LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Donne acte à la société Noga d'importation et d'exportation de ce qu'elle se désiste de son pourvoi en tant que dirigé contre la société Pascal X... et Mayeuil X... ;
Sur le moyen unique :
Attendu selon l'arrêt attaqué (Paris, 21 juin 2011), que la société Noga, ayant signé divers contrats avec le gouvernement de la République socialiste fédérative soviétique de Russie devenue la Fédération de Russie qui ont donné lieu à des difficultés d'exécution, a fait pratiquer diverses mesures à l'encontre d'entités de la Fédération, laquelle se plaint que l'ensemble des procédures diligentées en vain et la publicité qui les a accompagnées lui ont causé un préjudice consécutif à l'atteinte au respect de son droit à l'image et à sa réputation ;
Attendu que la société Noga fait grief à l'arrêt attaqué de la condamner à payer au gouvernement de la Fédération de Russie une somme de 100 000 euros de dommages-intérêts pour atteinte au respect de son droit à l'image et à sa réputation, alors, selon le moyen, que les abus de la liberté d'expression prévus et réprimés par la loi du 29 juillet 1881 ne peuvent être réparés sur le fondement de l'article 1382 du code civil, la diffamation consistant en « toute allégation ou imputation d'un fait qui porte atteinte à l'honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé » ; qu'en retenant qu'était invoqué « un préjudice considérable d'image et de réputation » consécutif à des « saisies spectaculaires et médiatiques », échappant à ce titre aux dispositions de la loi sur la liberté de la presse, tout en constatant que le débiteur faisait également état, à l'appui de sa demande indemnitaire, d'allégations et de déclarations, toutes mensongères, dans les organes de presse écrite ou parlée de nature à porter atteinte à sa réputation et que la publicité ainsi faite autour des mesures de saisies présentait le débiteur, dans l'esprit du public, comme « un Etat mauvais payeur, ce qui correspondait au but de dénigrement et à l'intention de nuire recherchés » par le créancier, les faits retenus au titre de la faute imputée au créancier étant ainsi constitutifs du délit de diffamation, la cour d'appel a violé, par fausse application, l'article 1382 du code civil et, par refus d'application, l'article 29 de la loi du 29 juillet 1881 ;
Mais attendu que la cour d'appel a retenu que le gouvernement de la Fédération de Russie poursuivait, non pas la réparation d'une allégation portant atteinte à son honneur ou à sa réputation, mais l'indemnisation de l'atteinte qui avait été portée à son image à la suite de mesures d'exécution abusives et de la publicité qui les avait accompagnées ; qu'elle en a déduit à bon droit qu'une telle action n'était pas soumise aux dispositions de la loi du 29 juillet 1881 ; que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Noga d'importation et d'exportation aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société Noga d'importation et d'exportation ; la condamne à payer au gouvernement de la Fédération de Russie la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-sept février deux mille treize.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Masse-Dessen, Thouvenin et Coudray, avocat aux Conseils, pour la compagnie Noga d'importation et d'exportation
Le moyen reproche à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir condamné un créancier (la compagnie NOGA, l'exposante) à payer à un débiteur (le gouvernement de la Fédération de Russie) une somme de 100. 000 € à titre de dommages et intérêts pour atteinte à son image et à sa réputation en application de l'article 1382 du code civil ;
AUX MOTIFS QUE, aux termes de l'article 29 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, la diffamation était définie comme étant « toute allégation ou imputation d'un fait qui porte atteinte à l'honneur ou à la considération de la personne auquel le fait est imputé » ; que, toutefois, le gouvernement de la Fédération de Russie ne cantonnait pas sa demande aux allégations et déclarations, qu'il estimait mensongères, qu'avaient pu faire les représentants de la compagnie NOGA dans les organes de presse écrite ou parlée ; qu'en réalité, loin d'agir sur le fondement des dispositions spéciales de la loi du 29 juillet 1881, elle déclarait fonder son action sur les dispositions de l'article 1382 du code civil en exposant, notamment page 5 de l'assignation introductive d'instance, que « l'ensemble de ces procédures abusives et la publicité entretenue par NOGA autour causaient à la Fédération de Russie, et il s'agissait là de l'unique but recherché par NOGA, un préjudice considérable d'image et de réputation » ; qu'il ressortait du déroulement des faits que le gouvernement de la Fédération de Russie poursuivait, non pas la réparation d'une allégation portant atteinte à son honneur ou à sa réputation, mais l'indemnisation de l'atteinte qui avait été portée à son image à la suite de saisies spectaculaires et médiatiques qui, pratiquées en France, avaient toutes été jugées non fondées par les juridictions françaises ; qu'une telle action, distincte des actions prévues par la loi du 29 juillet 1881, était recevable ; qu'il ressortait des documents produits aux débats que la compagnie NOGA avait cherché à jeter le discrédit sur le gouvernement de la Fédération de Russie en faisant procéder à la saisie de biens qui avaient une haute valeur symbolique, notamment, en écrivant, sous la plume de son avocat : « Nous avons tout à gagner à l'intérêt que nos actions suscitent systématiquement dans la presse, parce que cela mobilise l'opinion publique derrière nous » ou directement : « Dans ces circonstances, ne soyez pas surpris que les créanciers procèdent à des saisies d'autres biens identifiés comme appartenant à la Fédération de Russie ou que votre escroquerie soit dénoncée à d'éventuelles banques prêteuses lorsque vous solliciterez de nouveaux crédits » ; qu'effectivement, de nombreux organes de presse s'étaient fait l'écho des procédures de saisies engagées contre les organismes russes ci-avant nommés en énonçant qu'il s'agissait de biens « russes » de sorte que la publicité faite autour de ces mesures avait porté atteinte à la réputation et à l'image de la Fédération de Russie qui, dans l'esprit public, avait été regardée comme étant un Etat mauvais payeur, ce qui correspondait au but de dénigrement et à l'intention de nuire recherchés par la compagnie NOGA ; que le gouvernement de la Fédération de Russie démontrait ainsi que, par la faute de la compagnie NOGA, qui, eût-elle été encore fondée à le poursuivre, s'était comportée de façon intempestive et malicieuse, il avait subi personnellement et directement un préjudice moral qui serait réparé par une indemnité de 100. 000 € (arrêt attaqué, pp. 4 et 5) ;
ALORS QUE les abus de la liberté d'expression prévus et réprimés par la loi du 29 juillet 1881 ne peuvent être réparés sur le fondement de l'article 1382 du code civil, la diffamation consistant en « toute allégation ou imputation d'un fait qui porte atteinte à l'honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé » ; qu'en retenant qu'était invoqué « un préjudice considérable d'image et de réputation » consécutif à des « saisies spectaculaires et médiatiques », échappant à ce titre aux dispositions de la loi sur la liberté de la presse, tout en constatant que le débiteur faisait également état, à l'appui de sa demande indemnitaire, d'allégations et de déclarations, toutes mensongères, dans les organes de presse écrite ou parlée de nature à porter atteinte à sa réputation et que la publicité ainsi faite autour des mesures de saisies présentait le débiteur, dans l'esprit du public, comme « un Etat mauvais payeur, ce qui correspondait au but de dénigrement et à l'intention de nuire recherchés » par le créancier, les faits retenus au titre de la faute imputée au créancier étant ainsi constitutifs du délit de diffamation, la cour d'appel a violé, par fausse application, l'article 1382 du code civil et, par refus d'application, l'article 29 de la loi du 29 juillet 1881.