LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique pris en sa seconde branche :
Vu l'article 16 du code de procédure civile ;
Attendu que par acte du 2 mai 2001, l'exploitation agricole à responsabilité limitée Jeanée (l'EARL), constituée par M. et Mme X..., a conclu un contrat d'intégration avec la société Tendriade Collet élevage (la société) ; qu'en 2006, l'EARL a assigné la société afin de voir constater la rupture à ses torts de cette convention et d'obtenir le paiement de diverses sommes ; que Mme X... a été appelée à l'instance ;
Attendu que pour débouter l'EARL de ses prétentions, l'arrêt attaqué relève que Mme X..., qui avait la charge concrète de l'élevage, avait manifesté et d'ailleurs mis à exécution son intention de quitter l'exploitation tant en raison d'une procédure de divorce que de problèmes de santé et retient que cette information était de nature à suspendre l'exécution de la convention, voire à entraîner sa résiliation de plein droit en vertu de l'article 11 c du contrat ;
Qu'en statuant ainsi sur le fondement de stipulations autres que celles que les parties invoquaient au soutien de leurs prétentions, sans inviter préalablement celles-ci à présenter leurs observations, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la première branche :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 30 décembre 2009, entre les parties, par la cour d'appel de Pau ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Toulouse ;
Condamne la société Tendriade Collet élevage aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société Tendriade Collet élevage ; la condamne à payer à l'EARL Jeanée la somme de 3 000 euros ; Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du trois mars deux mille onze.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Lyon-Caen, Fabiani et Thiriez, avocat aux Conseils, pour la société Jeanée
Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir dit que la rupture de la convention liant les parties ne pouvait être imputée à la société TENDRIADE COLLET et d'avoir débouté l'EARL JEANEE de ses demandes de paiement d'indemnités de retard et de rupture ainsi que de dommages-intérêts en réparation du préjudice moral et financier ;
Aux motifs que la commission nationale paritaire Veau de boucherie, réunie le 30 août 2008 en application de la clause préalable de conciliation prévue au contrat, a indiqué » n'avoir « pu statuer sur la responsabilité de rupture de contrat de l'une ou l'autre des parties » ; qu'il résulte des pièces contractuelles conformes au contrat type prévu à l'article L 326-5 du Code rural dans l'hypothèse d'un contrat longue durée sur 10 bandes comme en l'espèce, le vide sanitaire ne peut être inférieur à 10 jours par intervalle ni supérieur à 28 jours en moyenne annuelle (nombre de jours/nombre d'intervalles) ; que le retard dans la livraison d'une bande n'est pas en soi une cause de rupture du contrat mais donne droit à une indemnisation forfaitaire qui ne peut dégénérer en résiliation du contrat conformément au droit commun qu'en cas de manquements aux obligations de l'entreprise manifestes, répétés et s'agissant de durée de livraison des bandes, anormalement longs ; qu'en l'espèce, il n'est pas discuté que la 8ème bande de veaux avait été remise à l'intégrateur le 3 janvier 2006 ; que la société TENDRIADE disposait donc pour la livraison de l'avant dernière bande de veaux d'un délai s'achevant bien le 31 janvier 2006 comme retenu par le premier juge, la société TENDRIADE ne précisant pas les données de son calcul aboutissant à la date du 15 février 2006 ; qu'en tout état de cause, à la date du constat d'huissier relevant l'absence de livraison au 22 février 2006, l'intervalle commençait effectivement à présenter une durée anormale sans pour autant revêtir en soi une cause de rupture imputable à la société TENDRIADE dès lors qu'en l'espèce celle-ci était dépositaire d'informations susceptibles de mettre en doute la capacité de la société JEANEE à poursuivre l'exécution du contrat ; qu'en effet, il ressort des déclarations de Madame X... devant l'expert médical et de ses conclusions responsives en première instance signifiées le 16 octobre 2007, non démenties par la société JEANEE, que Madame X... avait principalement la charge de l'élevage des veaux et était « en relation constante » avec la société TENDRIADE ; qu'elle était ainsi non seulement co-gérante de la société JEANEE mais aussi celle qui avait la charge concrète de l'élevage des bandes de veaux et donc de l'exécution du contrat ; que quelles que soient les conditions de rédaction du courrier daté du 23 février 2006 et de son contenu ambigu, il est tout aussi constant que Madame X... a manifesté et d'ailleurs mis à exécution son intention de quitter l'exploitation tant en raison d'une procédure de divorce que de problèmes de santé ; que dans le contexte d'une société entre époux dont la femme co-gérante s'occupe matériellement de l'activité bovine, une telle information déjà donnée oralement le 16 février 2006 était de nature à suspendre l'exécution du contrat voire même à entraîner sa résiliation de plein droit en vertu de l'article 11 c du contrat qui prévoit qu'en cas de maladie survenue à l'éleveur ou « à toute autre personne indispensable à la conduite de l'élevage », l'éleveur doit en informer l'intégrateur et prendre toutes dispositions pour que la bande de veaux en cours soit conduite à bonne fin ; qu'il n'était donc pas fautif pour la société TENDRIADE d'attendre une information concrète sur les dispositions que Monsieur X... entendait prendre pour lui permettre d'accueillir une nouvelle bande de veaux ; que l'attestation d'un animateur du service de remplacement produite en cours d'instance par Madame X... montre que cette dernière avait bien entamé des démarches en ce sens mais qu'aucune suite n'avait été donnée à ce service qui avait pris contact pour l'organisation de ce remplacement ; que tant le constat d'huissier du 22 février 2006 que la sommation interpellative du 2 mars 2006 n'informent nullement sur la capacité de l'éleveur à assumer ses obligations contractuelles alors que le mari co-gérant ne pouvait ignorer le départ de son épouse et à tout le moins son arrêt de travail ; que cette dernière a d'ailleurs écrit officiellement le 7 mars 2006 pour se retirer de la société et qu'elle avait fait assigner son mari en divorce le 27 février 2006 après avoir quitté le domicile conjugal à tout le moins depuis le 24 février 2006 (attestation du centre d'hébergement l'ayant accueillie à compter de cette date) ; que la procédure tendant à voir déclarer la société TENDRIADE responsable des troubles soufferts par Madame X... est postérieure au litige sur l'exécution du contrat ( ordonnance du 8 novembre 2006 désignant l'expert médical) et ne peut servir d'argument à la thèse soutenue par l'EARL JEANEE selon laquelle l'intégrateur aurait voulu mettre prématurément un terme à la convention en raison de l'implication de ses produits dans la maladie de Madame X... ; que l'expert a d'ailleurs considéré qu'il n'est pas possible de confirmer de manière absolue une affiliation directe, certaine, et exclusive avec le produit incriminé alors que l'asthme présentée par Madame X... était lié à divers autres facteurs dont le stress, tabagisme et infectieux ORL ; qu'en contemplation de l'ensemble de ces constatations et des normes contractuelles, la rupture de la convention liant les parties ne peut être imputée au fait de la société TENDRIADE et qu'infirmant intégralement la décision de première instance, il convient de débouter l'EARL JEANEE de l'ensemble de ses demandes à l'égard de l'appelante ;
Alors, d'une part, que le juge ne peut fonder sa décision sur des faits qui ne sont pas dans le débat ; que, pour juger que la rupture de la convention liant les parties ne pouvait être imputée au fait de la société TENDRIADE, la Cour d'appel a considéré que cette dernière était « dépositaire d'informations susceptibles de mettre en doute la capacité de la société JEANEE à poursuivre l'exécution du contrat » et qu'elle était en droit d'« attendre une information concrète sur les dispositions que Monsieur X... entendait prendre pour lui permettre d'accueillir une nouvelle bande de veaux » ; qu'en retenant ainsi des circonstances de fait qui n'étaient pas dans le débat et dont elle a déduit l'absence de caractère fautif du comportement de la société TENDRIADE qui avait refusé de livrer la 9ème bande de veaux, la Cour d'appel a violé l'article 7 du Code de procédure civile ;
Alors, d'autre part, que le juge ne peut faire application d'office de dispositions d'un contrat sans inviter les parties à s'en expliquer ; que, pour dire que la rupture de la convention liant les parties ne pouvait être imputée au fait de la société TENDRIADE et débouter l'EARL JEANEE de sa demande en paiement d'une indemnité de rupture et de dommages intérêts, l'arrêt attaqué se fonde sur l'article 11 c du contrat d'élevage de veaux du 2 mai 2001, selon lequel le contrat peut être suspendu ou résilié en cas de maladie survenue à l'éleveur ou à toute autre personne indispensable à la conduite de l'élevage, qu'aucune des parties n'avait invoqué ; qu'en statuant ainsi, la Cour d'appel a violé l'article 16 du Code de procédure civile.