LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. Auguste X... a acquis la nue-propriété d'une ferme par acte authentique du 25 juillet 1947, puis l'usufruit du même bien par un autre acte du 23 décembre 1949 ; qu'à la suite d'un incendie survenu en 1981, il a perçu une indemnité de son assureur ; qu'au cours des opérations de liquidation et de partage des successions de ses parents, Louis X... et Lucie Y..., ses cohéritiers ont prétendu qu'il avait bénéficié d'une donation déguisée dont il doit le rapport ;
Sur le premier moyen :
Vu l'article 1315 du code civil, ensemble l'article 843, du même code, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi du 23 juin 2006 ;
Attendu que pour ordonner le rapport à la succession de chacun de ses parents de l'indemnité d'assurance que M. Auguste X... a perçue ainsi que, le cas échéant, la valeur résiduelle du terrain sur lequel était édifiée la ferme, l'arrêt retient que celui-ci, à l'époque âgé de 22 ans, jeune agriculteur tout juste majeur, ne justifie pas de la manière dont il a pu payer le prix d'acquisition de sa ferme, et que l'immédiate antériorité de la vente de biens immobiliers par ses parents, le montant sensiblement égal du prix de ces deux opérations, le fait qu'il ne disposait manifestement pas lui-même de la somme nécessaire à son acquisition et que ses explications quant à l'emprunt qu'il aurait contracté sont inexactes, constituent autant d'indices précis et concordants qui permettent de conclure que le prix de la ferme acquise par Auguste X... a bien été payé par ses parents, de sorte que l'existence de la donation indirecte alléguée est démontrée ;
Qu'en statuant ainsi, alors qu'il incombait à ses cohéritiers qui alléguaient l'existence d'une donation déguisée de prouver que les parents de M. Auguste X... avaient financé avec une intention libérale l'acquisition par celui-ci du bien litigieux, la cour d'appel a inversé la charge de la preuve et violé les textes susvisés ;
Et sur le second moyen :
Vu l'article 1315 du code civil ;
Attendu que pour rejeter la demande de M. Auguste X... tendant à voir reconnaître que son frère, M. Guy X..., était débiteur de fermages envers leur mère au décès de celle-ci, l'arrêt attaqué retient que, d'abord, s'il est exact qu'à une époque il n'a pas payé les fermages qu'il devait à sa mère, le litige qui en est résulté s'est terminé par une transaction en date du 6 juillet 1982, selon laquelle celle-ci renonçait à se prévaloir de la résiliation du bail, M. Guy X... s'engageant à effectuer des versements mensuels d'au moins 600 francs, qu'ensuite, postérieurement à cette transaction, ni Lucie Y..., ni après son placement sous tutelle, sa tutrice, n'ont réclamé à M. Guy X... le moindre fermage, qu'enfin, en considération de ces éléments, il n'apparaît pas que celui-ci ait été débiteur de fermages envers sa mère lors du décès de celle-ci ;
Qu'en statuant ainsi, alors qu'il incombait à M. Guy X... de justifier de ce qu'il s'était acquitté des fermages, la cour d'appel a inversé la charge de la preuve et violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a ordonné le rapport à la succession de chacun de ses parents de l'indemnité d'assurance que M. Auguste X... a perçu ainsi que, le cas échéant, la valeur résiduelle du terrain sur lequel était édifié la ferme dite " du Peu " et rejeté la demande tendant à voir reconnaître que M. Guy X..., était débiteur de fermages envers leur mère au décès de celle-ci, l'arrêt rendu le 8 novembre 2010, entre les parties, par la cour d'appel de Besançon ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Dijon ;
Condamne MM. Emile, Bernard, Jean-Louis X... et Mmes Eliane et Christine X... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne MM. Emile, Bernard, Jean-Louis X... et Mmes Eliane et Christine X... à payer à M. Auguste X... une somme de 3 000 euros ; Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-six septembre deux mille douze.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
.Moyens produits par la SCP Boutet, avocat aux Conseils, pour M. Auguste X....
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Le moyen reproche à l'arrêt attaqué d'avoir dit que Monsieur Auguste X... devait rapporter à la succession de chacun de ses parents l'indemnité d'assurance qu'il avait perçue suite à l'incendie, en 1981, de la ferme dite « du Peu » ainsi que, le cas échéant, la valeur résiduelle du terrain sur lequel était édifiée ladite ferme ;
AUX MOTIFS QU'Auguste X... a acquis la nue propriété de la ferme dite « du Peu » par acte notarié en date du 25 juillet 1947, pour un prix de 700. 000 francs ; qu'il en a ultérieurement acquis l'usufruit par acte notarié du 23 décembre 1949, moyennant une somme correspondant à 10. 000 kg de lait ; que l'intimé prétend avoir financé cette acquisition au moyen d'un emprunt souscrit auprès du CREDIT AGRICOLE du DOUBS, en date du 7 novembre 1947, d'un montant de 650. 000 Francs ; que cependant, il ressort de l'acte de prêt que celui-ci était destiné à financer non pas l'acquisition de biens immobiliers mais celle de bétail ; que du reste l'emprunt était garanti par un warrant agricole sur le cheptel et non pas par une hypothèque, ce qui n'aurait pas manqué d'être le cas s'il s'était agi d'un prêt immobilier ; que force est de constater que l'intimé, à l'époque âgé de 22 ans, jeune agriculteur tout juste majeur, ne justifie pas de la manière dont il a pu payer le prix d'acquisition de sa ferme ; qu'il est par ailleurs constant que ses parents avaient, par acte du 28 juin 1947, donc moins d'un mois avant l'acquisition faite par l'intimé, vendu divers biens immobiliers, pour un prix de 736. 000 francs au total ; que selon l'intimé, ce n'est pas lui mais son frère, Emile, qui aurait bénéficié de la somme de 700. 000 francs provenant de la vente du 28 juin 1947 ; mais que si la donation effectuée par les parents à Emile suivant acte notarié du 29 janvier 1955 portait bien, notamment, sur une somme de 700. 000 francs, l'acte mentionne que cette somme était due par Emile à ses parents ; que ceux-ci ne disposaient donc plus de la somme ; qu'au contraire, ils avaient des dettes, ainsi qu'il ressort du fait que, dans la donation qu'ils ont consentie à la même date à leur autre fils Guy, celui-ci devait prendre en charge leur passif à hauteur de 2. 350. 000 francs ; qu'ainsi, il n'est pas possible de faire le rapprochement entre la somme de 736. 000 francs perçue le 28 juin 1974 par les parents et celle de 700. 000 francs donnée par ceux-ci à leur fils, Emile, le 29 janvier 1955 ; qu'en revanche l'immédiate antériorité de la vente de ces biens immobiliers des parents par rapport à l'acquisition faite par Auguste, le montant sensiblement égal du prix de ces deux opérations, le fait qu'Auguste ne disposait manifestement pas lui-même de la somme nécessaire à son acquisition et que ces explications quant à l'emprunt qu'il aurait contracté sont inexactes, constituent autant d'indices précis et concordants qui permettent de conclure que le prix de vente de la ferme « du Peu » acquise par Auguste X... a bien été payé par ses parents ; que l'existence de la donation indirecte alléguée étant démontrée, l'intimé en doit le rapport ;
ALORS D'UNE PART QUE la charge de la preuve de l'intention libérale incombe à celui qui soutient qu'un acte juridique a permis la réalisation d'une donation indirecte ; que Monsieur Auguste X... établissant, par la production de deux actes notariés en date des 25 juillet 1947 et 24 décembre 1949, qu'il avait acheté successivement aux consorts Z...la nue propriété puis l'usufruit de la ferme dite « du Peu », il incombait aux consorts X..., qui prétendaient que la somme nécessaire à l'achat de ce bien immobilier avait été payé par les parents de Monsieur Auguste X..., d'en rapporter la preuve ; que dès lors, en retenant, pour conclure à l'existence d'une donation indirecte, que Monsieur Auguste X... ne justifiait pas de la manière dont il avait pu payer le prix d'acquisition de sa ferme, la Cour d'Appel a renversé la charge de la preuve et violé l'article 1315 du Code Civil ;
ALORS D'AUTRE PART ET SUBSIDIAIREMENT QUE Monsieur Auguste X... avait fait valoir, dans ses conclusions d'appel, que sa ferme avait été détruite, en 1982, par un incendie qui avait entraîné la disparition des documents relatifs aux différents prêts dont il avait bénéficié pour l'acquisition de la ferme, à l'exception de quelques documents, dont un courrier du CREDIT AGRICOLE du 14 février 1962 lui refusant l'octroi d'un nouveau crédit « compte tenu de ce que vous restez devoir sur l'acquisition de votre ferme » ; que dès lors, la Cour d'Appel ne pouvait décider que Monsieur X... ne justifiait pas de la manière dont il avait pu payer le prix d'acquisition de sa ferme sans répondre à ses conclusions sur ce point ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la Cour d'Appel a violé l'article 455 du Code de Procédure Civile ;
ALORS ENFIN QUE, dans une lettre du 5 février 1965, adressée à son avocat, Madame Lucie X..., mère de Monsieur Auguste X..., avait reconnu clairement qu'elle avait avantagé son autre fils, Guy, en agissant de manière à ce que Monsieur Auguste X... ne puisse obtenir « la part qui lui revenait de droit par succession ni rentrer en jouissance de ce qui lui appartenait » ; qu'une telle volonté, affirmée par sa mère, de désavantager Monsieur Auguste X... était incompatible avec la prétendue donation indirecte à hauteur du prix d'achat de la ferme dite « du Peu » qui lui aurait été consentie quelques années auparavant ; que dès lors, la Cour d'Appel ne pouvait conclure à l'existence d'indices précis et concordants permettant de conclure que le prix de la ferme « du Peu », acquise par Monsieur Auguste X... avait été payé par ses parents, sans répondre aux conclusions de ce dernier invoquant le courrier précité de sa mère ; qu'en s'en abstenant, la Cour d'Appel a violé l'article 455 du Code de Procédure Civile.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
Le moyen reproche à l'arrêt attaqué d'avoir rejeté la demande de Monsieur Auguste X... tendant à voir juger que son frère, Guy X..., était redevable de fermages envers leur mère au décès de celle-ci ;
AUX MOTIFS QUE, pour ce qui est de Guy X..., s'il est exact qu'à une époque il n'a pas payé les fermages qu'il devait à sa mère, le litige qui en était résulté s'est terminé par une transaction en date du 6 juillet 1982, selon laquelle la mère renonçait à se prévaloir de la résiliation du bail, Guy X... s'engageant quant à lui à effectuer des versements mensuels d'au moins 600 francs ; que postérieurement à cette transaction, ni Lucie Y...ni, après son placement sous tutelle, sa tutrice, n'ont réclamé à Guy X... le moindre fermage ; que si Auguste X... produit une lettre en date du 7 janvier 1988 adressée à la tutrice de sa mère, l'invitant à recouvrer les sommes dues par Guy et Emile X..., cette lettre n'est fondée que sur des allégations émanant de l'intimé lui-même et ne saurait, en conséquence, constituer une preuve en sa faveur ; qu'en considération de ces éléments, il n'apparaît pas que Guy X... ait été débiteur de fermages envers sa mère lors du décès de celle-ci ;
ALORS QUE celui qui se prétend libéré d'une obligation doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de l'obligation ; que Monsieur Guy X... s'étant engagé, dans une transaction en date du 6 juillet 1982, à verser mensuellement, à sa mère, au titre des fermages, une somme d'au moins 600 francs, il appartenait à ses ayants droits, qui prétendaient qu'aucune somme n'était due au titre des fermages échus postérieurement à la transaction de justifier qu'il s'était libéré du paiement desdits fermages ; que dès lors, en se bornant à constater, pour décider que Monsieur Guy X... n'était plus redevable de fermages à sa mère lors du décès de celle-ci, que postérieurement à la transaction, ni Madame Y...ni, après son placement sous tutelle, sa tutrice, n'avaient réclamé à Monsieur Guy X... le moindre fermage, la Cour d'Appel a inversé la charge de la preuve et violé l'article 1315 du Code Civil.