LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu que le magazine Le Point a publié dans son édition du 17 juin 2010 un article de M. X... intitulé " Mes enregistrements secrets du Maître d'hôtel ", dans lequel il était relaté que le maître d'hôtel de Mme
Y...
avait, un an durant à partir du mois de mai 2009, capté les propos échangés dans la salle de l'hôtel particulier de Neuilly-sur-Seine où Mme Y... tenait " ses réunions d'affaires " avec certains de ses proches dont M. Z... chargé de la gestion de sa fortune ; que l'article diffusé le 14 juin sur le site de l'hebdomadaire, fut suivi d'autres, les 17 et 21 juin, également diffusés sur ce site ; que M. Z... a assigné la société d'exploitation de l'hebdomadaire Le Point, MM. A..., directeur de la publication et X..., journaliste, devant le juge des référés pour, notamment, voir ordonner le retrait du site de l'hebdomadaire de tout ou partie de la transcription des enregistrements illicites réalisés au domicile de Mme Y..., l'interdiction de toute nouvelle publication de ces retranscriptions et la publication d'un communiqué judiciaire ;
Sur le premier moyen :
Vu les articles 226- 1et 226-2 du code pénal ensemble l'article 809 du code de procédure civile ;
Attendu que pour rejeter les demandes de M. Z... tirées de l'existence d'un trouble manifestement illicite, l'arrêt énonce que l'article 226-2 du code pénal n'englobe pas dans sa prévention la diffusion de tout enregistrement de propos réalisé – « dans la sphère privée » – sans le consentement de l'auteur qui les a tenus, mais uniquement ceux qui portent « atteinte à l'intimité de la vie privée d'autrui », comme l'énonce l'article 226-1 du code pénal, que relèvent par essence de l'intimité de la vie privée, la vie affective et sentimentale, la vie familiale ainsi que la santé physique et mentale de la personne et qu'il s'ensuit que le seul fait que les propos diffusés aient été enregistrés dans le consentement de leurs auteurs, n'est donc pas en lui-même suffisant pour qualifier de manifestement illicite le trouble causé par leur diffusion ; que l'arrêt ajoute que les entretiens publiés concernent la gestion du patrimoine de Liliane Y... et sont de nature professionnelle pour M. Z... et patrimoniale pour Mme Y... et que les informations ainsi révélées mettant en cause la principale actionnaire de l'un des premiers groupes industriels français, et dont l'activité et les libéralités font l'objet de très nombreux commentaires publics, relèvent de la légitime information du public ;
Attendu cependant que constitue une atteinte à l'intimité de la vie privée, que ne légitime pas l'information du public, la captation, l'enregistrement ou la transmission sans le consentement de leur auteur des paroles prononcées à titre privé ou confidentiel ; d'où il suit qu'en statuant comme elle l'a fait, quand il ressort de ses propres constatations que les entretiens litigieux présentaient un tel caractère, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
Et sur le second moyen :
Vu l'article 696 du code de procédure civile ;
Attendu que l'arrêt qui a déclaré irrecevable l'intervention volontaire de M. B... a condamné M. Z... aux entiers dépens ;
Qu'en statuant ainsi sans motiver sa décision de ne pas laisser à la charge de M. B... les dépens afférents à son intervention, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt n° 331 rendu le 23 juillet 2010, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Versailles ;
Condamne la société d'exploitation de l'hebdomadaire Le Point SEBDO et MM. X..., A... et B... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de MM. X... et A... et de la société d'exploitation de l'hebdomadaire Le Point SEBDO, condamne, solidairement, la société d'exploitation de l'hebdomadaire Le Point SEBDO et MM. X..., A... et B... à payer la somme de 3 500 euros à M. Z... ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du six octobre deux mille onze.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Roger et Sevaux, avocat aux Conseils, pour M. Z...
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir débouté Monsieur Z... de ses demandes, déduites de l'existence d'un trouble manifestement illicite constitué par la publication d'enregistrements réalisés à son insu au domicile de Madame Liliane Y... de conversations privées qu'il a eues avec celle-ci et du dommage imminent susceptible d'être causé à ses droits ;
Aux motifs propres que Patrice Z... soutient que la mise à disposition du public de propos que leurs auteurs ont tenus à titre privé et/ ou confidentiel et qui ont été enregistrés à leur insu à l'aide de l'un des actes prévus par l'article 226-1 du Code pénal, est sanctionnée par l'article 226-2 dudit Code et constitue en conséquence un trouble manifestement illicite ; que, ceci rappelé, l'article 226-1 du Code pénal énonce : « est puni d'un an d'emprisonnement et de 45. 000 euros d'amende le fait, au moyen d'un procédé quelconque, volontairement de porter atteinte à l'intimité de la vie privée d'autrui : 1°/ en captant, enregistrant ou transmettant, sans le consentement de leur auteur, des paroles prononcées à titre privé ou confidentiel ; 2°/ en fixant, enregistrant ou transmettant, sans le consentement de celle-ci, l'image d'une personne se trouvant dans un lieu privé. Lorsque les actes mentionnés au présent article ont tété accomplis au vu et au su des intéressés sans qu'ils s'y soient opposés, alors qu'ils étaient en mesure de le faire, le consentement de ceux-ci est présumé » ; que l'article 226-2 du Code pénal dispose quant à lui : « est puni des mêmes peines le fait de conserver, porter ou laisser porter à la connaissance du public ou d'un tiers ou d'utiliser de quelque manière que ce soit tout enregistrement ou document obtenu à l'aide de l'un des actes prévus à l'article 226-1 » ; que ces articles ne peuvent être isolés du contexte dans lequel ils s'insèrent ; qu'en effet ils prennent place au chapitre VI intitulé « Des atteintes à la personnalité » et à la première section de ce chapitre qui traite exclusivement, comme le relèvent les intimés, « De l'atteinte à la vie privée » ; que par ailleurs, l'article 226-2 du Code pénal souligne sa filiation par rapport à l'article qui le précède en prévoyant « les mêmes peines » pour des actes de conservation ou d'usage de tout enregistrement « obtenu à l'aide de l'un des actes prévus à l'article 226-1 » ; qu'il suit que sauf à se méprendre sur la portée de ces dispositions qui, définissant une infraction pénale, ne peuvent qu'être strictement interprétées, l'article 226-2 n'englobe pas dans sa prévention la diffusion de tout enregistrement de propos réalisé – « dans la sphère privée » – sans le consentement de l'auteur qui les a tenus, mais uniquement ceux qui portent « atteinte à l'intimité de la vie privée d'autrui », comme l'énonce en ouverture l'article 226-1 du Code pénal ; que relèvent par essence de l'intimité de la vie privée, la vie affective et sentimentale, la vie familiale ainsi que la santé physique et mentale de la personne ; qu'il suit que le seul fait que les propos diffusés aient été enregistrés dans le consentement de leurs auteurs, n'est donc pas en lui-même suffisant pour qualifier de manifestement illicite le trouble causé par leur diffusion ; que c'est dès lors à bon droit que le premier juge s'est penché sur le contenu des enregistrements diffusés pour examiner s'ils portaient ou non atteinte « à l'intimité de la vie privée » des protagonistes de ces entretiens et si le droit de toute personne au respect de sa vie privée devait céder devant la liberté d'information par le texte ou par l'image ; qu'à cet égard les entretiens publiés par les articles litigieux et incriminés par l'appelant concernent en premier lieu la gestion du patrimoine de Liliane Y... ; que l'appelant n'établit ni ne soutient d'ailleurs que les propos diffusés porteraient atteinte à l'intimité de sa vie privée au sens de l'article 226-1 précité ; que la Cour fera donc sienne l'analyse que le premier juge donne de ces entretiens au terme de laquelle il apparaît que l'ensemble des propos litigieux dont de nature professionnelle pour Patrice Z... et patrimoniale pour Liliane Y... ; qu'il sera observé enfin que les informations ainsi révélées qui mettent en cause la principale actionnaire de l'un des premiers groupes industriels français, et dont l'activité et les libéralités font l'objet de très nombreux commentaires publics, relèvent de la légitime information du public ; qu'il en est a fortiori de même lorsque ces informations, concernant l'employeur de la femme d'un ministre de la République, alors trésorier d'un partie politique ;
Et aux motifs, repris du premier juge, qu'aux termes des dispositions de l'article 226-1 du Code pénal, est punissable le fait, au moyen d'un procédé quelconque de porter volontairement atteinte à l'intimité de la vie privée d'autrui en captant, enregistrant ou transmettant sans le consentement de leur auteur des paroles prononcées à titre privé ou confidentiel, l'article 226-2 du même Code prévoyant qu'est puni des mêmes peines le fait de conserver, porter ou laisser porter à la connaissance du public ou d'un tiers ou d'utiliser de quelque manière que ce soit tout enregistrement ou document obtenu à l'aide de l'un des actes prévus par l'article 226-1 ; qu'il n'appartient pas au juge des référés de déterminer dans quelles conditions l'employé de maison de Liliane Y... aurait commis l'infraction prévue à l'article 226-1 en procédant à l'enregistrement des entretiens ayant eu lieu au domicile de son employeur, étant précisé que les défendeurs, qui en ont eu connaissance, ne contestent pas qu'il a été pratiqué de façon déloyale dans « le climat délétère qui entoure les polémiques de cette affaire » ; que l'admission de l'argumentation du demandeur selon laquelle la prohibition instaurée par l'article 226-2 du Code pénal constituerait une infraction autonome, non soumise aux conditions du premier alinéa de l'article 226-1, restreindrait de façon excessive et non justifiée la possibilité pour les journalistes de remplir efficacement leur mission, en les empêchant de livrer à leurs lecteurs tout ou partie des sources documentaires qui nourrissent leur commentaires et analyses, lorsque ceux-ci peuvent s'autoriser du droit légitime d'information du public sur des sujets d'intérêt général ou d'actualité ; que l'existence d'un trouble manifestement illicite ou d'un dommage imminent, qui résulterait du non respect de l'article 226-2 doit donc être recherchée au regard des dispositions de l'article 226-1 du même Code, lequel vise expressément les atteintes à l'intimité de la vie privée ; que le seul fait que les propos tenus par Patrice Z... aient été enregistrés sans son consentement n'étant pas nécessairement source d'un trouble manifestement illicite, seul le contenu des informations ainsi révélées peut éventuellement caractériser l'atteinte alléguée ; qu'il sera rappelé que le droit de toute personne au respect et à la protection de sa vie privée doit se concilier avec la liberté d'expression, proclamée par l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et consacrée par l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et le cas échéant, céder devant la liberté d'informer par le texte ou par l'image ; que certains événements d'actualité ou sujets d'intérêt général pouvant justifier une publication, sans le consentement des personnes concernées, au motif du droit légitime du public à l'information, il est ainsi admis qu'une personne se trouvant impliquée dans un fait divers ou une affaire judiciaire ne peut, au motif du respect dû à sa vie privée, s'opposer à la publication d'informations qui se trouveraient en rapport direct avec les faits évoqués ou qui seraient susceptibles de les éclairer, ces informations relèveraient-elles de la sphère normalement protégée de sa vie privée ; qu'en l'espèce, l'analyse des différents « verbatim » litigieux montre que dans le premier passage sous le titre « C... a été violent avec vous, c'est inacceptable », il est principalement fait état de la mise en garde faite le 29 octobre 2009 par le demandeur à Liliaine Y... à propos du comportement de François-Marie C..., que les deuxième et troisième passages ne concernent pas le demandeur et que dans les sixième et septième passages il est évoqué la façon dont Liliane Y... aurait « été dépossédée de son île aux Seychelles … au profit de C... », ainsi que les difficultés relatives à l'entretien de cette île, sans qu'aucune information concernant Patrice Z... ne soit publiée ; que seul le quatrième extrait ayant pour sous-titre « Je ne veux pas que votre fille ou quiconque soit au courant » relatant comment « le gestionnaire des comptes de la vieille dame use de son influence auprès d'elle pour se faire accorder assez d'argent pour s'offrir un voilier », dans lequel Patrice Z... explique qu'il serait très heureux de pouvoir acheter « le bateau de ses rêves », mais qu'il faut que cela se fasse « de la main à la main » et que la somme prélevée à cet effet sur un compte en Suisse lui soit remise sans que personne ne soit au courant et surtout pas le banquier, implique le demandeur en donnant des précisions le concernant directement ; que si les rêves du demandeur relèvent de la sphère privée, il ne saurait être utilement contesté que le fait pour Patrice Z..., employeur de l'épouse de l'actuel ministre des affaires sociales et trésorier national de l'UMP, ministre du Budget de mai 2007 à mars 2010, qui lui avait remis en janvier 2008 les insignes de chevalier de la Légion d'Honneur, de se faire offrir, dans des conditions pour le moins curieuses, un voilier par Liliane Y..., dont il est chargé de gérer la fortune, constitue une information susceptible d'être légitimement portée à la connaissance du public ; qu'ordonner le retrait des documents relevant de la publication d'informations légitimes et intéressant l'intérêt général reviendrait à exercer une censure contraire à l'intérêt public, sauf à ce que soit contesté le sérieux de la reproduction des enregistrements ce qui n'est pas le cas en l'espèce ; que compte tenu de l'ensemble de ces éléments, il convient de rejeter les demandes formées par Patrice Z..., la publication des extraits litigieux ne caractérisant pas, avec le degré d'évidence requis en référé, un trouble manifestement illicite ou un dommage imminent ;
Alors, de première part, que l'article 226-2 du Code pénal érige en délit le fait de porter à la connaissance du public un enregistrement obtenu à l'aide de l'un des actes prévus par l'article 226-1 du même Code, notamment par l'enregistrement, sans le consentement de leur auteur, de paroles prononcées à titre privé ou confidentiel ; qu'il importe peu dès lors que l'infraction prévue par l'article 226-1 du Code pénal soit ou non constituée ; qu'en subordonnant dès lors la constatation de l'illicéité de la publication critiquée par Monsieur Patrice Z... à la preuve de ce que les enregistrements litigieux portaient atteinte à l'intimité de sa vie privée, la Cour d'appel a méconnu les dispositions de l'article 226-2 du Code pénal, ensemble l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Alors, de deuxième part, et en toute hypothèse, que l'atteinte à l'intimité de la vie privée requise par ce texte est suffisamment caractérisée par le fait d'enregistrer, sans le consentement de leur auteur, des paroles prononcées à titre privé ou confidentiel, notamment dans un lieu privé ; qu'en subordonnant dès lors l'illicéité de la publication critiquée par Monsieur Patrice Z... au fait que le contenu des extraits des enregistrements ainsi portés à la connaissance du public ait porté sur des éléments ressortant de l'intimité de sa vie privée, la Cour d'appel a méconnu les articles 226-1 et 226-2 du Code pénal ;
Alors, enfin, que l'interdiction sanctionnée par l'article 226-2 du Code pénal est conforme aux dispositions de l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dès lors qu'elle est prévue par la loi, répond à un but légitime et s'avère nécessaire, dans une société démocratique à la protection des droits des personnes dont les conversations ont été ainsi surprises, dès lors qu'elle vient s'opposer, à la seule publication, sollicitée par l'une des parties à un litige n'intéressant en lui même aucune question d'intérêt général, au-delà de la curiosité publique indécente qu'il suscite et qui est entretenue par les organes de presse, de l'enregistrement réalisé à l'insu des intéressés, sans leur consentement, de conversations privées ou confidentielles tenues dans un lieu privé ; que la Cour d'appel ne pouvait donc faire prévaloir sur cette interdiction les prétendus besoins de la légitime information du public, sans violer, par fausse application, l'article 10 précité ;
SECOND MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir condamné Monsieur Z... aux entiers dépens de l'instance ;
Alors que la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie ; que la Cour d'appel qui a déclaré irrecevable pour défaut d'intérêt l'intervention volontaire de Monsieur Arnaud B... en l'instance d'appel ne pouvait dès lors, à défaut de décision motivée en ce sens, mettre à la charge de Monsieur Z... les dépens afférents à ladite intervention, sans violer l'article 696 du Code de procédure civile ;