LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Joint les pourvois n° P 09-71.624 et J 09-71.988 ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué rendu sur renvoi après cassation (1re Civ, 20 décembre 2007, Bull. 2007, I, n° 397), que victime d'une blessure à l'arme blanche, M. X... a été l'objet de transfusions sanguines le 30 mai 1981 ; qu'incarcéré depuis mai 1983, il a été déclaré le 4 mars 1988 contaminé par le virus d'immunodéficience humaine (VIH) et par le virus de l'hépatite C (VHC) ; qu'après enquête réalisée par l'Etablissement français du sang ayant permi d'identifier quatre donneurs dont deux n'ont pas été retrouvés, M. X... a saisi le 2 octobre 1999 le Fonds d'indemnisation des transfusés et hémophiles (le Fonds) d'une demande de dossier d'indemnisation du chef de la contamination par le VIH ; que l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM), venu aux droits du Fonds, lui ayant notifié un refus d'indemniser faute de lien causal certain entre les transfusions et la contamination, M. X... a formé un recours devant la cour d'appel de Paris ; que par arrêt du 19 décembre 2008, la cour d'appel a déclaré irrecevable la demande présentée par M. X... ès qualités de représentant légal de ses enfants, faute d'avoir soumis cette demande au Fonds, a déclaré l'ONIAM tenu d'indemniser M. X... du préjudice subi du fait de la contamination par le VIH, et, avant dire droit, a ordonné la réouverture des débats sur le préjudice ;
Sur le moyen unique du pourvoi n° P 09-71.624 pris en ses cinquième et sixième branches :
Vu les articles 455, 771 et 910 du code de procédure civile ;
Attendu que pour condamner l'ONIAM à payer à M. X... une somme provisionnelle de 312 520 euros à valoir sur l'indemnisation de son préjudice économique, l'arrêt énonce qu'il résulte des pièces produites aux débats que le préjudice professionnel dont il est demandé réparation peut avoir plusieurs causes autres que la contamination par le VIH, dès lors que M. X... a été victime d'un accident sur la voie publique, et qu'il souffre également d'une contamination par le VHC pour laquelle aucune demande indemnitaire n'a été formée et qui est indépendante de la présente procédure ; qu'il convient donc d'ordonner une expertise afin de déterminer de manière certaine, au vu du dossier médical, l'imputabilité de l'incapacité professionnelle soit au VIH, soit au VHC, soit à toute autre cause ; qu'eu égard à la longueur de la procédure et à l'ancienneté de la contamination, il sera fait droit à la demande formée par M. X... et il lui sera alloué à titre de provision la somme de 312 520 euros ;
Qu'en statuant ainsi, alors qu'il ressortait de ses constatations et énonciations que la dette d'indemnisation du préjudice économique de la victime à la charge de l'ONIAM était sérieusement contestable, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
Et sur la première branche du moyen unique du pourvoi n° J 09-71.988 :
Vu l'article 1382 du code civil ;
Attendu que pour débouter M. X... de sa demande d'indemnisation au titre de son préjudice moral pour avoir été contaminé par le VIH, l'arrêt énonce que M. X..., qui soutient ne pas pouvoir s'occuper de ses deux enfants en raison de son état de santé, subit un préjudice moral caractérisé par le fait qu'il n'a pas la garde de ceux-ci ; que cependant, ce préjudice doit être apprécié au regard des différents éléments à l'origine de l'impossibilité pour M. X... de s'occuper de ses enfants ; qu'en effet il ne résulte pas des pièces produites aux débats que les mesures d'assistance éducative prises à l'égard de ses deux enfants n'avaient pas pour seul motif l'incapacité physique de leur père, en raison de la contamination, à assumer ses fonctions parentales ; qu'en l'absence, en conséquence, d'éléments suffisamment probants quant au lien de causalité entre le préjudice moral dû à l'impossibilité d'avoir la garde de ses enfants et la contamination par le VIH, il sera débouté de sa demande d'indemnisation formée à ce titre ;
Qu'en statuant ainsi, alors qu'il ressortait de ses constatations que l'incapacité physique de M. X..., en raison de la contamination, d'assumer ses fonctions et devoirs parentaux, constituait l'un des faits ayant justifié les mesures d'assistance éducative prises au profit des enfants, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard du texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs des pourvois :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il alloue à M. X... la somme provisionnelle de 312 520 euros à valoir sur l'indemnisation de son préjudice économique et en ce qu'il déboute M. X... de sa demande de réparation du préjudice moral, l'arrêt rendu le 21 septembre 2009, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi en ce qui concerne la demande en réparation provisionnelle du préjudice économique de M. X... ;
Déboute M. X... de ce chef de demande ;
Renvoie pour le surplus, devant la cour d'appel de Versailles ;
Laisse à chaque partie la charge de ses propres dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes respectives des parties ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du trois février deux mille onze.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyen produit au pourvoi n° P 09-71.624 par la SCP Roger et Sevaux, avocat aux Conseils pour l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux (ONIAM)
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir alloué à Monsieur X... la somme provisionnelle de 312.520 euros à valoir sur l'indemnisation de son préjudice économique ;
Aux motifs que l'article L.3122-3 du Code de la santé publique dispose que la victime ne dispose du droit d'action en justice que si sa demande d'indemnisation a été rejetée, si aucune offre ne lui a été présentée dans le délai mentionné dans l'article L.3122-5 du même Code ou si elle n'a pas accepté l'offre qui lui a été faite ; qu'en l'espèce, Eddie X... a adressé le 2 octobre 2002 à l'ONIAM, une demande ainsi formulée « je vous prie de bien vouloir m'expédier un dossier d'indemnisation » après avoir rappelé les circonstances de sa contamination ; que l'ONIAM lui a répondu en transmettant un formulaire qualifié « formulaire administratif » qui ne comporte aucune demande d'indemnisation et que Monsieur Eddie X... a rempli ; que par suite, après de nombreux échanges de courriers, l'ONIAM a refusé d'admettre un lien de causalité entre la contamination par le VIH et la transfusion incriminée ; qu'en conséquence, Monsieur Eddie X... est recevable à demander en justice l'indemnisation de son préjudice économique dès lors qu'il n'a formellement déposé aucune demande indemnisation et que la seule décision qui lui a été notifiée a été celle du rejet du lien de causalité invoqué ; que cependant, il résulte des pièces produites aux débats que le préjudice professionnel dont il est demandé réparation peut avoir plusieurs causes autres que la contamination par le VIH dès lors que Monsieur Eddie X... a été victime d'un accident sur la voie publique et qu'il souffre également d'une contamination par le VHC pour laquelle aucune demande indemnitaire n'a été formée et qui est indépendante de la présente procédure ; qu'il convient donc d'ordonner une expertise afin de déterminer de manière certaine au vu du dossier médical, l'imputabilité de l'incapacité professionnelle soit au VIH, soit au VHC, soit à toute autre cause ; qu'eu égard à la longueur de la procédure et à l'ancienneté de la contamination, il sera fait droit à la demande de provision formée par Monsieur Eddie X... ; qu'il lui sera donc alloué à titre de provision la somme de 312.520 euros ;
Alors, de première part, qu'il résulte de l'article R.3122-20 du Code de la santé publique que les actions intentées devant la Cour d'appel de Paris contre l'ONIAM sont engagées, instruites et jugées conformément aux dispositions des articles R.3122-21 à R.3122-30 du même Code, par dérogation des dispositions du titre VI du livre II du Code de procédure civile qui ne sont dès lors pas applicables ; qu'aucune de ces dispositions ne permettant à la Cour d'appel d'accorder, lors même que l'obligation ne serait pas sérieusement contestable, une provision au demandeur, la Cour d'appel ne pouvait statuer de la sorte sans méconnaître l'étendue de ces pouvoirs en violation des textes précités, ensemble des articles 771 et 910 du Code de procédure civile ;
Alors, de deuxième part, qu'il résulte des articles L.3122-3 et R.3122-1 du Code de la santé publique que la Cour d'appel de Paris ne peut statuer, dans le cadre de l'instance contentieuse introduite devant elle, que sur les préjudices sur lesquels l'ONIAM a été préalablement mis en mesure de notifier une décision à la victime ; que la Cour d'appel de Paris qui a constaté que Monsieur X... avait sollicité un dossier d'indemnisation et avait répondu au questionnaire administratif que lui avait adressé l'ONIAM sans avoir « formellement déposé aucune demande d'indemnisation », ne pouvait estimer qu'il était recevable à saisir directement la Cour d'appel de Paris d'une demande d'indemnisation de son éventuel préjudice économique sans méconnaître la portée de ses énonciations en violation des dispositions précitées, et méconnaître à nouveau, par là même l'étendue de ses pouvoirs ;
Alors, de troisième part, que, Monsieur X... n'ayant sollicité de provision à hauteur de l'offre formulée par l'ONIAM au titre du préjudice spécifique de contamination, que dans l'hypothèse où il ne serait pas fait droit à sa demande à ce titre, la Cour d'appel qui y a fait droit, ne pouvait condamner l'ONIAM à lui payer en sus quelque provision sans méconnaître les termes du litige en violation des articles 4 et 5 du Code de procédure civile ;
Alors, de quatrième part, que la Cour d'appel qui a de surcroît constaté que Monsieur X... ne sollicitait au titre de la réparation définitive de son préjudice économique que la somme de 300.000 euros, ne pouvait lui accorder à titre de provision une somme supérieure à cette demande sans méconnaître de plus fort les termes du litige et violer les articles 4 et 5 du Code de procédure civile ;
Alors, de cinquième part, que la Cour d'appel qui n'explicite pas en quoi l'existence du préjudice économique subi par Monsieur X... et son imputabilité au VIH ne seraient pas sérieusement contestables a privé cette décision de toute motivation en violation de l'article 455 du Code de procédure civile ;
Et alors, enfin, qu'ayant ordonné une expertise « afin de déterminer de manière certaine au vu du dossier médical, l'imputabilité de l'incapacité professionnelle soit au VIH, soit au VHC, soit à toute autre cause », ce dont il résultait nécessairement que l'imputabilité de ce préjudice au VIH n'échappait pas à toute contestation sérieuse, la Cour d'appel ne pouvait, sans méconnaître la portée de ses propres énonciations, en violation des articles 771 et 910 du Code de procédure civile, condamner l'ONIAM à payer quelque provision à ce titre à Monsieur X... ;
Moyen produit au pourvoi n° J 09-71.988 par Me Blanc, avocat aux Conseils pour M. X...
Il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir débouté Monsieur X... de sa demande d'indemnisation au titre de son préjudice moral pour avoir été contaminé par le virus d'immunodéficience humaine à l'occasion d'une transfusion sanguine le 30 mai 1981 ;
Aux motifs que les mesures d'assistance éducative prises à l'égard de ses deux enfants n'avaient pas pour seul motif l'incapacité physique de leur père, en raison de la contamination, à assumer ses fonctions parentales ; qu'en l'absence, en conséquence, d'éléments suffisamment probants quant au lien de causalité entre le préjudice moral dû à l'impossibilité d'avoir la garde de ses enfants et la contamination par le VIH, il serait débouté de sa demande d'indemnisation formée à ce titre ;
Alors que, 1°) la cause étrangère n'exonère totalement l'auteur de la faute de sa responsabilité que si elle présente le caractère de la force majeure ;
que dans le cas contraire, l'existence d'autres causes n'est pas exonératoire ou alors seulement partiellement ; qu'après avoir constaté que l'incapacité physique du père en raison de sa contamination n'était pas la seule cause des mesures d'assistance éducative prises à l'égard de ses enfants, ce dont il résultait qu'elle constituait bien l'une d'entre elles, sans relever que les autres causes présentaient le caractère de la force majeure qui seul aurait eu un effet exonératoire total, la cour a violé l'article 1382 du code civil ;
Alors que, 2°) si M. X... avait par ailleurs indiqué que son dénuement financier avait contribué à le priver de la possibilité d'éduquer ses enfants, il avait précisé qu'il était la conséquence directe de sa maladie, d'où il résultait que le préjudice moral invoqué était de ce point de vue aussi imputable à la contamination ; qu'en ne recherchant pas, ainsi qu'elle y était invitée, si le dénuement financier résultant de la contamination n'avait pas contribué au préjudice moral invoqué, la cour d'appel a privé son arrêt de base légale au regard de l'article 1382 du code civil.