LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen relevé d'office, après avis donné aux parties en application de dispositions de l'article 1015 du code de procédure civile :
Vu la loi des 16-24 août 1790, ensemble l'article 92, alinéa 2, du code de procédure civile ;
Attendu que M. X..., dont le père est décédé en Egypte où il résidait habituellement, n'a pu assurer le rapatriement immédiat de quinze tapis d'Orient dépendant de la succession, pour des raisons tenant à la réglementation douanière locale ; qu'ayant, à titre conservatoire, remis ces tapis en dépôt au consulat général de France au Caire le 18 janvier 1985 avant de retourner en France, il a été invité à les retirer sans délai par une lettre du 6 septembre 1988, puis informé, dans les mêmes formes le 27 février 1989, qu'à défaut, il serait procédé à leur vente ; que le 20 novembre 1997, les tapis n'ayant pas été retirés, le consul général de France au Caire a décidé la vente des pièces ayant une valeur marchande et la destruction des autres ; que ces décisions, prises sur le fondement des articles 7 et 9 du décret du 17 janvier 1936 concernant les dépôts dans les chancelleries diplomatiques et consulaires, ont été suivies d'une vente amiable, en un seul lot, de onze des tapis déposés, et de la destruction des quatre autres ; qu'invoquant l'irrégularité des modalités de cette cession qui aurait dû revêtir les formes et conditions d'une vente aux enchères publiques, et déplorant n'avoir pas été informé, lors du dépôt, des prescriptions du décret précité limitant sa durée et autorisant les autorités diplomatiques ou consulaires à vendre ou à détruire les objets remis depuis plus de cinq ans, le déposant a fait assigner devant la juridiction judiciaire le ministère des affaires étrangères et l'agent judiciaire du Trésor en réparation des conséquences dommageables des fautes ainsi commises par les services du consulat ; que saisi d'une question préjudicielle, le Conseil d'Etat a, par un arrêt du 18 mars 2005, annulé la décision de vente en ce qu'elle avait été réalisée selon des modalités illicites, jugé que la décision de destruction et son exécution étaient licites et régulières et rejeté la demande de condamnation de l'Etat à réparer les dommages induits par leur perte ; qu'après reprise de l'instance, le tribunal a déclaré l'Etat responsable des conséquences dommageables de la vente annulée, condamné l'agent judiciaire du Trésor à réparer le manque à gagner et le préjudice moral en ayant résulté pour le déposant, et débouté ce dernier de sa demande en réparation de la perte des tapis détruits ; que l'arrêt infirmatif attaqué a, sur l'appel incident de l'agent judiciaire du Trésor, débouté M. X... de l'ensemble de ses demandes ;
Qu'en tranchant ainsi le litige alors que celui-ci, se rapportant, selon les énonciations de l'arrêt, à des fautes non détachables du service commises par les agents de l'administration consulaire dans l'exercice des pouvoirs que leur accordent les articles 7 et 9 du décret du 17 janvier 1936 concernant les dépôts dans les chancelleries diplomatiques et consulaires, de vendre ou, lorsqu'ils n'ont plus de valeur marchande, de détruire les objets déposés depuis plus de cinq ans, ressortit aux juridictions administratives, sauf en cas de voie de fait, la cour d'appel a excédé ses pouvoirs ;
PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le moyen du pourvoi :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 20 mai 2011, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Versailles ;
Condamne M. X... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quatorze novembre deux mille douze.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Boré et Salve de Bruneton, avocat aux Conseils, pour M. X...
Il est fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué d'AVOIR débouté Monsieur Pierre X... de sa demande tendant à voir l'Agent judiciaire du Trésor condamné à lui payer la somme de 52.000 euros en réparation de son préjudice matériel lié à la vente illégale de onze tapis, de 3.600 euros au titre de la disparition de quatre autres, ainsi que la somme de 15.000 euros au titre de son préjudice moral ;
AUX MOTIFS PROPRES QU'il est acquis qu'il a été avisé en 1988 et 1989 de la vente inéluctable des tapis à compter de 1990, que Monsieur X... n'a pas pris les mesures adéquates pour récupérer ceux-ci alors que les divers services, voire ministres, contactés par l'intermédiaire de ses connaissances, ont confirmé l'impossibilité d'avoir recours à la valise diplomatique, ainsi que de l'échec des demandes de dérogation exceptionnelle de transfert sans passer par les douanes faites en sa faveur par les services consulaires auprès des autorités égyptiennes, observation faite que la procédure ordinaire consistait pour Monsieur X... à assurer lui-même et à ses frais le rapatriement de ces objets, éventuellement en passant par l'étape intermédiaire d'un dépôt dans une entreprise spécialisée dont les coordonnées lui ont été données par les autorités consulaires ; que pour ces motifs, l'intégralité de l'argumentation développée par ailleurs sur ce point par Monsieur X... devient inopérante ; que s'agissant du défaut de vente aux enchères susceptible de permettre d'obtenir un prix plus élevé que celui résultant d'une vente amiable, encore faut-il que Monsieur X... apporte des éléments permettant une estimation au moins approximative de la valeur des tapis litigieux, susceptible, dès lors, de fonder une perte de chance ; que cependant, pas plus devant la Cour que devant le Conseiller de la mise en état, lesquels ne peuvent suppléer à ses carences dans l'administration de la preuve, Monsieur X... n'apporte d'éléments d'appréciation probants ; qu'en effet, les photocopies couleurs produites, à partir desquelles l'expertise unilatérale effectuée le 21 janvier 2003 par Monsieur Dominique Y..., membre du Syndicat Français des experts en oeuvres d'art (pièces n° 2 et 28 de l'appelant), ne permettent aucunement d'établir qu'il s'agit bien des tapis litigieux ; que s'agissant du préjudice moral résultant de la perte finale des tapis, qu'il y a lieu de relever que, avisé dès 1988 d'une vente en 1990 en l'absence de démarches de sa part, Monsieur X..., qui, par ailleurs, a été informé de la procédure normale de sortie du territoire égyptien et des modalités de dépôt transitoire possible des tapis, n'a usé d'aucune de ses possibilités préférant tenter d'obtenir des dérogations exceptionnelles et/ou le recours à la valise diplomatique ; que dès lors, il n'y a pas lieu à l'allocation de dommages-intérêts de ce chef ;
ET AUX MOTIFS ADOPTÉS QU'il est toutefois constant que la mise en oeuvre de la responsabilité de l'État suppose que soit démontrée l'existence d'un lien de causalité entre la faute et le préjudice allégué ; qu'or, l'Agent Judiciaire du Trésor fait valoir à juste titre que le décret du 17 janvier 1936 ne fait pas obligation au consulat d'informer le déposant, une fois le délai légal de conservation passé, de la mise en vente de son dépôt ou de sa destruction ; qu'il s'ensuit qu'il est également fondé à opposer au demandeur l'absence de lien de causalité entre le défaut des mentions obligatoires sur le récépissé du 18 janvier 1985 et le préjudice allégué par M. X... lequel résulte de la vente des tapis qui est intervenue à raison de son défaut de diligence à venir retirer ou faire retirer les tapis litigieux alors qu'il avait été invité à le faire à deux reprises en 1988 et 1989 et qu'il avait ensuite été tenu informé au travers de l'ensemble des courriers adressés par des "intervenants" aussi bien de l'impossibilité d'utiliser la valise diplomatique pour le rapatriement des tapis que de la position des autorités Égyptiennes sur les conditions de ce rapatriement par l'intermédiaire du service des douanes ;
1°) ALORS QUE le consulat doit vendre aux enchères publiques les objets à lui remis et non réclamés ; qu'en relevant, pour écarter la responsabilité du consulat, que Monsieur X... n'aurait pas « pris les mesures adéquates pour récupérer les tapis » (arrêt, p. 4, § 2) quand l'obligation du consulat d'organiser la vente aux enchères des tapis déposés s'imposait même en cas de carence de Monsieur X... à récupérer ses biens et tendait à en régler les conséquences, la Cour d'appel a violé les articles 7 et 9 du décret du 17 janvier 1936 relatif aux dépôts dans les chancelleries diplomatiques et consulaires ;
2°) ALORS QU'en toute hypothèse, la faute de la victime, lorsqu'elle ne présente pas les caractères de la force majeure, n'a qu'un effet exonératoire partiel à l'égard de l'auteur du fait dommageable ; que la Cour d'appel, qui a jugé que le consul général de France et ses services avaient commis une faute en n'informant pas Monsieur X... des conditions et modalités du dépôt, a néanmoins exonéré l'État de toute responsabilité en se fondant sur la circonstance selon laquelle Monsieur X... n'aurait pas « pris les mesures adéquates pour récupérer les tapis » (arrêt, p. 4, § 2) ; qu'en statuant ainsi, sans préciser en quoi ce comportement était constitutif d'une faute présentant les caractères de la force majeure, seule de nature à exonérer totalement l'État de sa responsabilité, la Cour d'appel a violé l'article 1382 du Code civil ;
3°) ALORS QU'en toute hypothèse, le juge ne peut, sans méconnaître les termes du litige, écarter un fait allégué par l'une des parties et non contesté par l'autre ; qu'en l'espèce, l'Agent judiciaire du Trésor n'a jamais contesté, dans ses conclusions d'appel, l'authenticité des photographies à partir desquelles Monsieur Dominique Y..., membre du syndicat français des experts en oeuvres d'art et expert près la Cour d'appel de PARIS, a évalué la valeur des tapis litigieux ; qu'en jugeant dès lors que les photocopies en couleurs de ces photographies « ne permett raient nullement d'établir qu'il s'agit bien des tapis litigieux » (arrêt, p. 4, § 5), la Cour d'appel a violé les articles 4 et 5 du Code de procédure civile.