LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Vu l'article 637 du code civil ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Riom, 30 juin 2011), que les époux X..., propriétaires de pâtures, ont demandé qu'il soit enjoint à la société de Rivalais (la société), propriétaire d'un fonds situé en amont comprenant un étang, de lui donner la possibilité d'actionner la " vanne moulinière " pour que l'eau de l'étang puisse s'écouler, en empruntant un canal de fuite, sur leur propre fonds ;
Attendu que pour accueillir cette demande, l'arrêt, qui relève que l'acte d'acquisition par les époux X..., en date du 13 avril 1981, rappelait, par référence à un acte du 24 décembre 1911, le droit à l'eau de l'étang sortant par la vanne moulinière, qu'à supposer que les époux X... ne soient pas les ayants droit directs de ceux qui, suivant acte du 24 décembre 1911, avaient acquis le fonds sur lequel s'élevait le moulin, il n'en demeure pas moins que les titres prévoient expressément une sortie d'eau régulière de l'étang par le biais de la vanne moulinière, sortie d'eau devant bénéficier, en premier lieu et naturellement, à un moulin aujourd'hui inactif appartenant aux consorts Y..., mais encore aux riverains en aval, légitimement en droit de prétendre à un cours ordinaire, que l'écoulement des eaux ressortant de l'étang depuis des temps immémoriaux et au moins depuis 1911, tel qu'il se produisait avant que la SCI n'imagine de verrouiller la vanne moulinière, était apparent, continu et largement attesté par de multiples témoignages, retient que la prescription trentenaire quant à un juste débit peut être invoquée par les époux X... ;
Qu'en statuant ainsi, sans rechercher si le droit invoqué par M. X... pouvait recevoir la qualification de servitude, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;
Attendu qu'aucun grief n'est dirigé contre l'arrêt rendu le 8 octobre 2009 ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi en ce qu'il est dirigé contre l'arrêt rendu le 8 octobre 2009 ;
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 30 juin 2011, entre les parties, par la cour d'appel de Riom ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Riom autrement composée ;
Condamne les époux X... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne les époux X... à payer à la société de Rivalais la somme de 2 500 euros ; rejette la demande des époux X... ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du trente et un octobre deux mille douze.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Tiffreau, Corlay et Marlange, avocat aux Conseils, pour la société de Rivalais
Le moyen reproche à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR condamné la SCI DE RIVALAIS, sous astreinte de 100 € par jour de retard dans les deux mois de la signification de la décision, à remettre aux époux X... une clé permettant de débloquer le système de protection mis en place, à charge par ces derniers de procéder à une gestion de l'eau conforme aux usages et aux dispositions environnementales ;
AUX MOTIFS QUE « à la suite du transport sur les lieux d'un conseiller de la chambre et sur les suggestions de ce dernier, un technicien, l'expert judiciaire M. Z..., est venu sur les lieux, de façon contradictoire et a procédé à diverses investigations consignées dans un rapport ; qu'il en ressort, ce qui est confirmé par l'étude du plan cadastral dressé en 1827 et mis à jour en 1954, que l'étang privé dit du " RIVALAIS ", propriété de la SCI DE RIVALAIS, est alimenté par un ruisseau qui contribue naturellement à l'alimentation naturelle en eau de cet étang, avec un débit pouvant être régulé à sa sortie par deux ouvrages, à savoir un déversoir, pour assurer l'évacuation des eaux au travers d'un canal de fuite et une vanne moulinière permettant d'alimenter en énergie un moulin, aujourd'hui en inactivité ; qu'il est noté que l'activité agricole des époux X... impose d'abreuver régulièrement les troupeaux et que la SCI DE RIVALAIS, en voulant rester maître des manoeuvres du fonctionnement de la vanne moulinière, crée une difficulté, notamment en période estivale ; que l'expert a relevé que le ruisseau présentait, en amont comme en aval, un lit d'une grande longueur, sinueux, qui confirmait un caractère certain de ruisseau plutôt que de rase et que les rives, en amont comme en aval ajoutaient, par leur tracé irrégulier, à la dénomination de ruisseau ; qu'il a noté que le ruisseau permettait non seulement la desserte de l'exploitation des époux X... mais également celle d'une autre exploitation agricole importante et qu'il convenait donc d'assurer la conservation et le libre écoulement des eaux ; que l'acte d'acquisition par les époux X..., du 13 avril 1981, rappelle, par référence à un acte du 24 décembre 1911, le droit à l'eau de l'étang sortant par la vanne moulinière ; que l'acte du 24 décembre 1911, qui exclut de la vente l'étang dont s'agit, précise que les acquéreurs auront un droit exclusif à l'eau de l'étang, pour la marche du moulin et tous autres usages qu'ils jugeraient à propos, à charge de respecter les droits des riverains et de rendre l'eau à son cours ordinaire ; qu'à supposer que les époux X... ne soient pas les ayants-droit directs des acquéreurs, mais seulement les consorts Y... (à qui une clé a été remise, permettant d'accéder à la vanne), comme le soutient la SCI DE RIVALAIS, il n'en demeure pas moins que les titres prévoient expressément une sortie d'eau régulière de l'étang par le biais de la vanne moulinière, sortie d'eau devant bénéficier, en premier lieu et naturellement, à un moulin aujourd'hui inactif mais encore aux riverains en aval, légitimement en droit de prétendre à un cours ordinaire ; que l'expert Z... a justement rappelé que le code de l'environnement prévoyait, s'agissant d'un cours d'eau non domanial, la maintien de la continuité écologique, la conservation et le libre écoulement des eaux ainsi que la protection contre les inondations ; que, si la SCI DE RIVALAIS prétend que l'accès à la vanne moulinière n'a jamais été, de par sa nature, continu et apparent, elle méconnaît qu'en revanche, l'écoulement des eaux ressortant de l'étang depuis des temps immémoriaux et au moins depuis 1911, tel qu'il se produisait avant qu'elle n'imagine de verrouiller la vanne moulinière, était quant à lui, apparent, continu et largement attesté par de multiples témoignages ; qu'en fait, la régulation du débit intervenait jadis, selon les époques, directement par l'activité du moulin et que l'inactivité de ce dernier et donc le désintérêt des consorts Y..., qui n'ont pas comparu tant en première instance qu'en cause d'appel, empêche une gestion concertée de l'eau par tous les intervenants, come elle se faisait autrefois, à simple demande, en fonction des besoins et des ressources ; qu'ainsi, la prescription trentenaire quant à un juste débit peut être pertinemment invoquée ; que la Cour ne méconnaît pas, par ailleurs, que la rétention d'eau subite par la SCI DE RIVALAIS constitue une rétorsion ou une monnaie d'échange avec le droit de pacage autour de l'étang dont elle est redevable envers les époux X... et dont elle estime qu'il est fait un usage abusif, l'empêchant d'exploiter commercialement son étang de pêche ; que le caractère imbriqué des litiges avait d'ailleurs amené la Cour à un transport sur les lieux, dans l'espoir d'une solution globale et équilibrée, qui n'a malheureusement pas pu être trouvée ; qu'au regard de ces éléments, il est acquis qu'il convient, par réformation, d'assurer aux époux X... une gestion adaptée de la vanne moulinière, en évitant les mouvements extrêmes et en tenant compte des différents acteurs économiques, l'expert précisant que les interventions les plus précises et les plus régulières se concentrent naturellement dans la seule période estivale où l'activité agricole du secteur nécessite le maximum d'exigence en eau ; qu'il convient donc d'enjoindre à la SCI DE RIVALAIS, sous une astreinte de 100 € par jour de retard dans les deux mois suivant la signification du présent arrêt, de remettre aux époux X... la clé permettant de débloquer la système de protection mise en place et de leur permettre ainsi de manoeuvrer la vanne en cas de besoin, " sans mésus ni abus ", comme stipulé à l'acte de 1911 »
ALORS QUE 1°) la servitude est attachée à un fonds et en constitue l'accessoire ; qu'elle n'est attachée activement qu'au seul fonds dominant pour son usage et son utilité ; qu'il résulte des constatations mêmes des juges du fond que la clause de servitude d'eau litigieuse, stipulée à l'acte de vente du 24 décembre 1911, prévoit « que les acquéreurs auront un droit exclusif à l'eau de l'étang, pour la marche du moulin et tous autres usages qu'ils jugeraient à propos, à charge de respecter les droits des riverains et de rendre l'eau à son cours ordinaire » ; qu'il en résultait que la servitude ne pouvait profiter qu'aux seuls propriétaires du fonds cédé à l'acte de 1911 ; qu'en considérant que les époux X... pouvaient se prévaloir de la servitude en ce qu'elle leur accordait un « droit de prétendre à un cours ordinaire » de l'eau en aval, même à considérer qu'ils « ne soient pas les ayants-droit directs des acquéreurs, mais seulement les consorts Y... », c'est-à-dire même dans l'hypothèse où les époux X... ne se trouvaient pas être propriétaires des parcelles constituant le fonds dominant de la servitude et auquel celle-ci se trouvait attachée, la Cour d'appel a violé l'article 637 du Code civil ;
ALORS QUE 2°) la servitude est attachée à un fonds et en constitue l'accessoire ; qu'elle n'est attachée activement qu'au seul fonds dominant pour son usage et son utilité ; qu'il résulte des constatations mêmes des juges du fond que la clause de servitude d'eau litigieuse, stipulée à l'acte de vente du 24 décembre 1911, prévoit « que les acquéreurs auront un droit exclusif à l'eau de l'étang, pour la marche du moulin et tous autres usages qu'ils jugeraient à propos, à charge de respecter les droits des riverains et de rendre l'eau à son cours ordinaire » ; que la précision prévue à l'acte de « rendre l'eau à son cours ordinaire » à la suite de l'exercice de la servitude d'eau portant sur la manoeuvre de la « bonde moulinière » n'intéressait que les rapports entre les propriétaires du fonds dominant et les tiers dont les propriétés se situaient en aval ; que ceci ne constituait tout au plus qu'une précision quant aux modalités d'exercice de la servitude par son bénéficiaire ; que ceci ne pouvait engager le propriétaire de l'étang, qui en tant que propriétaire du fonds servant, ne devait que laisser l'accès à la vanne litigieuse aux acquéreurs du moulin, soit actuellement les Consorts Y... ; qu'en statuant en sens contraire en disant que les époux X... pouvaient se prévaloir vis-à-vis de l'exposante d'un droit « à un cours ordinaire » d'eau pour leur propriété située en aval, la Cour d'appel a violé l'article 637 du Code civil ;
ALORS QUE 3°) la prescription trentenaire ne peut jouer que pour les servitudes continues et apparentes en tant que mode d'acquisition ; que l'acte du 24 décembre 1911 a accordé aux acquéreurs de la propriété « Le Moulin de Rivalais » « le droit exclusif à l'eau de l'étang sortant par la bonde ou vanne moulinière pour la marche du moulin, et tous autres usages qu'(ils) jugeraient à propos (…) » ; qu'un tel droit « exclusif à l'eau de l'étang » au moyen de la manoeuvre d'une vanne dite « moulinière », dont le propre est d'ouvrir et de fermer l'écoulement de l'eau de l'étang, était bien exclusif de toute reconnaissance d'un droit « continu et apparent » des propriétés situées en aval « de prétendre à un cours ordinaire » de l'eau ou encore de revendiquer un droit « à un juste débit » de l'eau de l'étang de manière continue ; que l'exercice même du « droit exclusif à l'eau de l'étang » conféré au propriétaire du moulin rendait nécessairement discontinue le « cours ordinaire » pouvant être réservé aux riverains situés en aval ; que la prescription trentenaire devait être écartée ; qu'en statuant en sens contraire en disant que « la prescription trentenaire quant à un juste débit peut être pertinemment invoquée » par les époux X..., riverains situés en aval de la propriété du « Moulin de Rivalais » appartenant aux Consorts Y..., la Cour d'appel a violé l'article 690 du Code civil.