LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Donne acte à la société Graham et Brown du désistement de son pourvoi formé contre la société Aok Rheinland ;
Attendu que le 12 octobre 1999, M. X..., salarié allemand d'une entreprise allemande, effectuant une livraison en France, a été renversé, sur l'aire de déchargement, par un chariot électrique conduit par un salarié de la société Graham et Brown ; que la victime a été indemnisée par la Berufsgenossenschaft Fur Fahrzeughaltungen (BGF), organisme de droit allemand gérant un régime obligatoire spécifique aux accidents du travail, ainsi que par la société de droit allemand LVA Rheinprovinz, son assureur retraite, aux droits de laquelle se trouve la Deutsche Rentenversicherung Rheinland (DRR) ; qu'après expertise, le tribunal de grande instance de Lille, saisi notamment par M. X... d'une action en responsabilité contre la société Graham et Brown et la société Intertextiles, propriétaire du chariot, et par la société BGF et la société LVA Rheinprovinz d'une action contre ces mêmes sociétés en reversement des sommes payées à M. X..., a d'abord dit prescrite, au regard du droit allemand applicable, l'action des deux sociétés allemandes, puis déclaré la société Graham et Brown entièrement responsable de l'accident avant d'ordonner une expertise médicale ; que l'arrêt attaqué (Douai, 17 janvier 2008), infirmant partiellement le jugement, a déclaré recevables les demandes des sociétés allemandes, au regard de la loi française, confirmé la responsabilité exclusive de la société Graham et Brown et sursis à statuer pour le surplus en l'attente du dépôt du rapport d'expertise ;
Sur la recevabilité du pourvoi formé contre les sociétés BGF et LVA Rheinprovinz, contestée par la défense :
Vu l'article 608 du code de procédure civile ;
Attendu qu'en ce qui concerne les sociétés BGF et LVA Rheinprovinz, l'arrêt ne fait que déclarer leur action recevable, la prescription étant régie par le droit français, et surseoir à statuer sur les demandes en l'attente du dépôt du rapport d'expertise médicale ; que, dès lors que les jugements en dernier ressort qui, statuant sur une fin de non recevoir, ne mettent pas fin à l'instance ne peuvent être frappés de pourvoi en cassation indépendamment des jugements sur le fond, le pourvoi doit être déclaré irrecevable en ce qu'il est dirigé contre ces deux sociétés ;
Sur le second moyen :
Attendu qu'il est fait grief à l'arrêt attaqué de déclarer la société Graham et Brown entièrement responsable et de mettre la société Intertextiles hors de cause alors, selon le moyen :
1°/ qu'en affirmant que, selon l'expert, le fait que le levier de réglage et son ressort de rappel n'étaient plus à leur place, ce qui a provoqué le défaut de freinage, trouve sa source dans les conditions d'utilisation du chariot, la Cour d'appel a dénaturé le rapport de l'expert qui n'a retenu que comme une hypothèse un incident lors du départ le matin, et a violé l'article 1134 du code civil ;
2°/ que lorsque la chose qui a causé le dommage présente un vice structurel, le propriétaire est présumé responsable et doit démontrer que ce défaut est imputable à l'utilisation qui en a été faite ; qu'ainsi, en l'espèce, où l'expert avait conclu que le chariot prêté par la société Intertextiles à la société Graham et Brown présentait un défaut tenant au jeu trop important entre les garnitures et le tambour qui explique l'absence de freinage et avait émis des hypothèses sur la source de ce défaut, la cour d'appel, en considérant que la société Graham et Brown n'établit pas que le chariot est atteint d'un défaut de structure, a inversé la charge de la preuve et violé l'article 1384, alinéa 1, du code civil ;
Mais attendu qu'ayant rappelé que l'action est fondée sur la loi du 5 juillet 1985, l'arrêt relève d'abord que le chariot, propriété de la société Intertextiles, a été prêté à la société Graham et Brown dont un salarié conduisait l'engin au moment de l'accident ; puis que l'accident avait pour origine un défaut de freinage provenant du jeu trop important entre les garnitures et le tambour gauche car le levier de réglage et son ressort n'étaient plus en place, enfin que, selon l'expert, un conducteur expérimenté aurait pu s'apercevoir d'une évolution anormale du système de freinage et des réactions de son véhicule avant l'accident ; que la cour d'appel a pu déduire de ces éléments, sans dénaturation ni inversion de la charge de la preuve, qu'aucun vice de la structure du chariot n'était démontré et que la société Graham et Brown, gardienne du chariot qui lui avait été prêté, était entièrement responsable du dommage ; que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
Déclare le pourvoi irrecevable en ce qu'il est dirigé contre la société BGF et la société DRR aux droits de la société LVA Rheinprovinz ;
REJETTE le pourvoi pour le surplus,
Condamne la société Graham et Brown aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne la société Graham et Brown à payer à la société Berufsgenossenschaft Fur Fahrzeughaltungen et à la société Intertextiles la somme de 3 000 euros chacune ; rejette la demande de la société Graham et Brown.
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du trente septembre deux mille neuf.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Bachellier et Potier de La Varde, avocat aux Conseils pour la société Graham et Brown.
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Le moyen reproche à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir rejeté la fin de non-recevoir fondée sur la prescription et déclaré les sociétés BERUFSGENOSSENSCHAFT FUR FAHRZEUGHALTUNGEN et DEUTSCHE RENTENVERSICHERUNG RHEINLAND recevables en leur action ;
AUX MOTIFS QUE le Tribunal a considéré que l'action des organismes sociaux, engagée le 12 décembre 2002 par la BGF et le 4 décembre 2003 par la LVA RHEINPROVINZ est prescrite en application de l'article 852 du Code civil allemand qui, en sa rédaction applicable à la date du dommage, prévoyait que la demande d'indemnisation d'une victime d'un acte délictuel se prescrivit par trois ans ; que l'action exercée par les organismes sociaux repose sur un recours de nature subrogatoire prévu par l'article 116 du Code social allemand ; que les organismes sociaux bénéficient donc des droits et actions de la victime ; que la loi applicable en matière de prescription est celle qui régit le droit à réparation et à indemnisation de la victime, c'est-à-dire la loi de l'Etat sur le territoire duquel le dommage s'est produit ; que pour retenir la loi allemande, les premiers juges se sont fondés sur un arrêt de la Cour de justice des Communautés Européennes du 2 juin 1994 qui a dit pour droit que « les conditions et l'étendue du droit de recours dont dispose un organisme de sécurité sociale au sens de l'ordonnance CEE n° 1408/71 du Conseil du 14 juin 1971 pour l'application des systèmes de sécurité sociale aux travailleurs et aux indépendants ainsi qu'à leurs ayants droit, qui sont itinérants dans la communauté… à l'encontre de l'auteur d'un dommage survenu sur le territoire d'un autre Etat membre et qui a entraîné le versement des prestations de sécurité sociale sont déterminées en vertu de l'article 93 alinéa 1 de cette ordonnance d'après le droit de l'Etat, membre auquel cet organisme appartient » ; que le régime de prescription qui n'est pas propre à l'action de l'organisme social ne concerne pas «les conditions» ni «l'étendue» du droit de recours de l'organisme de sécurité sociale ; que la prescription ne peut être dissociée du droit à réparation ; que la loi applicable est celle qui régit le fond du droit de la responsabilité donc en l'espèce la loi française ; que selon l'article 2270-1 du Code civil français les actions en responsabilité civile extracontractuelles se prescrivent par dix ans ; qu'il convient en conséquence d'infirmer le jugement en ce qu'il a déclaré prescrites les actions de la BGF et de la LVA RHEINPROVINZ ;
ALORS QUE les conditions du droit de recours dont dispose un organisme de Sécurité Sociale pour le remboursement des prestations servies à la victime d'un accident, qui sont déterminées par le droit de l'Etat membre auquel il appartient, selon l'ordonnance CEE 1408/71 du Conseil du 14 juin 1971, comme l'a dit de droit la C.J.C.E. dans son arrêt du 2 juin 1994 (C. 428/92), incluent la prescription de son action fût-elle subrogatoire ; qu'ainsi, la Cour d'appel, en décidant que la prescription n'est pas propre à l'action de l'organisme et relève de la loi française qui institue une prescription décennale et non triennale, comme la loi allemande, a violé l'ordonnance précitée et l'article 3 du Code civil.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
Le moyen reproche à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir déclaré la société GRAHAM et BROWN entièrement responsable de l'accident et d'avoir mis hors de cause la société INTERTEXTILES ;
AUX MOTIFS QUE la Société GRAHAM et BROWN considère que l'accident est dû à un défaut de la structure du chariot élévateur et fait valoir qu'en sa qualité de prêteur la société INTERTEXTILES avait conservé la garde de la structure et doit donc être considérée comme responsable de ce vice interne à l'origine du dommage ; que Monsieur Y..., expert commis par ordonnance de référé du Président du Tribunal de commerce de LILLE du 2 décembre 1999 a conclu que l'accident a pour origine un défaut de freinage qui provient du jeu trop important entre les garnitures et le tambour côté gauche car le levier de réglage et son ressort n'étaient plus en place ;qu'il indique que la source de cet incident est difficile à déterminer mais que, toutefois, il semble qu'un choc important ou un collage des mâchoires lors du départ le matin pourrait être à l'origine de la dépose de l'ensemble levier-ressort ; les vibrations importantes sur ce type d'engin dues au fait qu'il n'y a pas de suspension et l'action régulière sur les freins ont provoqué le resserrage de la vis de réglage jusqu'à la suppression du freinage et l'accident ; qu'il ajoute «il nous semble qu'un conducteur expérimenté aurait pu s'apercevoir d'une évolution anormale du système de freinage et par là même des réactions de son véhicule avant l'accident» ; qu'il n'est donc pas démontré que le chariot élévateur était atteint d'un vice de la structure ; qu'au contraire selon l'expert judiciaire le défaut de freinage est dû au fait que le levier de réglage et son ressort de rappel n'étaient plus à leur place, ce fait trouvant sa source dans les conditions d'utilisation du chariot ; qu'aucune preuve d'un défaut affectant l'engin lorsque la société INTERTEXTILES l'a prêté à la société GRAHAM et BROWN à l'occasion de la cession du fonds de commerce en juillet 1999 n'est apportée ;
ALORS QUE, d'une part, en affirmant que, selon l'expert, le fait que le levier de réglage et son ressort de rappel n'étaient plus à leur place, ce qui a provoqué le défaut de freinage, trouve sa source dans les conditions d'utilisation du chariot, la Cour d'appel a dénaturé le rapport de l'expert qui n'a retenu que comme une hypothèse un incident lors du départ le matin, et a violé l'article 1134 du Code civil ;
ALORS QUE, d'autre part, lorsque la chose qui a causé le dommage présente un vice structurel, le propriétaire est présumé responsable et doit démontrer que ce défaut est imputable à l'utilisation qui en a été faite ; qu'ainsi, en l'espèce, où l'expert avait conclu que le chariot prêté par la INTERTEXTILES à la société GRAHAM et BROWN présentait un défaut tenant au jeu trop important entre les garnitures et le tambour qui explique l'absence de freinage et avait émis des hypothèses sur la source de ce défaut, la Cour d'appel, en considérant que la société GRAHAM et BROWN n'établit pas que le chariot est atteint d'un défaut de structure, a inversé la charge de la preuve et violé l'article 1384, alinéa 1, du Code civil.