COUR DE CASSATION
07 CRD 068
Audience publique du 30 novembre 2007 Prononcé au 21 janvier 2008
La commission nationale de réparation des détentions instituée par l’article 149-3 du code de procédure pénale, composée lors des débats de M. Gueudet, président, Mme Nési, M. Chaumont, conseillers référendaires, en présence de M. charpenel, avocat général et avec l’assistance de Mme Bureau, greffier, a rendu la décision suivante :
Statuant sur les recours formés par :
- Monsieur Tony Y...,
- l'agent judiciaire du Trésor,
contre la décision du premier président de la cour d'appel de Bordeaux en date du 6 mars 2007 qui a déclaré irrecevable la requête de M. Tony Y.... Les débats ayant eu lieu en audience publique le 30 novembre 2007, l' avocat du demandeur ne s’y étant pas opposé ;
Vu les dossiers de la procédure de réparation et de la procédure pénale ;
Vu les conclusions de Me Ducos-Ader, avocat au Barreau de Bordeaux, représentant M. Tony Y... ; Vu les conclusions de l’agent judiciaire du Trésor ;
Vu les conclusions de M. le procureur général près la Cour de cassation ;
Vu les conclusions en réponse de Me Ducos-Ader ;
Vu la notification de la date de l’audience, par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, au demandeur, à son avocat, à l’agent judiciaire du Trésor et à son avocat, un mois avant l’audience ;
Monsieur Tony Y... ne comparaît pas personnellement. Il est représenté à l’audience par Me Fabien Ducos-Ader, avocat substituant Me Benoît Ducos-Ader conformément aux dispositions de l’article R.40-5 du code de procédure pénale ;
Sur le rapport de Mme le conseiller Nési, les observations de Me Fabien Ducos-Ader, avocat substituant Me Benoît Ducos-Ader représentant le demandeur et de Me Couturier-Heller, avocat représentant l’agent judiciaire du Trésor, les conclusions de M. l’avocat général Charpenel, l'avocat du demandeur ayant eu la parole en dernier ;
Après en avoir délibéré conformément à la loi, la décision a été mise en délibéré au 21 décembre 2007 puis prorogée au 21 janvier 2008 et rendue en audience publique ;
LA COMMISSION,
Attendu que M. Tony Y... a déposé le 31 janvier 2005 une requête en indemnisation du préjudice matériel et moral, évalué à 15 000 euros, que lui a causé une détention provisoire d’un mois effectuée du 6 mai au 4 juin 2004 pour des faits ayant donné lieu, le 30 juillet 2004, à une décision de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Bordeaux annulant le réquisitoire introductif et toute la procédure subséquente ;
Attendu que, par décision du 6 mars 2007, le premier président de la cour d’appel de Bordeaux a déclaré cette requête irrecevable ;
Attendu que M. Tony Y... a régulièrement formé un recours contre cette décision, reprenant sa demande initiale et sollicitant également 3 000 euros au titre de l’article 700 du nouveau code de procédure civile ;
Attendu que l’agent judiciaire du Trésor a déposé également un recours le 15 mars 2007 dont il s’est désisté le 13 juin 2007; Attendu que l’agent judiciaire du Trésor et l’avocat général ont conclu au rejet du recours de M. Tony Y... ;
Sur la recevabilité de la requête :
Attendu que l’article 149 du code de procédure pénale dispose que la personne qui a fait l’objet d’une détention provisoire au cours d’une procédure terminée à son égard à son égard par une décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement devenue définitive a droit, à sa demande, à réparation intégrale du préjudice moral et matériel que lui a causé cette détention ;
Attendu que pour déclarer la requête irrecevable le premier président a retenu qu’aux termes de cette disposition, seule une décision de non-lieu, de relaxe ou d’acquittement mettant fin à la procédure ouvrait droit à indemnisation ;
Attendu que le requérant, invoquant la vocation et la finalité de ce texte, soutient au contraire qu’ hormis les cas d’exclusion de la réparation limitativement énumérés par le législateur dans ce même article, seule une décision de culpabilité peut faire échec à la réparation ; qu’il souligne que le législateur, dans la modification de la loi opérée le 9 mars 2004, n’a rajouté comme cause d’exclusion de la réparation que la prescription et non l’annulation de la procédure ;
Attendu que l’agent judiciaire du Trésor fait valoir que l’annulation de la procédure n’exclut pas la reprise des poursuites et ne peut donc équivaloir à un non-lieu définitif, l’avocat général concluant pour sa part à l’irrecevabilité en l’absence de toute décision de non-lieu et faisant valoir qu’il appartient toujours aux parties, comme au parquet, de tirer toutes les conséquences utiles de la décision de la chambre de l’instruction en date du 30 juillet 2004 ;
Attendu que par, cette décision devenue définitive, la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Bordeaux a constaté la nullité du réquisitoire introductif du 6 juin 2003, visant M. Tony Y..., et par voie de conséquence de tous les actes de la procédure d’instruction postérieurs, au motif qu’il ne répondait pas aux exigences de l’article 80 du code de procédure pénale faute de précision sur les faits délimitant la saisine du juge d’instruction ;
Attendu qu’en instaurant l’article 149 du code de procédure pénale, le législateur a voulu, sauf dans les cas limitatifs qu'il a énumérés, que toute personne non déclarée coupable définitivement ait le droit d’obtenir réparation du préjudice que lui a causé la détention quelle que soit la cause de la non déclaration de culpabilité ;
Que tel est bien le cas en l’espèce, l’annulation tant du réquisitoire introductif que de la procédure subséquente excluant de surcroît toute possibilité pour le requérant d’obtenir une décision de non-lieu dans le cadre de cette procédure deveune inexistante ;
Qu’il y a donc lieu d’accueillir son recours de ce chef et de déclarer la requête en indemnisation recevable ;
Sur le fond :
Attendu qu’à l’appui de sa demande en paiement d’une somme de 15 000 euros, M. Tony Y... fait valoir qu’il a été fortement traumatisé par la détention provisoire, qu’il a toujours contesté les faits et clamé son innocence, et que l’incarcération lui a causé un grave préjudice et porté atteinte à son honneur et à sa réputation dans la mesure où elle a été relatée dans la presse locale ;
Que l’agent judiciaire du Trésor a conclu au rejet de toute indemnisation du préjudice matériel faute de justificatif ; qu’en ce qui concerne le préjudice moral il considère que l’indemnisation ne peut pas excéder 1 000 euros ;
Attendu que le requérant ne bénéficier d'une réparation d’un préjudice matériel dans la mesure où il ne rapporte aucune preuve d’une activité exercée au moment des faits, et ne produit aucune justification de ses revenus, que ce soit antérieurement à son incarcération, au moment de celle-ci ou depuis sa remise en liberté ; que les dommages résultant d'articles de presse, même s'ils relatent l'arrestation ou la mise en détention de l'intéressé, n'entrent pas dans le champ d'application de l'article 149 du code de procédure pénale qui ne répare que le préjudice moral et matériel causé par la détention ; qu’eu égard à la durée de la détention, à l’âge du requérant au moment de son incarcération (28 ans), à la séparation d’avec sa famille, et à l’absence d’antécédent carcéral, l’indemnité réparant intégralement son préjudice moral doit être fixée à la somme de 3 000 euros ;
Sur l’article 700 du nouveau code de procédure civile :
Attendu que l’équité commande d’allouer au requérant une indemnité de 1 000 euros à ce titre ;
PAR CES MOTIFS :
DONNE acte à l’agent judiciaire du Trésor du désistement de son recours ;
ACCUEILLE partiellement le recours et statuant à nouveau ;
DECLARE la requête recevable ;
ALLOUE à M. Tony Y... la somme de 3 000 EUROS (TROIS MILLE EUROS) au titre de son préjudice moral ;
REJETTE le recours pour le surplus ;
ALLOUE à M. Tony Y... la somme de 1 000 EUROS (MILLE EUROS) au titre de l’article 700 du nouveau code de procédure civile ;
LAISSE les dépens à la charge du Trésor public ;
Ainsi fait par les magistrats présents lors des débats, qui en ont délibéré et prononcé en audience publique par M. Chaumont, conseiller ayant participé au délibéré, en présence du greffier ayant assisté aux débats ;
En foi de quoi la présente décision été signée par M. Chaumont, conseiller le plus ancien en raison de l'empêchement du président et par le greffier.
Le président Le greffier M. Chaumont Mme Bureau