LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique, pris en ses trois branches :
Attendu que, selon traité de cession conclu le 21 octobre 2002, M. X..., notaire à Ducey (Manche), qui avait obtenu l'agrément pour créer un nouvel office notarial à Saint-Grégoire (Ille-et-Vilaine), s'est engagé à céder sa première étude à M. Y..., principal clerc de notaire à Libourne, lequel a accepté, sous les conditions suspensives de l'agrément de la Chancellerie et de l'obtention d'un prêt de la Caisse des dépôts et consignations garanti par l'association notariale de caution ; qu'après un avis favorable émis, le 25 octobre, par la Caisse des dépôts et consignations, sous réserve de la garantie de l'association notariale de caution, M. Y... a, le 6 novembre 2002, adressé à M. X... une lettre, dont copie envoyée à la chambre départementale des notaires de la Manche, dans laquelle il faisait part au vendeur de ses inquiétudes quant au "risque d'un mauvais report de clientèle" et lui demandait de s'engager à quitter sa maison dans le mois de la nomination de son successeur, à rétrocéder à celui-ci les émoluments perçus des clients de l'étude qui viendrait à le consulter et à ne pas se réinstaller dans le département de la Manche dans un rayon de 35 kms de Ducey pendant cinq années ; que, par lettre en réponse du 24 novembre 2002, M. X... a transmis à M. Y... une convention par laquelle il souscrivait les engagements sollicités, sous réserve de la libération de sa maison dans un délai d'un an ; qu'entre ces deux lettres, par une délibération du 7 novembre 2002, la chambre départementale des notaires a émis un avis favorable au projet de cession des parties ; que, par une délibération du 18 novembre 2002, communiquée aux parties le 6 décembre 2002, la chambre régionale des notaires a également émis un avis favorable mais sous la réserve expresse que le cédant garantisse son cessionnaire en se portant caution personnelle du prêt pendant la durée de dix ans, en considération du risque d'évasion de la clientèle de nature à remettre en cause les prévisions faites par le cessionnaire ; que, par lettre du 11 décembre 2002, M. X... a transmis à la chambre régionale des notaires un engagement, daté de la veille, par lequel lui-même et son épouse se portaient cautions solidaires de M. Y... pour le remboursement du prêt sollicité par ce dernier, pour une durée de dix ans ; que, le 20 décembre 2002, l'association notariale de caution a avisé la chambre départementale des notaires qu'elle ne cautionnait pas le prêt, en raison "des informations recueillies sur l'activité économique de l'office et de l'environnement futur, notamment du maintien du cédant à proximité et de la réserve de clientèle à son profit" ; que le 6 janvier 2003, la Caisse des dépôts et consignations a fait connaître à M. Y... que le refus de l'association notariale de caution de cautionner son prêt ne lui permettait pas d'envisager le financement de l'acquisition ; que, par lettre du même jour, M. Y... a informé M. X... qu'en raison du refus de sa demande de prêt par la Caisse des dépôts et consignations, l'une des conditions suspensives à laquelle était subordonnée la cession ne s'était pas réalisée et qu'il n'entendait donner aucune suite au projet ; qu'ayant ultérieurement cédé son office à un autre notaire pour un prix inférieur à celui qui avait été fixé entre lui et M. Y..., M. X... a assigné celui-ci en réparation de son préjudice ;
Attendu que M. Y... fait grief à l'arrêt d'avoir dit que la non-réalisation de la condition suspensive liée à l'obtention d'un prêt destiné à acquérir l'office notarial lui était imputable et de l'avoir condamné à indemniser M. X..., alors, selon le moyen :
1°/ que la condition suspensive n'est réputée accomplie que si c'est le comportement fautif du débiteur engagé sous cette condition qui en a empêché l'accomplissement ; pour considérer que M. Y... avait fait obstacle à la condition suspensive de réalisation du prêt et qu'elle devait être réputée accomplie, les juges du fond ont considéré que celui-ci avait gardé le silence sur l'engagement pris le 24 novembre 2002 par M. X... afin de le prémunir contre un éventuel risque de mauvais report de clientèle, qu'il n'avait ainsi rien fait pour pallier les conséquences de son initiative auprès des instances professionnelles et que son comportement était à l'origine du refus de garantie opposé par l'Association notariale de caution et du refus de prêt opposé par la Caisse des dépôts et consignations, de sorte qu'en statuant ainsi, alors qu'il résultait des pièces versées aux débats que la Chambre départementale des notaires et le conseil régional des notaires s'étaient réunis respectivement les 6 novembre et 18 novembre 2002 et qu'à ces dates, M. Y... n'ayant pas encore eu connaissance de la convention du 24 novembre 2002, il lui était impossible de les informer de sa teneur afin d'influer sur leur avis, la cour d'appel n'a caractérisé ni le comportement fautif de M. Y..., ni le lien de causalité entre ce comportement et le refus de garantie opposé par l'Association notariale de caution puis le refus de prêt consécutif de la Caisse des dépôts et consignation, privant ainsi sa décision de base légale au regard du texte susvisé ;
2°/ que la condition suspensive n'est réputée accomplie que si c'est le comportement fautif du débiteur engagé sous cette condition, qui en a empêché l'accomplissement, si bien qu'en s'abstenant de répondre aux conclusions de M. Y... par lesquelles il avait fait valoir, d'une part que l'envoi à la Chambre départementale des notaires de la Manche d'une copie de la lettre du 6 novembre 2002 était commandé par l'obligation déontologique d'avoir à communiquer la totalité des éléments d'information de l'opération de la cession et qu'il n'avait donc rien de répréhensible, d'autre part qu'il avait appris, postérieurement à la signature de l'acte du 21 octobre 2002, que M. X... envisageait de demeurer dans le logement situé au dessus de l'étude et que cette circonstance était donc ignorée de lui au moment de la signature, ce qui avait justifié l'envoi d'une copie de la lettre du 6 novembre 2002 évoquant cette circonstance à la Chambre départementale des notaires, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article 1178 du code civil ;
3°/ que la condition suspensive n'est réputée accomplie que si c'est le débiteur, engagé sous cette condition, qui en a empêché l'accomplissement si bien qu'en reprochant à M. Y... de n'avoir pris aucune initiative auprès des instances professionnelles en dépit de la convention signée par M. X... le 24 novembre 2002 et de l'engagement de caution consenti par lui le 10 décembre 2002 et ce alors que la convention des parties ne lui imposait aucune diligence en ce sens, la cour d'appel a violé les articles 1134 et 1178 du Code civil ;
Mais attendu que la cour d'appel, qui a souverainement relevé que M. Y... avait adressé en copie à la chambre départementale des notaires, à qui elle n'était pas destinée, la lettre faisant part à M. X... de ses inquiétudes quant au risque de mauvais report de clientèle, qu'il n'avait pas signé la convention envoyée par M. X... où celui-ci prenait les engagements sollicités par son cocontractant et dont la conclusion aurait pu modifier la décision de l'association notariale de caution, qu'il s'était abstenu de communiquer ces engagements aux instances professionnelles, tous éléments qui avaient déterminé les organismes de cautionnement et de financement à refuser leurs concours, a pu en déduire que, par ce comportement, M. Y..., obligé sous la condition suspensive d'obtention d'un prêt, avait empêché l'accomplissement de cette condition, laquelle était alors réputée accomplie ; que le moyen ne peut être accueilli en aucune de ses branches ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. Y... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de M. Y..., le condamne à payer à M. X... la somme de 2 500 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du six mai deux mille dix.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Peignot et Garreau, avocat aux Conseils, pour M. Y...
Le moyen reproche à l'arrêt attaqué d'avoir dit que la non réalisation de la condition suspensive liée à l'obtention d'un prêt destiné à acquérir l'office notarial de DUCEY était imputable à Monsieur Dominique Y..., et de l'avoir condamné à payer à Maître Jean-Michel X... la somme de 29.000 € à titre de dommages et intérêts;
AUX MOTIFS ADOPTES QUE "le prêt sollicité auprès de la Caisse des Dépôts et Consignations a été refusé en raison du refus de l'ANC de le cautionner, ce refus étant motivé par l'environnement économique actuel et futur de l'office cédé, au regard notamment du "maintien de Me X... à proximité et de la réserve de clientèle à son profit"; que ces motifs reprenaient ceux exprimés par le Conseil Régional des Notaires dans sa délibération du 18 novembre 2002 faisant état, au regard de la lettre du 6 novembre adressée par M. Y... à Me X... "du risque d'évasion de la clientèle susceptible de remettre en cause les prévisions relatives à l'évolution des produits bruts de l'office" et en conséquence "d'un prix de cession élevé et d'un recours à l'emprunt élevé" justifiant, "en équité, la garantie du cédant relativement à l'emprunt"; que dans sa lettre du 20 février 2003 adressée à Me X... après le désistement du défendeur, le Conseil Régional soulignait d'ailleurs que son rôle était de veiller à ce que l'emprunt cautionné par la profession soit réaliste au regard des facultés de l'acquéreur; qu'il est constant, d'une part, que lors du traité de cession du 21 octobre 2002, M. Y... était informé de ce que Me X... allait prendre la charge de l'office créé à ST GREGOIRE, et, d'autre part, que le défendeur a communiqué de sa propre initiative la lettre qu'il avait adressée à Me X... quelques jours plus tôt dans laquelle il lui demandait de convenir d'un accord entre eux afin de "réduire, à défaut de pouvoir le supprimer", le risque de mauvais report de clientèle; que cette lettre, très argumentée au sujet de ce risque, faisait valoir que le prix de cession n'avait pas pris en compte celui-ci, et sollicitait de façon pressante un engagement de Me X... sur différents points, tels que son départ de sa maison de DUCEY dans le mois de la nomination de son successeur, la rétrocession par le cédant des émoluments perçus d'anciens clients de l'étude de DUCEY qui viendraient à le consulter et l'engagement de ne pas se réinstaller dans le département de la Manche dans un rayon de 35 kms de DUCEY pendant 5 ans;
qu'il est également constant que Me X... s'engageait formellement dans sa lettre en réponse du 24 novembre sur l'ensemble des demandes de M. Y..., sous la réserve d'une libération de la maison de DUCEY dans un délai plus lointain, adressant à M. Y... un exemplaire signé de la convention proposée, mais que de son côté, M. Y... n'a jamais signé cet accord, pourtant conforme à ses exigences, pas plus qu'il n'en a fait part à ses instances professionnelles, alors que cet accord aurait pu, correspondant aux voeux du Conseil Régional qui avait précisément stigmatisé l'absence d'accord préventif entre les parties, modifier la décision de l'ANC et par conséquent celle de la Caisse des Dépôts et Consignations, dès lors qu'il garantissait au maximum M. Y... des risques économiques liés à l'évasion de la clientèle de Me X...; qu'il apparaît donc que, tant par son initiative auprès des instances professionnelles au sujet des mesures à prendre par le cédant pour limiter le risque de "mauvais report" de la clientèle, démarche ayant consisté à communiquer une lettre qui n'était pourtant pas à l'origine destinée à être communiquée, que par la rétention ultérieure des engagements pris par son cocontractant, pourtant conformes à ses demandes, et par son abstention à signer la convention ad hoc, M. Y... a fait obstacle à la réalisation de la condition suspensives d'obtention d'un prêt, l'ensemble des éléments exposés étant directement à l'origine du refus devenu quasiment inéluctable des organismes concernés" (Jugement du 24 octobre 2006, p. 7 et 8),
ET AUX MOTIFS PROPRES QUE "le refus de cautionnement de l'A.N.C. en date du 20 décembre 2002 est motivé par le "maintien de Maître X... à proximité" et par la "réserve de clientèle à son profit" qui avaient été relevés par l'acquéreur dans son courrier du 6 novembre 2002, adressé en copie à la chambre des notaires de la Manche; mais attendu que d'une part l'engagement du vendeur en date du 24 novembre 2002 de libérer à terme sa maison de Ducey et de retourner à l'acquéreur les anciens clients, sous la sanction d'une rétrocession d'honoraires, et d'autre part l'engagement du vendeur en date du 10 décembre 2002 de cautionner au profit de l'A.N.C. le montant du prix de cession constituaient des garanties suffisantes pour un acquéreur de bonne foi qui était à temps de prendre les mesures nécessaires à pallier les conséquences de son initiative auprès des instances professionnelles; que l'attitude de l'acquéreur ayant fait obstacle à la condition suspensive de réalisation du prêt, cette condition doit être réputée accomplie" (Arrêt du 20 janvier 2009, p. 4),
ALORS QUE D'UNE PART, la condition suspensive n'est réputée accomplie que si c'est le comportement fautif du débiteur engagé sous cette condition qui en a empêché l'accomplissement ; que pour considérer que Monsieur Dominique Y... avait fait obstacle à la condition suspensive de réalisation du prêt et qu'elle devait être réputée accomplie, les juges du fond ont considéré que celui-ci avait gardé le silence sur l'engagement pris le 24 novembre 2002 par Maître Jean-Michel X... (jugement p. 8 § 2 et 3) afin de le prémunir contre un éventuel risque de mauvais report de clientèle, qu'il n'avait ainsi rien fait pour pallier les conséquences de son initiative (l'envoi du courrier du 6 novembre 2002) auprès des instances professionnelles et que son comportement était à l'origine du refus de garantie opposé par l'Association Notariale de Caution et du refus de prêt opposé par la Caisse des Dépôts et Consignations de sorte qu'en statuant ainsi, alors qu'il résultait des pièces versées aux débats que la Chambre Départementale des Notaires et le Conseil Régional des Notaires s'étaient réunis respectivement les 6 novembre et 18 novembre 2002 et qu'à ces dates, Monsieur Dominique Y... n'ayant pas encore eu connaissance de la convention du 24 novembre 2002, il lui était impossible de les informer de sa teneur afin d'influer sur leur avis, la Cour d'appel n'a caractérisé ni le comportement fautif de Monsieur Dominique Y..., ni le lien de causalité entre ce comportement et le refus de garantie opposé par l'Association Notariale de Caution puis le refus de prêt consécutif de la Caisse des Dépôts et Consignation, privant ainsi sa décision de base légale au regard du texte susvisé,
ALORS QUE D'AUTRE PART, la condition suspensive n'est réputée accomplie que si c'est le comportement fautif du débiteur engagé sous cette condition, qui en a empêché l'accomplissement si bien qu'en s'abstenant de répondre aux conclusions de Monsieur Dominique Y... par lesquelles il avait fait valoir d'une part que l'envoi à la Chambre Départementale des Notaires de la Manche d'une copie de la lettre du 6 novembre 2002 était commandé par l'obligation déontologique d'avoir à communiquer la totalité des éléments d'information de l'opération de la cession (conclusions d'appel p. 9 §3) et qu'il n'avait donc rien de répréhensible, d'autre part qu'il avait appris, postérieurement à la signature de l'acte du 21 octobre 2002, que Maître Jean-Michel X... envisageait de demeurer dans le logement situé au dessus de l'étude et que cette circonstance était donc ignorée de lui au moment de la signature, ce qui avait justifié l'envoi d'une copie de la lettre du 6 novembre 2002 évoquant cette circonstance à la Chambre Départementale des Notaires, la Cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article 1178 du Code civil,
ALORS QUE ENFIN, la condition suspensive n'est réputée accomplie que si c'est le débiteur, engagé sous cette condition, qui en a empêché l'accomplissement si bien qu'en reprochant à Monsieur Dominique Y... de n'avoir pris aucune initiative auprès des instances professionnelles en dépit de la convention signée par Monsieur Jean-Michel X... le 24 novembre 2002 et de l'engagement de caution consenti par lui le 10 décembre 2002 et ce alors que la convention des parties ne lui imposait aucune diligence en ce sens, la Cour d'appel a violé les articles 1134 et 1178 du Code civil.