COUR DE CASSATION
07 CRD 071
Audience publique du 15 octobre 2007 Prononcé au 30 novembre 2007
La commission nationale de réparation des détentions instituée par l’article 149-3 du code de procédure pénale, composée lors des débats de M. Gueudet, président, Mme Nési, M. Chaumont, conseillers référendaires, en présence de M. Charpenel, avocat général et avec l’assistance de Mme Bureau, greffier, a rendu la décision suivante :
Statuant sur le recours formé par :
- Monsieur Régilio Steven Y..., contre la décision du premier président de la cour d'appel de Fort-de-France en date du 29 mai 2007 qui lui a alloué une indemnité de 1 500 euros sur le fondement de l’article 149 du code précité ainsi qu' une somme de 500 euros en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
Les débats ayant eu lieu en audience publique le 15 octobre 2007 en l’absence de l’intéressé et de son avocat ;
Vu les dossiers de la procédure de réparation et de la procédure pénale ;
Vu les conclusions de Me Louze-Donzenac, avocat au Barreau de la Guyane, représentant M. Y... ;
Vu les conclusions de l’agent judiciaire du Trésor ;
Vu les conclusions de M. le procureur général près la Cour de cassation ;
Vu les pièces complémentaires de Me Louze-Donzenac ; Vu la notification de la date de l’audience, par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, au demandeur, à son avocat, à l’agent judiciaire du Trésor et à son avocat, un mois avant l’audience ;
Sur le rapport de M. le conseiller Chaumont, les observations de Me Couturier-Heller, avocat représentant l’agent judiciaire du Trésor, les conclusions de M. l’avocat général Charpenel ;
Après en avoir délibéré conformément à la loi, la décision étant rendue en audience publique ;
LA COMMISSION,
Attendu que M. Y... a été poursuivi par le ministère public en comparution immédiate pour complicité de délit aggravé et a été traduit devant le juge des libertés et de la détention qui l’a placé en détention provisoire le 22 décembre 2003, jusqu’à sa comparution devant le tribunal correctionnel de Cayenne; qu’il a comparu le 23 décembre 2003 devant ce tribunal qui l’a déclaré coupable et l’a maintenu en détention; qu’il a relevé appel du jugement et a été remis en liberté le 21 janvier 2004 par la cour d’appel de Cayenne; que celle-ci par arrêt du 17 mai 2004, s’est déclarée incompétente, au regard de la nature criminelle des faits poursuivis, et l’a replacé en détention provisoire; que, par ordonnance du 15 juin 2004, le juge d’instruction de Cayenne a ordonné la remise en liberté de M. Y...; que, par ordonnance du 16 juin 2005, devenue définitive, le magistrat instructeur a prononcé un non-lieu ;
Attendu que, le 10 novembre 2006, M. Y... a saisi le premier président de la cour d’appel de Fort-de-France d’une requête en réparation de ses préjudices moral et matériel qu’il a évalués à 20 000 euros, à raison de la détention provisoire subie du 17 mai au 15 juin 2004; que, par conclusions additionnelles du 13 février 2007, il a précisé qu’était incluse, dans sa demande, la réparation de la première période de détention provisoire effectuée du 22 décembre 2003 au 21 janvier 2004 et a demandé, en outre, l’allocation de la somme de 5 000 euros sur le fondement de l’article 700 du nouveau code de procédure civile ;
Attendu que, par décision du 29 mai 2007, le premier président de la cour d'appel de Fort-de-France lui a alloué la somme de 1 500 euros en réparation du préjudice moral ainsi que 500 euros sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, à raison de la seule incarcération subie du 17 mai au 15 juin 2004; qu’il a rejeté la demande présentée au titre du préjudice matériel, estimant que M. Y... ne justifiait pas de l’exercice d’une activité professionnelle au moment de son placement en détention ni d’une qualification professionnelle particulière ;
Attendu que M. Y... a formé un recours régulier et a réitéré ses prétentions initiales ;
Vu les articles 149 à 150 du code de procédure pénale ;
Attendu qu’une indemnité est accordée, à sa demande, à la personne ayant fait l’objet d’une détention provisoire terminée à son égard par une décision de non-lieu, de relaxe ou d’acquittement devenue définitive; que cette indemnité est allouée en vue de réparer intégralement le préjudice personnel, matériel et moral directement causé par la privation de liberté ;
Attendu qu’il est constant que M. Y... a effectué, en deux périodes successives, la première, du 22 décembre 2003 au 21 janvier 2004, la seconde, du 17 mai au 15 juin 2004, une détention provisoire de 61 jours; que seul le préjudice résultant de la seconde période a été réparé par le premier président; qu’il y a donc lieu d’examiner les demandes présentées par M. Y... au regard de la totalité de la détention provisoire qu’il a subie ;
Sur le préjudice matériel :
Attendu qu’au vu des bulletins de paie produits par M. Y..., il apparaît que celui-ci était employé par la société Vagas en qualité de pompiste depuis le 7 février 2003, et qu’ au 30 novembre 2003, son salaire net moyen s’élevait à 1 047,54 euros; que ce contrat de travail a été rompu en raison de son placement sous écrou le 22 décembre 2003; qu’après sa remise en liberté, le 21 janvier 2004, il a été embauché, le 20 février 2004, comme pompiste, par la société Texaco Guyane; qu’il convient, en conséquence, de lui allouer, comme l’admettent l’agent judiciaire du Trésor et l’avocat général, une indemnité d’un montant de 2 095,08 euros en réparation du préjudice causé par la perte du salaire subie pendant la détention ;
Attendu que M. Y... a été réembauché à compter du 20 février 2004 et aurait été licencié cinq jours plus tard; qu’en l’absence de tout élément probant, la rupture alléguée de ce nouveau contrat ne peut être imputée à la détention provisoire et aucune somme ne peut lui être allouée de ce chef ;
Sur le préjudice moral :
Attendu que, pour évaluer l’indemnité allouée à ce titre, le premier président a pris en compte la durée de l’incarcération, l’âge et la situation personnelle de M. Y... ;
Attendu que M. Y... fait valoir qu’il a d’autant plus souffert de son séjour en maison d’arrêt qu’il a été rejeté par sa communauté et précise qu’il a subi une dépression dont il ne s’est toujours pas remis ;
Que l’agent judiciaire du Trésor considère qu’en l’absence de circonstance particulière justifiant la majoration de la somme allouée en première instance, le recours doit être rejeté sur ce point; que l’avocat général conclut à l’augmentation de l’indemnité de ce chef ;
Attendu que, compte tenu des deux détentions successives subies par M. Y..., des chocs carcéraux répétés qu’il a ressentis, de son âge lors de ces deux incarcérations (32 puis 33 ans), de l’absence de passé carcéral, il convient de fixer à 7 500 euros l’indemnité réparant l’intégralité de son préjudice moral ;
Sur l’article 700 du nouveau code de procédure civile:
Attendu que l’équité commande d’allouer au demandeur la somme de 1 500 euros au titre des frais irrépétibles ;
PAR CES MOTIFS :
ACCUEILLE le recours de M. Régilio Steven Y..., et statuant à nouveau ;
Lui ALLOUE les sommes de :
. 2 095,08 EUROS (DEUX MILLE QUATRE VINGT QUINZE EUROS ET HUIT CENTIMES) en réparation du préjudice matériel ;
. 7 500 EUROS (SEPT MILLE CINQ CENTS EUROS) en réparation du préjudice moral ;
. 1 500 EUROS (MILLE CINQ CENTS EUROS) sur le fondement de l’article 700 du nouveau code de procédure civile ;
LAISSE les dépens à la charge du Trésor public ;
Ainsi fait, jugé et prononcé en audience publique le 30 novembre 2007 par le président de la commission nationale de réparation des détentions ;
En foi de quoi la présente décision a été signée par le président, le rapporteur et le greffier présent lors des débats et du prononcé.
Le président Le rapporteur M. Gueudet M. Chaumont Le greffier Mme Bureau