LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 11 janvier 2012), que Jeanne X... est décédée le 26 décembre 2000, laissant pour lui succéder des neveux et nièces ; qu'elle avait rédigé entre janvier 1999 et juin 2000 neuf testaments dont sept en faveur de Mme Y... ; que, saisi par deux héritiers d'une demande de nullité de ces testaments, le tribunal a ordonné avant dire droit une expertise psychiatrique ;
Attendu que Mme Y... fait grief à l'arrêt de prononcer la nullité des sept testaments rédigés entre le 12 janvier 1999 et le 29 mars 2000 en sa faveur et, en conséquence, de dire que les héritiers légaux doivent recevoir la succession de Jeanne X..., alors, selon le moyen, que les libéralités sont présumées avoir été valablement consenties par leur auteur ; qu'il appartient à celui qui sollicite l'annulation d'une libéralité d'établir l'insanité d'esprit du disposant au moment où elle a été consentie ; que les juges ne peuvent justifier leur décision par des énonciations générales et non circonstanciées ; que dans ses écritures d'appel, Mme Y... faisait valoir que ni les éléments produits par les demandeurs en nullité ni le rapport d'expertise ne permettaient de remettre en cause la validité du premier testament établi au début du mois de janvier 1999 en faveur de Mme Y..., et qu'au contraire, de nombreux éléments de la cause attestaient qu'à cette date, Jeanne X... ne souffrait d'aucun trouble mental de nature à permettre de conclure à son insanité d'esprit ; qu'en se bornant à énoncer sur la base exclusive d'énonciations générales et non circonstanciées expressément adoptées des premiers juges qui ne prennent par définition pas en compte les moyens formulés en cause d'appel par Mme Y..., pour faire droit à la demande en nullité de l'ensemble des testaments établis par Jeanne X..., y compris donc du testament dressé le 12 janvier 1999 en faveur de Mme Y..., que les conclusions de l'expert ne sont " remises en cause par aucune par aucune pièce adverse probante " et qu'il n'est " notamment pas démontré que Jeanne X... qui se trouvait dans un état de grande vulnérabilité physique et mentale ait pu se trouver dans un instant de lucidité lorsqu'elle a rédigé les testaments invoqués ", sans préciser, ainsi qu'il lui était pourtant expressément demandé, à partir de quel moment il pouvait être estimé que l'altération des facultés mentales de Jeanne X... l'avait empêchée de réaliser valablement des libéralités, et donc sans rechercher si l'insanité d'esprit de Jeanne X... était effectivement caractérisée à la date du premier testament établi au profit de Mme Y..., à savoir au début du mois de janvier 1999, ce alors même qu'elle constatait que l'expert avait relevé l'existence d'avis contradictoires au sujet des capacités mentales de Jeanne X..., d'une part, que Jeanne X... avait connu des intervalles de lucidité même au cours de l'année 2000, d'autre part, et que l'expert s'était fondé sur les auditions des docteurs E... et F... qui n'avaient été effectuées que par référence à l'état de Jeanne X... au cours de l'année 2000, soit très postérieurement au premier testament du mois de janvier 1999, ainsi que sur l'audition du Docteur Z..., médecin traitant habituel de Jeanne X... depuis quinze ans, qui indiquait pourtant le 25 novembre 1999 qu'elle disposait d'un raisonnement parfait et d'un langage construit, enfin, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article 901 du code civil ;
Mais attendu que, sous couvert d'un grief non fondé de manque de base légale au regard de l'article 901 du code civil, le moyen ne tend qu'à remettre en discussion, devant la Cour de cassation, l'appréciation des juges du fond qui ont souverainement estimé que le rapport d'expertise, corroboré par les témoignages, établissait la dégradation de l'état mental de Jeanne X... et qu'il n'était pas démontré que celle-ci ait pu se trouver dans un instant de lucidité lors de la rédaction des testaments litigieux ; qu'il ne saurait être accueilli ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne Mme Y... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de Mme Y... et la condamne à payer à Mme A... et M. B... la somme globale de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du six mars deux mille treize.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Fabiani et Luc-Thaler, avocat aux Conseils, pour Mme Y...
Le moyen fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir prononcé la nullité des testaments établis le 12 janvier 1999, le 18 septembre 1999, le 15 octobre 1999, le 15 novembre 1999, le 18 novembre 1999, le 18 février 2000, le 29 mars 2000, en faveur de Madame Y..., et d'avoir en conséquence dit que les héritiers légaux devront recevoir la succession de Madame Jeanne A... veuve X... ;
Aux motifs que « c'est par des motifs exacts et pertinents, adoptés par la cour, que le tribunal, analysant l'ensemble des pièces produites et en particulier le rapport d'expertise judiciaire du docteur C..., a annulé, pour insanité d'esprit de la testatrice, les neuf testaments olographes rédigés par Jeanne A... veuve X... entre le 12 janvier 1999 et le 12 juin 2000 ; Mme Y... ne produit en appel aucun élément de nature à remettre en cause l'appréciation du tribunal que la cour fait sienne ; qu'il y a lieu en conséquence de confirmer le jugement de ce chef » ;
Et aux motifs adoptés des premiers juge que « l'expert, le docteur Olivier C..., a procédé contradictoirement à sa mission après : obtention du dossier médical de Mme X... auprès de l'Hôtel Dieu de Paris (Professeur Claire D...), audition du docteur Denis Z..., médecin traitant habituel de la patiente depuis 15 ans, qui a déclaré qu'à son avis " les fonctions supérieures ne marchaient pus depuis 1 à 2 ans avant son départ de l'appartement...''et qu'il la trouvait " désorientée dans le temps, mais avec un raisonnement parfait et un langage construit ", estimant cependant que ses oublis concernant ses propres visites constituaient un élément en faveur d'une détérioration intellectuelle et émettant l'hypothèse d'une démence artériopathique ", audition du docteur Philippe
E...
, psychiatre, attaché à la maison de retraite INN, ayant établi deux attestations en date des 30 mai 2000 et 20 juin 2000 préconisant une mesure de sauvegarde de justice et de " protection des biens constante type tutelle ", audition du docteur Xavier
F...
, psychiatre désigné par le juge des tutelles du tribunal d'instance du 6ème arrondissement de Paris, ayant déposé le 31 août 2000 un rapport dont les conclusions sont notamment que : Mme X... présente un état de détérioration intellectuelle d'origine sénile, avec atteinte de la mémoire, de la concentration et de l'orientation, accompagnée d'un état dépressif réactionnel ; que l'expert a effectué un travail sérieux, complet et détaillé, a répondu précisément tant à sa mission qu'aux observations des parties ; qu'il a donné son opinion sur l'état de santé de Mme X... en insistant sur la composante dépressive, l'émotivité, la fluctuance de la symptomatologie neuropsychiatrique déficitaire, la vulnérabilité physique et psychique de Mme X... qui laisse ouverte la possibilité d'une influence extérieure sur ses décisions et le rôle de la proximité qui ont pu jouer dans la rédaction des testaments ; que l'expert ajoute que l'existence d'une dépression peut fréquemment entraîner un retentissement sur les fonctions cognitives (attention, concentration, mémoire) or une symptomatologie dépressive a été relevée à plusieurs reprises chez Mme X... ; l'altération (d'origine dépressive) des fonctions cognitives peut aggraver un état sous-jacent de détérioration intellectuelle, même si quelquefois étaient constatés des avis contradictoires au sujet des capacités mentales de Mme X... ; enfin, il existait en raison de l'âge et du handicap moteur (arthrose genoux) une vulnérabilité et une dépendance à l'entourage qui pouvait faire pencher les préférences affectives du côté des personnes ou institutions qui s'occupaient d'elle ou qui étaient sentimentalement investies ; qu'il conclut que l'authenticité des testaments n'est mise en doute par personne, la forme de leur rédaction ainsi que la syntaxe et l'orthographe y sont globalement satisfaisants, sauf en ce qui concerne le testament en faveur des époux G... ; qu'il n'est pas possible de prendre une position tranchée au jour exact de l'établissement des testaments des 12 janvier, 18 septembre, 15 octobre, 15 novembre, 18 novembre 1999 et 18 février, 29 mars, 23 avril et 12 juin 2000, cependant, tout laisse à penser que Mme Jeanne X... était à cette époque dans un état de vulnérabilité physique et morale ainsi que d'indécision tel qu'une personnalité extérieure investie positivement, pouvait exercer sur elle une influence de nature à infléchir son libre choix ; que Mme Jeanne X... se trouvait donc à l'époque de l'établissement des testaments litigieux dans un étal variable (en fonction du moment et du contexte environnemental) d'affaiblissement de ses facultés mentales qui était susceptible d'entraver sa liberté de jugement, de critique et de raisonnement et pouvait remettre en question sa capacité d'exprimer une volonté saine ; bien entendu, il est possible que Mme Jeanne X... ait connu des intervalles de lucidité, qu'il en résulte que les arguments en faveur d'une altération des fonctions supérieures sont ceux qui emportent la conviction, à raison au surplus tant de l'âge de la testatrice, de la succession rapide des testaments qui sont soit une confirmation des précédents, soit l'expression d'un changement décisionnel en faveur de nouveaux bénéficiaires pouvant évoquer une difficultés d'adaptation et/ ou de jugements mais aussi une altération des capacités mnésiques (concernant la mémoire des faits récents ou plus anciens), ces troubles de mémoire pouvant représenter une entrave à mener une action cohérente, continue et pertinente ; que les observations de l'expert sont confortées par les témoignages produits aux débats, notamment ceux de Mmes H... et I..., de M. J..., qui attestent sans équivoque de la dégradation de l'état mental de Mme Jeanne A... veuve X... ; que ces éléments ne sont remis en cause par aucune pièce adverse probante ; qu'il n'est notamment pas démontré que Mme Jeanne X... qui se trouvait dans un état de grande vulnérabilité physique et mentale ait pu se trouver dans un instant de lucidité lorsqu'elle a rédigé les testaments invoqués ; qu'en application de l'article 901 du Code civil, il y a donc lieu de faire droit à la demande des Consorts B...- K... en nullité des testaments litigieux avec toutes conséquences de droit comme il sera dit au dispositif » ;
Alors que, les libéralités sont présumées avoir été valablement consenties par leur auteur ; qu'il appartient à celui qui sollicite l'annulation d'une libéralité d'établir l'insanité d'esprit du disposant au moment où elle a été consentie ; que les juges ne peuvent justifier leur décision par des énonciations générales et non circonstanciées ; que dans ses écritures d'appel, Madame Y... faisait valoir que ni les éléments produits par les demandeurs en nullité ni le rapport d'expertise ne permettaient de remettre en cause la validité du premier testament établi au début du mois de janvier 1999 en faveur de Madame Y..., et qu'au contraire, de nombreux éléments de la cause attestaient qu'à cette date, Madame X... ne souffrait d'aucun trouble mental de nature à permettre de conclure à son insanité d'esprit ; qu'en se bornant à énoncer sur la base exclusive d'énonciations générales et non circonstanciées expressément adoptées des premiers juges qui ne prennent par définition pas en compte les moyens formulés en cause d'appel par Madame Y..., pour faire droit à la demande en nullité de l'ensemble des testaments établis par Madame X..., y compris donc du testament dressé le 12 janvier 1999 en faveur de Madame Y..., que les conclusions de l'expert ne sont " remises en cause par aucune par aucune pièce adverse probante " et qu'il n'est " notamment pas démontré que Madame X... qui se trouvait dans un état de grande vulnérabilité physique et mentale ait pu se trouver dans un instant de lucidité lorsqu'elle a rédigé les testaments invoqués ", sans préciser, ainsi qu'il lui était pourtant expressément demandé, à partir de quel moment il pouvait être estimé que l'altération des facultés mentales de Madame X... l'avait empêchée de réaliser valablement des libéralités, et donc sans rechercher si l'insanité d'esprit de Madame X... était effectivement caractérisée à la date du premier testament établi au profit de Madame Y..., à savoir au début du mois de janvier 1999, ce alors même qu'elle constatait que l'expert avait relevé l'existence d'avis contradictoires au sujet des capacités mentales de Madame X..., d'une part, que Madame X... avait connu des intervalles de lucidité même au cours de l'année 2000, d'autre part, et que l'expert s'était fondé sur les auditions des Docteurs
E...
et
F...
qui n'avaient été effectuées que par référence à l'état de Madame X... au cours de l'année 2000, soit très postérieurement au premier testament du mois de janvier 1999, ainsi que sur l'audition du Docteur Z..., médecin traitant habituel de Madame X... depuis quinze ans, qui indiquait pourtant le 25 novembre 1999 qu'elle disposait d'un raisonnement parfait et d'un langage construit, enfin, la Cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article 901 du Code civil.