LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué, qu'Elisabeth X..., épouse de Louis Y..., est décédée le 11 octobre 1950 en l'état d'un testament olographe du 17 septembre 1950, déposé le 9 janvier 1951 au rang des minutes de M. Z..., notaire, léguant à Léon A... la nue-propriété de ses biens avec réunion de l'usufruit au décès de son époux ; que par acte du 29 août 1969, Léon A... a vendu ces biens à Magalingom C... ; que Louis Y... est décédé le 20 avril 1980, laissant à l'époque pour lui succéder sa troisième épouse et des neveux et nièces ; que par jugement du 10 juillet 1990, M. B..., notaire associé de la SCP I...- B...- K...- L..., successeur de M. Z..., a été désigné afin de procéder aux opérations de liquidation-partage de la succession de Louis Y... ; que les héritiers de Magalingom C..., décédé le 5 avril 1991, n'ayant pas poursuivi la procédure, l'indivision a été maintenue entre l'ensemble des ayants droit du défunt ; qu'au cours de l'année 2001, Mme D... et Marie-Roseline E..., héritières de Rose Y..., soeur de Louis Y... décédée le 17 avril 1998, se sont rendues chez M. B... en possession de deux testaments, le premier de Louis Y..., en date du 29 octobre 1937, léguant à Rose Y... la quotité disponible de ses biens, le second d'Elisabeth Y..., en date du 27 septembre 1950, révoquant celui du 17 septembre 1950 au profit de son époux ; que ces deux testaments ont été déposés au rang des minutes de la SCP I...- B...- K.....- L..., le 9 mai 2011 ; que les 13 et 21 août 2001, M. F..., associé de la SCP, a dressé un acte de notoriété établissant la qualité d'héritières de Mme D... et de Marie-Roseline E..., venant à la succession de Rose Y... ; qu'une ordonnance d'envoi en possession a été rendue en leur faveur ; qu'en septembre 2003, M. B... a refusé d'établir les attestations immobilières en raison de l'existence d'une contestation sur la dévolution successorale ; qu'il a informé la chambre des notaires de cette difficulté ; que Mme G..., héritière de Marie-Roseline E..., décédée le 16 décembre 2001, et Mme D... se sont alors adressées à Mme H..., notaire associée de la SCP M...- O...- P...- H..., qui a établi les attestations immobilières ; que les 28 janvier 2004 et 27 février 2004, Mme H... a dressé divers actes de vente portant sur ces biens ; qu'ayant appris l'existence de ces ventes, les consorts C... ont fait assigner Mmes G... et D..., la SCP I...- B...- K.....- L... et la SCP M...- O...- P...- H... aux fins de les voir condamner in solidum au paiement d'une somme de 1 682 018 euros à titre de dommages-intérêts, correspondant à la valeur vénale des terrains dont ils s'estimaient évincés, et, subsidiairement, de voir fixer leur droit de propriété sur les biens litigieux ;
Sur le premier moyen :
Vu l'article 1382 du code civil ;
Attendu que pour débouter les consorts C...de leur action en responsabilité dirigée contre la SCP I...- B...- K.....- L... l'arrêt énonce, par motifs propres et adoptés, qu'il ne peut être sérieusement reproché à l'étude d'avoir dressé les actes de notoriété sans prendre toutes les précautions utiles alors que leur contenu, du fait de l'absence d'enfant du couple Y..., les termes du second testament révoquant intégralement le premier, le testament de 1937 de Louis Y... au profit de sa soeur et la présence des fille et nièce de la soeur de Louis Y..., est exact, que l'étude n'est pas non plus critiquable en ce qu'elle ne s'est pas souvenue de l'existence d'une procédure de liquidation-partage de la succession de Louis Y... plus de dix ans auparavant d'autant que cette procédure est restée sans suite du fait du décès de son initiateur, que dès que sont apparues des difficultés touchant au patrimoine successoral, le notaire a non seulement interrompu ses opérations mais en a de surcroît averti officiellement la chambre des notaires, par lettre du 23 septembre 2003, qu'il a donc au contraire fait preuve de prudence et de diligence ;
Qu'en statuant ainsi, alors qu'en l'état de la révélation, cinquante ans après le décès de la testatrice, d'un second testament, révoquant un précédent déposé au rang des minutes de l'office notariale, et d'une procédure antérieure à l'occasion de laquelle M. B..., associé de la SCP notariale, avait été désigné pour procéder aux opérations de liquidation-partage de la succession de Louis Y..., procédure révélant l'acquisition en 1969 par Magalingom C... des biens initialement légués à Léon A... par Elisabeth X..., le notaire avait manqué à son devoir de prudence en acceptant de dresser un acte dont il ne pouvait ignorer, en l'état des informations dont disposait l'étude, qu'il était de nature à remettre en cause la dévolution successorale des époux Louis Y... et à affecter les droits de propriété d'un tiers, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales qui s'évinçaient de ses constatations, a violé le texte susvisé ;
Et sur le deuxième moyen :
Vu l'article 1382 du code civil ;
Attendu que pour débouter les consorts C... de leur action en responsabilité dirigée contre la SCP M...- O...- P...- H..., l'arrêt énonce, par motifs propres et adoptés, que les actes de notoriété étaient valables, que la présentation d'une ordonnance d'envoi en possession émanant du président du tribunal de grande instance dispensait l'officier ministériel de se retourner vers son confrère, M. B..., pour connaître les raisons de la venue de Mmes D... et G... à son étude, qu'il n'est en outre pas démontré qu'au moment de dresser les actes critiqués, l'office notarial ait été informé par la chambre des notaires de la difficulté créée par la révélation d'un deuxième testament ;
Qu'en statuant ainsi, alors qu'il n'était pas contesté que le notaire avait dressé les attestations immobilières sans lever, au préalable, un état hypothécaire des biens ni vérifier si ceux-ci avaient fait l'objet d'un acte translatif de propriété, régulièrement publié, ce dont il se déduisait que Mme H... avait commis une faute de nature à engager sa responsabilité professionnelle, la cour d'appel, qui a statué par des motifs inopérants, a violé le texte susvisé ;
Et sur le troisième moyen, pris en sa première branche :
Vu l'article 4 du code de procédure civile ;
Attendu que pour déclarer les consorts C... irrecevables en leur action en revendication de propriété, l'arrêt retient, notamment, qu'ils ne produisent pas l'acte de vente de 1969 ;
Qu'en statuant ainsi, alors que le bordereau de communication de pièces annexé aux conclusions déposées par les consorts C... mentionnait, au titre de la pièce n° 3, l'acte de vente du 29 août 1969, la cour d'appel, qui a modifié les termes du litige, a violé le texte susvisé ;
Et sur le troisième moyen, pris en sa deuxième branche :
Vu l'article 4 du code de procédure civile ;
Attendu que pour déclarer les consorts C... irrecevables en leur action en revendication de propriété, l'arrêt retient qu'aucune demande n'est formée à leur encontre par les consorts D...- G... et J... tendant à remettre en cause leur droit de propriété sur les biens transmis par leur auteur, que le conflit existant entre les attestations immobilières, le second testament découvert en 2001 et l'acte de vente établi en 1969 n'a jamais été soumis à la juridiction compétente à ce jour et qu'aucune demande en ce sens n'a été formée devant la cour ;
Qu'en statuant ainsi, alors qu'il résulte des conclusions des parties que les consorts C... et Mmes D... et G... se prévalaient chacun d'un juste titre, l'acte de vente du 29 août 1969 pour les premiers, les testaments de Louis Y... et d'Elisabeth X... pour les secondes, et revendiquaient, de part et d'autre, une possession trentenaire utile sur ces biens, en sorte qu'ils entendaient bien voir trancher le conflit de propriété qui les opposait, la cour d'appel a méconnu l'objet du litige dont elle était saisie et violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la troisième branche du troisième moyen :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute les consorts C... de leurs actions en responsabilité et dommages-intérêts dirigées contre la SCP I...- B...- K.....- L... et la SCP M...- O...- P...- H... et déclare irrecevables les consorts C... en leurs actions en revendication de propriété, l'arrêt rendu le 18 février 2011, entre les parties, par la cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Saint-Denis de La Réunion, autrement composée ;
Condamne la SCP I...- B...- K.....- L..., la SCP M...- O...- P...- H... et les consorts D...- G... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne la SCP I...- B...- K.....- L..., la SCP M...- O...- P...- H... et les consorts D...- G... à payer aux consorts C... la somme globale de 3 000 euros ; rejette les autres demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-huit juin deux mille douze.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Masse-Dessen et Thouvenin, avocat aux Conseils, pour
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Le moyen reproche à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir débouté des successibles (les consorts C...) de leur action en responsabilité dirigée contre un notaire (la SCP I...
B...
F...
L...) ;
AUX MOTIFS propres et adoptés QUE les consorts C... devaient démontrer en quoi les notaires composant la SCP avaient commis une faute susceptible de retenir leur responsabilité ; que le notaire se devait de mener à bien les tâches commencées par celui qui l'avait précédé, de sorte que sa responsabilité pouvait être retenue s'il négligeait ses obligations, mais toujours à raison de son fait personnel ; qu'or, au jour de l'assignation, l'office notarial était composé de Mes I..., B..., F... et L... ; que, par des motifs pertinents adoptés par la cour, les premiers juges avaient écarté la responsabilité de Me B... et des autres membres de l'étude en indiquant notamment que, dès qu'étaient apparues des difficultés touchant au patrimoine successoral, le notaire avait non seulement interrompu ses opérations mais en avait de surcroît averti officiellement la chambre des notaires par courrier du 23 septembre 2003 ; que l'office notarial se trouvait donc exonéré de toute responsabilité à l'égard de la succession (arrêt attaqué, p. 10) ; qu'il ne pouvait être sérieusement reproché à l'étude d'avoir établi les actes de notoriété sans prendre toutes les précautions utiles, quand leur contenu, du fait de l'absence d'enfant du couple X...- Y..., des termes du second testament révoquant intégralement le premier, du testament de 1937 de Louis Y... au profit de sa soeur, et de la présence des fille et nièce de la soeur de Louis Y... désignée habile héritière par ce dernier par testament de 1937, était exact ; que l'étude n'était pas non plus critiquable en ce qu'elle ne s'était pas souvenue de l'existence d'une procédure de liquidation-partage de la succession de Louis Y... plus de dix ans auparavant, d'autant moins que cette procédure était restée sans suite du fait du décès de son initiateur ; qu'au contraire, dès qu'étaient apparues des difficultés touchant au patrimoine successoral, le notaire avait non seulement interrompu ses opérations mais en avait de surcroît averti officiellement la chambre des notaires par courrier du 23 septembre 2003 (jugement, p. 7) ;
ALORS QUE, tenu d'une obligation impérative de conseil liée à son devoir de prudence, le notaire doit, en tant que rédacteur d'un acte, procéder préalablement à la vérification des faits et conditions pour en assurer la régularité et l'efficacité ; qu'en l'état de la révélation en 2001 d'un second testament, cinquante ans après le décès de la testatrice, révoquant un précédent déposé au rang des minutes de son prédécesseur, et vingt ans après la procédure de liquidation partage le désignant en qualité de liquidateur, procédure ayant son fondement dans le premier testament et la vente qui s'était ensuivie en 1969 au profit de l'auteur des exposants, il incombait au notaire, avant de dresser les actes de notoriété, en présence de droits contradictoires, de vérifier la qualité des successibles qu'il désignait ; qu'en décidant le contraire, pour la raison que, dès l'apparition en 2003 de difficultés tenant au patrimoine successoral, le notaire avait interrompu les opérations, et prétexte pris de la régularité formelle des attestations de notoriété litigieuses, la cour d'appel a violé l'article 1382 du code civil.
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION :
Le moyen reproche à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir débouté des successibles (les consorts C..., les exposants) de leur action en responsabilité dirigée contre un notaire (la SCP M...
O...
P...
H...) ;
AUX MOTIFS QUE, s'agissant de la responsabilité de cette société civile professionnelle recherchée subsidiairement par les consorts C..., ces derniers faisaient grief à Me H... d'avoir dressé des attestations immobilières sans avoir accompli le minimum de diligences nécessaires (s'interroger sur le changement de notaire et s'informer auprès de son prédécesseur) ; que les premiers juges avaient exactement répondu à ces griefs en indiquant notamment que les actes de notoriété étaient valables et que la présentation d'une ordonnance d'envoi en possession émanant du président du tribunal de grande instance dispensait l'officier ministériel de se retourner vers son confrère B... pour connaître les raisons de la venue de Mmes D... et G... à son étude ;
ALORS QUE, en sa qualité de rédacteur d'actes concernant des biens immobiliers, le notaire est tenu de vérifier les droits de propriété des parties intéressées ; qu'en écartant la responsabilité de l'officier public pour l'unique raison que ses clientes lui présentaient des actes de notoriété valablement établis par un confrère ainsi qu'une ordonnance d'envoi en possession, quand elle devait rechercher, comme elle y était invitée, si le notaire, rédacteur des attestations de propriété, avait procédé à une vérification des titres de propriété en levant notamment un état hypothécaire, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article 1382 du code civil.
TROISIEME MOYEN DE CASSATION :
Le moyen reproche à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir déclaré irrecevables les ayants cause du bénéficiaire d'un testament (les consorts C..., les exposants), évincés par les ayants droit d'un second testament (les consorts D...- G...), en leur action en revendication de biens immobiliers successoraux ;
AUX MOTIFS QUE, à l'appui de cette revendication de propriété, les consorts C... invoquaient principalement une possession trentenaire et un juste titre fondant l'usucapion ; que cependant les intéressés, qui se disaient évincés des droits sur les immeubles acquis par leur auteur de M. A... en 1969, n'étaient pas recevables à agir en revendication quand, d'un côté, ils ne produisaient pas l'acte de vente et ne précisaient pas de quels biens il s'agissait, et que, de l'autre, aucune demande n'était formée à leur encontre par les consorts D...- G... et J... tendant à remettre en cause leur droit de propriété sur les biens transmis par leur auteur ; qu'en effet, leur auteur, M. C..., les avait régulièrement acquis de M. A... aux termes de l'acte de vente de 1969 non versé aux débats, mais dont l'existence n'était pas contestée ; que, par ailleurs, les attestations immobilières après décès délivrées par le notaire au vertu du second testament découvert en 2001 ne pouvaient à elles seules entraîner la disparition de leurs droits tandis que le conflit existant entre ces documents et l'acte de vente établi en 1969 n'avait jamais à ce jour soumis à la juridiction compétente et qu'aucune demande en ce sens n'avait été formée devant la cour ;
ALORS QUE, d'une part, les conclusions prises dans l'instance s'imposent au juge avec la même force obligatoire que les actes juridiques ; qu'en affirmant que les exposants ne produisaient pas l'acte de vente du 29 août 1969 et ne précisaient pas de quels biens il s'agissait, quand ils l'avaient versé aux débats et visé dans leurs écritures (v. leurs concl. du 21 juillet 2010), la cour d'appel a dénaturé les écritures dont elle était saisie, en violation de l'article 4 du code de procédure civile ;
ALORS QUE, d'autre part, les termes du litige sont déterminés par les prétention des parties ; qu'en déclarant qu'aucune revendication n'était formée contre les exposants tendant à remettre en cause leurs droits sur les immeubles successoraux transmis par leur auteur en 1969, tandis que les héritiers de la succession revendiquaient les mêmes droits sur le fondement d'une prescription acquisitive, la cour d'appel a méconnu les termes du litige, en violation de l'article 4 du code de procédure civile ;
ALORS QUE, en toute hypothèse, en déclarant que l'auteur des exposants avait régulièrement acquis les droits immobiliers litigieux aux termes de l'acte de vente du 22 août 1969 et que les attestations immobilières ultérieures délivrées en vertu du second testament ne pouvaient entraîner la disparition de leurs droits, tout en les déclarant irrecevables en leur action en revendication des biens immobiliers dévolus en application du premier testament, omettant ainsi de tirer les conséquences légales de ses propres énonciations, la cour d'appel a violé l'article 544 du Code civil.