LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 4 septembre 2007), que M. X..., porteur de la moitié des parts et gérant de la société civile de construction-vente Les Niaoulis (la société Les Niaoulis) à Noisy-le-Grand, qui avait proposé sa dissolution à l'ordre du jour de l'assemblée générale de 2002, a assigné à cette fin son coassocié, M. Y..., porteur de l'autre moitié des parts, qui s'était installé à Nouméa en 1995 sans communiquer d'adresse ni maintenir de contact avec son représentant conventionnel et qui s'était prononcé " à titre conservatoire " contre l'ensemble des résolutions proposées à cette assemblée générale ;
Sur le second moyen :
Attendu que M. Y... fait grief à l'arrêt de prononcer la dissolution anticipée de la société Les Niaoulis et la nomination de M. Z..., en qualité de liquidateur, alors, selon le moyen :
1° / que la mésentente entre coassociés, en tant que condition nécessaire mais non suffisante à la dissolution anticipée de la société, ne peut se déduire ni de l'éloignement d'un associé, ni de sa non manifestation auprès de son associé, ni même de son désintérêt pour la vie de la société, surtout lorsque, comme en l'espèce, la société est administrée par le coassocié seul gérant doté de pouvoirs étendus et ayant constamment manifesté sa volonté d'user de pouvoirs absolus sans en référer à des assemblées générales ; que l'arrêt qui le prétend à tort a donc violé l'article 1844-7, alinéa 5, du code civil ;
2° / que le fait par un associé non gérant de ne pas user de la faculté de provoquer l'organisation d'assemblées générales pour suppléer la carence du gérant à le faire est incompatible avec une mésentente entre coassociés ; qu'en effet cela traduit plutôt éventuellement leur accord tacite pour laisser au gérant la maîtrise de fait de la société, sans pour autant pouvoir être assimilé à une méconnaissance par l'associé non gérant de ses obligations et a fortiori à un comportement de mauvaise foi, puisque seul le gérant a l'obligation de convoquer et d'organiser les assemblées générales et que son abstention persistante, comme en l'espèce, est nécessairement exclusive de bonne foi ; que l'arrêt a donc violé derechef l'article 1844-7, alinéa 5, du code civil ;
3° / que la mésentente entre associés ne saurait non plus résulter d'un désaccord entre eux, se traduisant par le refus de l'un à voter les résolutions préparées par un autre en qualité de gérant, la liberté de vote étant un droit absolu pour tout associé, n'ayant pour limite que la notion d'abus de droit ; qu'il en était d'autant plus ainsi en la cause, puisque le refus de vote positif de M. Y... était intervenu après une longue période sans assemblées générales et à défaut de convocation régulière dans une seule assemblée précédente en 1999, lors de l'unique assemblée générale de 2002, que ce refus de vote n'était pas définitif pour avoir été formalisé " à titre conservatoire " dans l'attente d'informations rendues nécessaires par l'ignorance dans laquelle M. Y... avait été jusque là tenu sur la vie de la société, les seuls documents soumis étant tout à la fois incomplets et entachés d'irrégularités et d'anomalies précisées aux conclusions, et que de surcroît toutes les résolutions tendant à la dissolution anticipée de la société, cet acte extrêmement grave ne pouvait être voté à la légère ; que loin de traduire une mésentente entre associés, le comportement de M. Y... était animé par une volonté de défendre les intérêts bien compris de la société dans le cadre d'une affectio societatis ; que l'arrêt qui prétend le contraire a encore violé l'article 1844-7, alinéa 5, du code civil ;
4° / qu'il manquait également la seconde condition légale de la dissolution anticipée pour juste motif, à savoir la paralysie de la société ; qu'en effet il était constant que depuis sa constitution en 1991 jusqu'à la tenue de l'assemblée générale de 2002, la société Les Niaoulis avait parfaitement fonctionné à la seule initiative de l'associé gérant dont tous les actes avaient été réalisés sans contestation de M. Y..., et que le refus de celui-ci lors de cette assemblée générale de voter les résolutions en l'état ne pouvait paralyser la vie de la société, puisqu'il s'agissait d'un refus " à titre conservatoire " dans l'attente d'informations qui s'avéraient nécessaires dans l'intérêt même de la société ne pouvant disparaître a priori et hâtivement sans justification ; que l'arrêt ne peut manquer d'être censuré pour violation de l'article 1844-7, alinéa 5, du code civil ;
Mais attendu qu'ayant relevé que M. Y... était parti vivre à Nouméa en 1995 sans laisser d'adresse, qu'il ne s'était pas manifesté auprès de son associé et avait fait preuve d'un désintérêt total pour la vie de la société, qu'à l'époque du départ, la construction de l'immeuble de Garges-lès-Gonesse avait été arrêtée depuis un an et l'immeuble était squatté, que par la suite, la banque qui avait consenti un prêt de quatre millions de francs pour financer l'acquisition du terrain et la construction de l'ensemble immobilier avait fait pratiquer une saisie immobilière, que M. X... était caution personnelle du prêt, qu'il avait négocié seul avec la municipalité et la banque, qu'un accord transactionnel avait été trouvé aux termes duquel il avait réglé à titre personnel la somme de 1 375 000 francs et abandonné le prix de vente de l'immeuble, que M. Y... ne pouvait de bonne foi se plaindre de l'absence d'organisation d'assemblée générale entre 1995 et 1999 alors qu'en sa qualité d'associé à 50 %, il pouvait la provoquer et même demander la désignation d'un mandataire ad hoc, qu'il convenait de constater la disparition de l'affectio societatis, l'absence de volonté de collaborer ensemble et la disparition de l'idée d'oeuvre commune, que M. X... démontrait avoir communiqué à son associé tous les documents relatifs à la vie de la société et à la dernière réalisation immobilière, que le seul actif de la société avait été liquidé et que la société n'avait plus d'activité, que M. Y... avait refusé de voter l'ensemble des résolutions proposées à l'assemblée générale, qu'en l'état de la répartition égalitaire du capital aucun vote majoritaire ne pouvait être acquis, la cour d'appel a pu retenir que la mésentente entre associés était avérée et qu'elle entraînait la paralysie du fonctionnement de la société ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Mais sur le premier moyen :
Vu l'article 455 du code de procédure civile ;
Attendu que pour confirmer le jugement déclarant irrecevable la demande d'expertise, l'arrêt retient qu'en vertu de l'effet dévolutif de l'appel tous les points du litige soumis au tribunal sont déférés à la Cour, que la demande est mal fondée, n'ayant aucun lien avec les faits dont dépend la solution du litige qui concerne la dissolution de la société ;
Qu'en statuant ainsi, la cour d'appel, qui s'est contredite, n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déclare irrecevable la demande d'expertise, l'arrêt rendu le 4 septembre 2007, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;
Condamne M. X..., la société Les Niaoulis et M. Z..., ès qualités, aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne, ensemble, M. X..., la société Les Niaoulis et M. Z..., ès qualités, à payer à M. Y... la somme de 2 500 euros ; rejette la demande de M. X..., de la société Les Niaoulis et de M. Z..., ès qualités ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-huit janvier deux mille neuf.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP CHOUCROY, GADIOU et CHEVALLIER, avocat aux Conseils pour M. Y...
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR confirmé le jugement déféré en ce qu'il déclare irrecevable la demande aux fins d'expertise avant dire droit formulée par Monsieur Y... ;
AUX MOTIFS QUE la demande susdite a déjà été présentée au premier juge qui l'a déclarée irrecevable ; qu'en vertu de l'effet dévolutif de l'appel, tous les points du litige soumis au Tribunal sont déférés à la Cour à laquelle il incombe de statuer à nouveau ; que la demande est donc recevable, mais qu'elle est mal fondée ; qu'en effet la demande d'expertise sollicitée par l'appelant n'a aucun lien avec les faits dont dépend la solution du litige, lequel concerne la dissolution pour justes motifs de la société sur le fondement de l'article 1844-7 alinéa 5 du Code Civil ;
ALORS QUE, D'UNE PART, l'arrêt est déjà radicalement vicié pour contradiction patente entre son motif propre et contraire à celui du Tribunal que la demande avant dire droit est recevable et le chef confirmé du jugement déclarant cette même demande irrecevable, cette contradiction ne pouvant être éliminée par le motif propre de l'arrêt que ladite demande n'est pas fondée, à défaut de pouvoir servir de support au chef du dispositif limité à l'irrecevabilité, lequel de surcroît ne peut être modifié eu égard à son annulation découlant de la contradiction entre motif et dispositif ; que l'arrêt a donc violé les articles 455 et 458 du Code de Procédure Civile ;
ALORS, D'AUTRE PART et en tout cas, QUE c'est par une motivation péremptoire que l'arrêt affirme sans en justifier que la demande d'expertise présentée par Monsieur Y..., en sa qualité de seul coassocié à égalité avec Monsieur X... de la Société LES NIAOULIS, n'aurait aucun lien avec les faits dont dépend la solution du litige sur la dissolution anticipée de cette société ; qu'en effet et à tout le moins l'arrêt aurait dû rechercher si, comme le soulignaient ses conclusions, eu égard à ce que Monsieur Y... avait été mis devant les faits accomplis par Monsieur X... sous le couvert de sa gérance de la société : d'un emprunt bancaire important en vue d'une opération immobilière, suivie d'un début de construction d'un immeuble non menée à son terme, puis d'une promesse de vente de cet immeuble en l'état au profit d'une société tierce animée et dirigée également par Monsieur X..., enfin et malgré la non-ratification de cette promesse par l'assemblée générale de la Société LES NIAOULIS, une vente ferme à cette même société tierce dont le prix a été versé au banquier prêteur initial, Monsieur Y... n'était pas en droit de faire vérifier par un expert de l'immobilier l'ensemble de ces opérations, ce qui pouvait être de nature à justifier son refus « à titre conservatoire » de voter en l'état la dissolution anticipée de la Société LES NIAOULIS, à défaut de justes motifs ; que l'arrêt est donc entaché d'un défaut de base légale au regard de l'article 771-5° du Code de Procédure Civile en relation avec l'article 1844-7 alinéa 5 du Code Civil.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
Il est reproché à l'arrêt attaqué d'AVOIR prononcé la dissolution anticipée de la SCI LES NIAOULIS et nommé pour cette mission un liquidateur, Monsieur Z... ;
AUX MOTIFS QUE, selon l'article 1844-7 alinéa 5 du Code Civil, la société prend fin par la dissolution anticipée prononcée par le Tribunal à la demande d'un associé pour juste motif, notamment en cas d'inexécution de ses obligations par un associé ou de mésentente entre associés paralysant le fonctionnement de la société ; qu'il résulte des pièces du débat que Monsieur Y... est parti vivre à NOUMEA en 1995 sans laisser d'adresse ; qu'il ne s'est pas manifesté auprès de son associé et a fait preuve d'un désintérêt total pour la vie de la société ; qu'à l'époque de son départ, la construction de l'immeuble de GARGES-LES-GONESSE avait été arrêtée depuis un an et l'immeuble était squatté ; que par la suite la banque qui avait consenti un prêt de 4 millions de francs pour financer l'acquisition du terrain et la construction de l'ensemble immobilier, a fait pratiquer une saisie immobilière ; que Monsieur X... était caution personnelle du prêt ; qu'il a négocié seul avec la municipalité et la banque ; qu'un accord transactionnel a été trouvé aux termes duquel il a réglé à titre personnel la somme de 1 375 000 francs et abandonné le prix de vente de l'immeuble ; que Monsieur Y... ne peut de bonne foi se plaindre de l'absence d'organisation d'assemblée générale entre 1995 et 1999 alors qu'en sa qualité d'associé à 50 %, il pouvait la provoquer et même demander la désignation d'un mandataire ad hoc ; qu'il convient de constater la disparition de l'affectio societatis, l'absence de volonté de collaborer ensemble et la disparition de l'idée d'oeuvre commune ; que Monsieur X... démontre avoir communiqué à son associé tous les documents relatifs à la vie de la société et à la dernière réalisation immobilière ; que le seul actif de la société a été liquidé et que la société n'a plus d'activité ; que Monsieur Y... a refusé de voter l'ensemble des résolutions proposées à l'assemblée générale ; qu'en l'état de la répartition égalitaire du capital, aucun vote majoritaire ne peut être acquis ; que la mésentente entre associés est avérée et qu'elle entraîne la paralysie du fonctionnement de la société ; que c'est donc à juste titre que le premier juge a considéré qu'elle devait être dissoute ;
ALORS QUE, D'UNE PART, la mésentente entre coassociés, en tant que condition nécessaire mais non suffisante à la dissolution anticipée de la société, ne peut se déduire ni de l'éloignement d'un associé, ni de sa non manifestation auprès de son associé, ni même de son désintérêt pour la vie de la société, surtout lorsque, comme en l'espèce, la société est administrée par le coassocié seul gérant doté de pouvoirs étendus et ayant constamment manifesté sa volonté d'user de pouvoirs absolus sans en référer à des assemblées générales ; que l'arrêt qui le prétend à tort a donc violé l'article 1844-7 alinéa 5 du Code Civil ;
ALORS, D'AUTRE PART, QUE le fait par un associé non gérant de ne pas user de la faculté de provoquer l'organisation d'assemblées générales pour suppléer la carence du gérant à le faire est incompatible avec une mésentente entre coassociés ; qu'en effet cela traduit plutôt éventuellement leur accord tacite pour laisser au gérant la maîtrise de fait de la société, sans pour autant pouvoir être assimilé à une méconnaissance par l'associé non gérant de ses obligations et a fortiori à un comportement de mauvaise foi, puisque seul le gérant a l'obligation de convoquer et d'organiser les assemblées générales et que son abstention persistante, comme en l'espèce, est nécessairement exclusive de bonne foi ; que l'arrêt a donc violé derechef l'article 1844-7 alinéa 5 du Code Civil ;
ALORS QUE, DE TROISIEME PART, la mésentente entre associés ne saurait non plus résulter d'un désaccord entre eux, se traduisant par le refus de l'un à voter les résolutions préparées par un autre en qualité de gérant, la liberté de vote étant un droit absolu pour tout associé, n'ayant pour limite que la notion d'abus de droit ; qu'il en était d'autant plus ainsi en la cause, puisque le refus de vote positif de Monsieur Y... était intervenu après une longue période sans assemblées générales et à défaut de convocation régulière dans une seule assemblée précédente en 1999, lors de l'unique assemblée générale de 2002, que ce refus de vote n'était pas définitif pour avoir été formalisé « à titre conservatoire » dans l'attente d'informations rendues nécessaires par l'ignorance dans laquelle Monsieur
Y... avait été jusque-là tenu sur la vie de la société, les seuls documents soumis étant tout à la fois incomplets et entachés d'irrégularités et d'anomalies précisées aux conclusions, et que de surcroît toutes les résolutions tendant à la dissolution anticipée de la société, cet acte extrêmement grave ne pouvait être voté à la légère ; que loin de traduire une mésentente entre associés, le comportement de Monsieur Y... était animé par une volonté de défendre les intérêts bien compris de la société dans le cadre d'un affectio societatis ; que l'arrêt qui prétend le contraire a encore violé l'article 1844-7 alinéa 5 du Code Civil ;
ALORS QUE, DE QUATRIEME PART, il manquait également la seconde condition légale de la dissolution anticipée pour juste motif, à savoir la paralysie de la société ; qu'en effet il était constant que depuis sa constitution en 1991 jusqu'à la tenue de l'assemblée générale de 2002, la Société LES NIAOULIS avait parfaitement fonctionné à la seule initiative de l'associé gérant dont tous les actes avaient été réalisés sans contestation de Monsieur Y..., et que le refus de celui-ci lors de cette assemblée générale de voter les résolutions en l'état ne pouvait paralyser la vie de la société, puisqu'il s'agissait d'un refus « à titre conservatoire » dans l'attente d'informations qui s'avéraient nécessaires dans l'intérêt même de la société ne pouvant disparaître a priori et hâtivement sans justification ; que l'arrêt ne peut manquer d'être censuré pour violation de l'article 1844-7 alinéa 5 du Code Civil.