LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique, pris en sa première branche :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 4 septembre 2008), qu'à la suite de la condamnation par une juridiction pénale du dirigeant de la société Secin pour prêt illicite de main-d'oeuvre à la société Cegelec, devenue la société Cegelec Nord et Est (la société), l'URSSAF de Lille, devenue l'URSSAF du Nord, constatant la défaillance de la société Secin dans son obligation au paiement des cotisations sociales, a réclamé ce paiement à la société ; que cette dernière a formé devant une juridiction de sécurité sociale opposition aux deux contraintes décernées contre elle ; que la cour d'appel, saisie après renvoi de cassation (2e Civ., 23 juin 2005, pourvoi n° 02-31.080), a validé les contraintes litigieuses ;
Attendu que la société fait grief à l'arrêt de statuer ainsi, alors, selon le moyen, qu'il résulte de l'article L. 124-8, alinéa 1er, du code du travail que l'entreprise de travail temporaire est tenue de justifier à tout moment d'une garantie financière prenant la forme d'un cautionnement qui couvre le paiement des salaires et des cotisations sociales, en cas de défaillance de sa part ; que, dans la seule hypothèse où cette caution est insuffisante, l'article L. 124-8, alinéa 2, du même code prévoit que l'entreprise utilisatrice est substituée de plein droit à l'entreprise de travail temporaire qui ne règle pas le montant de ses cotisations sociales ; qu'il s'ensuit que l'utilisateur n'est pas substitué à une entreprise défaillante qui se livre à une activité illicite de prêt de main-d'oeuvre prohibée par les articles L. 125-1 et suivants du code du travail, en dehors des règles propres au travail intérimaire, dès lors qu'elle n'exerce pas l'activité d'entrepreneur de travail temporaire ; qu'en retenant, pour décider qu'elle était substituée à la société Secin dans le paiement des cotisations sociales, sur le fondement de l'article L. 124-8, alinéa 6, du code du travail, qu'elle savait qu'elle contractait avec une entreprise exerçant en fait une activité de prêt de main-d'oeuvre assimilable à une entreprise de travail temporaire, après avoir énoncé, en termes de principe, que la requalification d'un prêt de main-d'oeuvre doit être assimilée à un contrat de mise à disposition temporaire lorsqu'il est établi qu'elle avait conclu les contrats en toute connaissance de cause, la cour d'appel a violé la disposition précitée devenue l'article L. 1251-52 du code du travail ;
Mais attendu que l'arrêt retient, d'abord, que la requalification en prêt de main-d'oeuvre peut être assimilée à un contrat de mise à disposition de travail temporaire, permettant l'application de l'article L. 124-8 du code du travail, s'il est établi que la société utilisatrice avait conclu le contrat en toute connaissance de cause sur son exacte nature, puis qu'il résulte du jugement du 5 juillet 1996 du tribunal correctionnel de Dunkerque que la société Secin ne disposait "pas ou très peu" de matériel et que chaque commande faisait l'objet d'un devis forfaitaire qui était ensuite régularisé par une facture tout aussi forfaitaire dont le montant correspondait exactement à celui du devis, éléments de fait que la société ne pouvait ignorer, enfin, qu'il appartenait à cette dernière de vérifier auprès de la société Secin que ses obligations à l'égard des organismes sociaux étaient remplies ;
Que de ces constatations et énonciations, la cour d'appel a déduit à bon droit que la société, qui avait connaissance de ce qu'elle contractait avec une entreprise exerçant de fait une activité de prêt de main-d'oeuvre assimilable à une activité de travail temporaire, devait, en raison de la défaillance de cette entreprise et de l'absence de caution, lui être substituée pour le paiement des cotisations dues à raison de ces mises à disposition de main-d'oeuvre, de sorte que les contraintes litigieuses devaient être validées ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Et attendu que la seconde branche n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Cegelec Nord et Est aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société Cegelec Nord et Est ; la condamne à payer à l'URSSAF du Nord la somme de 2 500 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, signé et prononcé par le président, en l'audience publique du dix-sept décembre deux mille neuf.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Boullez, avocat aux Conseils pour la société Cegelec Nord et Est
Le pourvoi fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué D'AVOIR validé les contraintes litigieuses, à hauteur de la somme de 329 337 euros 90, et D'AVOIR condamné la société CEGELEC à payer à l'URSSAF de Lille, le montant des cotisations sociales dues par la société SICEN qui fut son sous-traitant, en 1988 et en 1989 ;
AUX MOTIFS QUE la S.A. CEGELEC NORD ET EST a eu recours en 1988 et 1989 aux services de la S.A.R.L. SECIN ; que la société SECIN a été défaillante dans ses obligations en matière de versement des cotisations de sécurité sociale et, sur le fondement de l'article L 124-8 du code du travail, l'URSSAF de LILLE a réclamé à la S.A. CEGELEC NORD ET EST, société utilisatrice, le paiement des cotisations ; que, par jugement du Tribunal correctionnel de DUNKERQUE en date du 5 juillet 1996, le gérant de la société SECIN a été condamné pour avoir fourni de la main d'oeuvre à des fins lucratives ayant eu pour effet d'éluder l'application des dispositions légales, réglementaires ou contractuelles, notamment pour des chantiers avec les société CATS, ETPI et CEGELEC, en violation des dispositions des articles L 125-3 et L 152-3 du Code du travail ; que ce jugement a été partiellement confirmé par arrêt en date du 24 juin 1997 de la Cour d'appel de DOUAI qui a retenu que le personnel de la SECIN était mis à la disposition de chacune des trois entreprises sous les ordres des chefs d'équipe desdites entreprises, la facturation des heures de travail étant régularisée en fin de chantier ; que la décision pénale qui a ainsi requalifié en prêt illicite de main d'oeuvre le contrat de soustraitance invoqué par la S.A. CEGELEC NORD ET EST a autorité à l'égard de tous, même aux personnes n'ayant pas été parties à la procédure pénale ; que, dès lors, en procédant à une analyse différente du contrat liant la S.A. CEGELEC NORD ET EST à la société SECIN, le tribunal a méconnu l'article 1351 du code civil quant à l'autorité de la chose jugée au pénal sur le civil ; que les contrats qualifiés de contrats de soustraitance par la S.A. CEGELEC NORD ET EST doivent être requalifiés en contrats de prêt de main d'oeuvre ; que, selon les dispositions de l'article L 124-8 du Code du travail, tout entrepreneur de travail temporaire est tenu, à tout moment, de justifier d'une garantie financière assurant, en cas de défaillance de sa part, le paiement des cotisations obligatoires dues à des organismes de sécurité sociale ou à des institutions sociales ; qu'en cas d'insuffisance de la caution, l'utilisateur est substitué à l'entrepreneur de travail temporaire pour le paiement des sommes qui restent dues aux salariés et aux organismes de sécurité sociale ou aux institutions sociales dont relèvent ces salariés pour la durée de la mission accomplie dans son entreprise ; que la requalification en prêt de main d'oeuvre ne peut être assimilée à un contrat de mise à disposition de travail temporaire, permettant l'application de l'article L 124-8 ci-dessus rappelé, que s'il est établi que la S.A. CEGELEC NORD ET EST avait conclu lesdits contrats en toute connaissance de cause sur leur exacte nature ; qu'il résulte de la lecture du jugement rendu le 5 juillet 1996 par le Tribunal correctionnel de DUNKERQUE que la société SECIN ne disposait pas ou très peu de matériel comme l'a retenu l'expert comptable dans sa mission ordonnée par le Tribunal de commerce de DUNKERQUE ; que chaque commande faisait l'objet d'un devis forfaitaire qui était ensuite régularisé par une facture tout aussi forfaitaire dont le montant correspondait exactement à celui du devis ; que l'instruction pénale a établi que Monsieur X... a déclaré avoir travaillé en location pour CEGELEC de juillet 1985 à août 1989 sur le site USINOR, d'abord sous les ordres d'un chef d'équipe de la société SECIN puis sous ceux d'un chef de chantier de CEGELEC et que Monsieur Y..., chargé d'affaires de 1989 à 1990, a déclaré que son employeur mettait du personnel à disposition de CEGELEC, que ce personnel était sous les ordres des chefs d'équipe de cette société, les heures travaillées étant ensuite régularisées quand le chantier était terminé ; que le contrôleur de gestion de la société SECIN a déclaré au juge d'instruction que, dans le Nord et plus particulièrement dans le dunkerquois, était mise en oeuvre une refacturation qui était négociée avec le client ; que la S.A. CEGELEC NORD ET EST ne pouvait ignorer que son "sous-traitant" auquel elle passait commande de travaux nécessitant du matériel, tels que l'entretien de ponts 10 tonnes et 15 tonnes, travaux sur ripeurs, "travaux de mécanique" en atelier à de nombreuses reprises, remise en état d'installations électriques, pose de câbles, remise en état de treuils électriques, fournitures et confection de demi-viroles ou de pièces en tôle pliée etc... , ne disposait quasiment pas de matériel si ce n'était des véhicules et du matériel de levage ; qu'elle ne pouvait pas plus ignorer que les heures travaillées par des salariés sous les ordres de ses chefs d'équipe étaient renégociées dans le cadre de refacturations pour aboutir à une concordance parfaite entre les montants des devis et ceux des factures payées ; que la S.A. CEGELEC NORD ET EST ne peut utilement soutenir qu'elle n'avait pas connaissance de l'activité de prêt de main d'oeuvre alors que ce procédé de régularisation de facturation a concerné plus de cinquante factures ;
1. ALORS QU'il résulte de l'article L 124-8, alinéa 1er, du Code du travail que l'entreprise de travail temporaire est tenue de justifier à tout moment d'une garantie financière prenant la forme d'un cautionnement qui couvre le paiement des salaires et des cotisations sociales, en cas de défaillance de sa part ; que, dans la seule hypothèse où cette caution est insuffisante, l'article L 124-8, alinéa 2, du Code civil prévoit que l'entreprise utilisatrice est substituée de plein droit à l'entreprise de travail temporaire qui ne règle pas le montant de ses cotisations sociales ; qu'il s'ensuit que l'utilisateur n'est pas substitué à une entreprise défaillante qui se livre à une activité illicite de prêt de main d'oeuvre prohibée par les articles L 125-1 et suivants du Code du travail, en dehors des règles propres au travail intérimaire, dès lors qu'elle n'exerce pas l'activité d'entrepreneur de travail temporaire ; qu'en retenant, pour décider que la société CEGELEC NORD ET EST était substituée à la société SECIN dans le paiement des cotisations sociales, sur le fondement de l'article L 124-8, alinéa 6, du Code du travail, que la société CEGELEC NORD ET EST savait qu'elle contractait avec une entreprise exerçant en fait une activité de prêt de main d'oeuvre assimilable à une entreprise de travail temporaire, après avoir énoncé, en termes de principe, que la requalification d'un prêt de main d'oeuvre doit être assimilée à un contrat de mise à disposition temporaire lorsqu'il est établi que la société CEGELEC NORD ET EST avait conclu les contrats en toute connaissance de cause, la Cour d'appel a violé la disposition précitée devenue l'article 1251-52 du Code du travail ;
2. ALORS QU'il résulte de l'article L 125-2 du Code du travail devenu l'article L 8232-2 du Code du travail que l'entrepreneur principal est substitué au sous-traitant dans le paiement des cotisations sociales à la double condition que ce dernier ne soit pas inscrit au registre du commerce ou au registre des métiers et qu'il ne soit pas propriétaire d'un fonds de commerce ; qu'en affirmant, en dehors des exigences précitées, que la société CEGELEC NORD ET EST devait répondre du paiement par la société SECIN des cotisations sociales dont elle était redevable dès lors qu'elle avait connaissance de l'illicéité du prêt de main d'oeuvre qui était assimilable à une activité de travail temporaire, après avoir énoncé, en termes de principe, que la requalification d'un prêt de main d'oeuvre doit être assimilée à un contrat de mise à disposition temporaire lorsqu'il est établi que la société CEGELEC NORD ET EST avait conclu les contrats en toute connaissance de cause, la Cour d'appel a violé la disposition précitée.