans le cadre de la présente procédure, le préjudice doit être en relation directe et exclusive avec la détention; que le premier président a fait une exacte application des principes régissant la réparation du préjudice économique causé par la détention en tenant compte, outre du temps d'incarcération, de celui nécessaire à M. X... pour retrouver un emploi, pour lui allouer une indemnité de 14 520 euros au titre de la période du 30 avril 1998 au 15 octobre 1998 ;
Que M. X..., qui a ensuite retrouvé du travail, ne démontre pas que les conditions moins favorables de sa carrière et de sa rémunération aient un lien de lien de causalité direct et exclusif avec la détention; qu’il en est de même de l'absence de renouvellement de son contrat de travail par l'hôpital de Riom, liée à la nature des faits, objets de la poursuite, et non à la détention de l'intéressé; que M. X..., qui a été indemnisé de la perte de ses revenus pendant l’incarcération et la période d’attente d’un emploi ne justifie pas, de façon distincte, de la perte d’une somme au titre des congés payés ;
Attendu que les frais d'expertise dont il sollicite le remboursement, correspondent à des diligences ayant pour objet d'établir son innocence et ne sont pas non plus directement liés à la détention; que par ailleurs l'indemnité qui répare la perte de salaires étant de nature à remettre M. X... dans la situation où il se serait trouvé s'il n'avait pas été incarcéré, celui-ci ne peut cumulativement prétendre à une indemnité correspondant au montant des loyers dont il aurait dû s'acquitter s'il n'avait pas été incarcéré; qu’enfin échappe aux prévisions de l'article 149 du code de procédure pénale la réparation des préjudices allégués résultant du contrôle judiciaire ;
Attendu cependant que les frais d’inscription à l’examen universitaire de chirurgie hépato-biliaire dont le requérant n’a pu, en raison de sa détention, passer les épreuves, doivent lui être remboursés à hauteur de 400 euros; que par ailleurs, au vu des pièces produites, l’indemnité allouée en première instance et destinée à couvrir les frais des prestations d’avocat directement liées à la privation de liberté doit être élevée à 10 000 euros ;
Sur le préjudice moral :
Attendu que le premier président a retenu que le préjudice moral ensuite d’une détention sans particularité sera exactement indemnisé par l’allocation d’un montant de 3 000 euros tel qu’offert par l’agent judiciaire du Trésor ;
Attendu que pour obtenir la majoration de son préjudice moral, pour la réparation duquel il réclame 100 000 euros, M. X... se prévaut de l'atteinte à son honneur, en raison notamment de la médiatisation de l'affaire, fait valoir qu'il a ressenti une importante souffrance morale et a été très affecté par son incarcération, se plaint des conséquences de son contrôle judiciaire, notamment en ce qu'il a été contraint de s'éloigner de sa famille, et évoque enfin ses conditions de détention difficiles qui l'ont conduit à ne plus sortir de sa cellule ;
Mais attendu que les éléments de préjudice résultant de la mise en examen, de la qualification des faits, objet de la poursuite échappent aux prévisions de l'article 149 du code de procédure pénale; que de même, l'atteinte médiatique portée à sa réputation, n'ouvre pas droit à réparation sur le fondement des dispositions du même texte ;
Attendu, toutefois, que compte tenu de l’âge du requérant lors de l’incarcération (39 ans), de la durée de celle-ci (deux mois et sept jours), de la circonstance que M. X... n’avait pas été antérieurement emprisonné, du choc psychologique enduré l’ayant notamment conduit à s’isoler, et de l’éloignement des siens, il convient de fixer à 10 000 euros l’indemnité qui assurera la réparation intégrale du préjudice moral ;
PAR CES MOTIFS :
ACCUEILLE le recours ;
ALLOUE à M. Haitham X..., en sus de ce qui lui a été accordé en première instance au titre du préjudice matériel, les sommes de 10 000 EUROS (DIX MILLE EUROS) au titre des frais de justice et 400 EUROS (QUATRE CENTS EUROS) au titre des frais d’inscription à un examen ;
Lui ALLOUE la somme de 10 000 EUROS (DIX MILLE EUROS) en réparation de son préjudice moral ;
LAISSE les dépens à la charge du Trésor public ;
La présente décision a été signée par le président, le rapporteur présents lors des débats et du délibéré et par le greffier présent lors des débats et du prononcé ;
Elle a été rendue publiquement le 5 novembre 2007 par M. Breillat, conseiller, en l'absence du président empêché ;
Le président Le rapporteur M. Gueudet M. Breillat Le greffier Mme Bureau