LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Vu l'article 706-5 du code de procédure pénale ;
Attendu qu'en application de ce texte, le préjudice nouveau subi par la victime par ricochet du fait du décès de la victime directe, survenu après l'expiration du délai de forclusion, étant indissociable de son préjudice initial, le relevé de forclusion prévu par ce texte à son profit lorsqu'elle n'a pas agi dans le délai initial requis, lui permet de faire valoir ses droits à indemnisation pour l'ensemble de son préjudice, dès lors que l'aggravation du préjudice que constitue ce décès est en relation de causalité directe et certaine avec les faits ayant causé le dommage initial ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, rendu sur renvoi après cassation (2e Civ., 19 novembre 2009, n° 08-18.934), que Mohamed X... a été victime le 31 janvier 1993 d'une tentative de meurtre par arme à feu, lui occasionnant de graves blessures ; qu'une cour d'assises a, le 10 mars 1995, condamné l'auteur des faits, puis, statuant sur les intérêts civils, a, par arrêt du 14 février 2001, alloué diverses sommes à la victime en réparation de son préjudice corporel ; que Mohamed X..., après avoir relevé appel de cette décision le 7 janvier 2003, est décédé le 25 janvier 2004 ; que ses enfants, M. Ali Alain X... , M. Didier Farid X... et Mme Patricia X... (les consorts X...), ont saisi une commission d'indemnisation des victimes d'infraction (CIVI) par requête du 17 janvier 2006 en sollicitant l'indemnisation de leurs préjudices personnels ; que par décision du 30 mars 2007 confirmée par arrêt du 16 mai 2008, les demandes des consorts X... ont été déclarées irrecevables au motif que la mort de Mohamed X... n'était pas constitutive d'une aggravation de son préjudice et que les enfants, victimes par ricochet, ne pouvaient se prévaloir d'une aggravation de leur préjudice personnel du fait du décès de leur père ; que cet arrêt a été cassé pour violation de l'article 706-5 du code de procédure pénale, au motif que les consorts X... invoquaient le décès de leur père, élément nouveau, en relation, selon eux, avec l'évolution des séquelles de son agression, survenue après le délai de forclusion ;
Attendu que pour déclarer irrecevables comme prescrites les demandes des consorts X... tendant à l'indemnisation de leur préjudice personnel subi avant le décès de leur père, l'arrêt retient qu'aux termes de l'article 706-5 du code de procédure pénale, le requérant peut être relevé de forclusion dans trois cas, s'il n'a pas été en mesure de faire valoir ses droits dans les délais requis, s'il a subi une aggravation de son préjudice ou pour tout autre motif légitime ; que les consorts X... n'étant pas en mesure de faire valoir le préjudice personnel qu'ils ont subi à la suite de la mort de leur père avant qu'elle n'intervienne, ils se trouvent, en ce qui concerne l'indemnisation de leur préjudice lié à son décès, dans la première hypothèse du texte précité et qu'il convient d'accueillir leur demande en relevé de forclusion ; qu'en revanche, leurs demandes d'indemnisation par le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions du préjudice subi avant décès doivent être déclarées irrecevables dès lors qu'ils étaient en mesure d'agir dans les délais légaux, les différentes expertises ordonnées montrant que, très présents auprès de leur père, les consorts X... pouvaient faire valoir leurs droits au moins depuis la date de consolidation fixée le 10 février 1999, l'état de leur père n'ayant pas subi d'aggravation postérieurement et jusqu'au décès ;
Qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déclare irrecevables comme prescrites les demandes de MM. Ali, Farid et Mme Patricia X... tendant à l'indemnisation du préjudice personnel subi avant le décès de leur père, l'arrêt rendu le 16 février 2011, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Versailles ;
Condamne le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions à payer la somme globale de 2 500 euros à M. Ali Alain X..., M. Didier Farid X... et Mme Patricia X... ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-huit juin deux mille douze.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Boré et Salve de Bruneton, avocat aux Conseils, pour M. Didier X..., Mme Patricia X... et M. Ali X...
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR déclaré irrecevables comme prescrites, les demandes de Monsieur Ali Alain X..., de Monsieur Didier Farid X... et de Mademoiselle Patricia X... tendant à l'indemnisation de leur préjudice personnel subi avant le décès de leur père ;
AUX MOTIFS QUE sur le relevé de forclusion ; que les consorts X... formulent des demandes qu'il convient de distinguer au regard des dispositions régissant la forclusion de leur action ; qu'ils sollicitent, d'une part, l'indemnisation d'un double préjudice subi du vivant de leur père, d'autre part, l'indemnisation lié à son décès ; qu'aux termes de l'article 706-5 du Code de procédure pénale, la demande doit être formulée, soit avant l'expiration d'un délai de trois ans à compter de l'infraction, soit dans l'année de la décision définitive rendue sur l'action publique ou sur l'action civile engagée devant la juridiction répressive ; qu'il n'est pas contesté que ce délai a expiré le 14 février 2002, la Cour d'assises de PARIS ayant statué sur les intérêts civils le 14 février 2001 ; que cependant le même texte dispose que le requérant peut être relevé de la forclusion dans trois cas, s'il n'a pas été en mesure de faire valoir ses droits dans les délais requis, s'il a subi une aggravation de son préjudice ou pour tout autre motif légitime ; que ces critères doivent être appréciés par rapport aux victimes par ricochet, qui sollicitent l'indemnisation de leur préjudice personnel et non par rapport à la victime directe, de sorte que le jugement doit être infirmé en ce qu'il a retenu que la mort n'aggravait pas le préjudice propre à Mohammed X... ; que les consorts X... n'étant pas en mesure de faire valoir le préjudice personnel qu'ils ont subi à la suite de la mort de leur père avant qu'elle n'intervienne, se trouvent dans la première hypothèse du texte précité et qu'il convient d'accueillir leur demande en relevé de forclusion ; qu'en revanche, leur demande d'indemnisation du préjudice subi avant décès doivent être déclarées irrecevables dès lors qu'ils étaient en mesure d'agir dans les délais légaux, les différentes expertises ordonnées montrant que très présents auprès de leur père, ils pouvaient faire valoir leurs droits au moins depuis la date de consolidation fixée le 10 février 1999, l'état de leur père n'ayant pas subi d'aggravation postérieurement et jusqu'au décès ;
1°) ALORS QUE le requérant doit être relevé de la forclusion lorsqu'il n'a pas été en mesure de faire valoir ses droits dans les délais requis ou lorsqu'il a subi une aggravation de son préjudice ou pour tout autre motif légitime ; que le législateur, en déterminant trois critères alternatifs de relevé de forclusion, a voulu donner à la victime la possibilité de solliciter une indemnisation quand son état a empiré au-delà de ses prévisions ; que l'aggravation étant indissociable du préjudice initial, le relevé de forclusion permet, pour la victime qui n'a pas agi dans le délai initial requis, de faire valoir ses droits à indemnisation pour l'ensemble de son préjudice ; que le décès de leur père, victime directe, constitue une cause d'aggravation du préjudice subi par ses enfants, victimes par ricochet ; qu'en jugeant que, du fait de ce décès, les exposants ne pourraient être relevés que partiellement de la forclusion, et qu'ils ne pourraient obtenir l'indemnisation que de leur préjudice consécutif au décès, mais pas de leur préjudice antérieur au décès, la Cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé l'article 706-5 du Code de procédure pénale ;
2°) ALORS QUE les critères de nature à justifier leur relevé de forclusion doivent être appréciés par rapport aux victimes par ricochet, qui sollicitent l'indemnisation de leur préjudice personnel et non par rapport à la victime directe ; qu'en se fondant, pour écarter la demande de relevé de forclusion formulée par les consorts X..., pour le préjudice qu'ils ont subi avant le décès de leur père, sur la circonstance que « l'état de leur père n' aurait pas subi d'aggravation postérieurement à la date de consolidation de son état et jusqu'au décès » (arrêt p. 4, al. 1er) la Cour d'appel a violé l'article 706-5 du Code de procédure pénale.