LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique, pris en sa première branche :
Vu les articles 1147 du code civil, L. 452-2 du code de la sécurité sociale, R. 4624-10 et D. 4625-1 du code du travail ;
Attendu qu'il résulte du troisième de ces textes que l'employeur est tenu de soumettre ses salariés à une visite médicale avant l'embauche ou au plus tard avant l'expiration de la période d'essai ; qu'en application du quatrième, les entreprises de travail temporaire sont soumises aux mêmes obligations ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que Mohamed X..., salarié intérimaire de la société Manpower (la société), a été mis à la disposition de la Société de construction de l'autoroute de traversée de l'Ouest parisien pour une mission du 5 au 23 septembre 2005 en qualité de soudeur, la période d'essai étant fixée à deux jours ; que le 9 septembre 2005 il a été victime d'un accident mortel sur son lieu de travail ;
Attendu que ses ayants droit ont saisi la juridiction de sécurité sociale aux fins de voir reconnaître la faute inexcusable de l'employeur ;
Attendu que pour rejeter leur demande, l'arrêt retient que l'existence d'une faute inexcusable de l'employeur devait être écartée dans la mesure où les consorts X... n'apportaient pas la preuve de ce que la société avait ou aurait du avoir conscience du danger encouru par son salarié et n'avait pas pris les mesures pour l'en préserver, tout en constatant qu'il était avéré que la société n'avait pas, comme elle y était obligée par l'article R. 4624-10 du code du travail, effectué l'examen médical d'embauche de l'intéressé dans le délai de deux jours prévu pour la période d'essai ;
Qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la seconde branche du moyen :
Dit n'y avoir lieu à mettre hors de cause la Société de construction de l'autoroute de traversée de l'Ouest parisien ;
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 30 novembre 2010, entre les parties, par la cour d'appel de Douai ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Douai, autrement composée ;
Condamne la société Manpower France et la Société de construction de l'autoroute de traversée de l'Ouest parisien aux dépens ;
Vu les articles 700 du code procédure civile et 37 de la loi du 10 juillet 1991, condamne la société Manpower France et la Société de construction de l'autoroute de traversée de l'Ouest parisien à payer aux consorts X... la somme globale de 2 500 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quatorze mars deux mille treize.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Hémery et Thomas-Raquin, avocat aux Conseils, pour les consorts X...
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir débouté les consorts X... de leur demande tendant à voir dire que l'accident dont a été victime Mohamed X... est dû à la faute inexcusable de la société MANPOWER, voir fixer en conséquence le montant de la majoration de la rente d'ayant droit attribuée à Madame Najya Y... à son maximum et à voir allouer en outre à Madame Najya Y... en réparation de son préjudice moral une indemnité de 30 000 euros et à chacun de ses trois fils, Messieurs Fouad, Farid et Karim X..., une indemnité de 20 000 euros de ce même chef ;
AUX MOTIFS PROPRES QUE « l'employeur est tenu d'une obligation de sécurité de résultat lorsqu'il avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver ; que s'il est avéré que la société MANPOWER n'a pas, comme elle y était obligée par l'article R 4624-10 du code du travail, effectué l'examen médical d'embauche de Mohamed X... dans le délai de deux jours prévu pour la période d'essai, il n'en reste pas moins que: - le malaise cardiaque est survenu le 9 septembre (soit deux jours après l' expiration de la période d'essai) à 10 heures 30 (alors qu'il avait commencé normalement son travail à 9 heures 20) alors qu'il discutait avec son collègue en attendant du matériel et qu'il ne fournissait donc aucun effort particulier, - il a travaillé les 5, 6 et 7 septembre 2005 en qualité de soudeur sans qu'il ait eu de problème particulier, - il a été affecté à un poste sans risque particulier (soudeur) dans le cadre duquel il effectuait des taches normales de soudeur et avec du matériel dont il n'est pas évoqué de défectuosités particulières ; qu' au vu des ces éléments, il apparaît que c'est à juste titre que le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de LILLE a écarté l'existence d'une faute inexcusable de l'employeur dans la mesure où les consorts X... n'apportent pas la preuve de ce que la société MANPOWER, qui certes n'a pas effectué la visite d'embauche comme elle y était tenue, avait ou aurait du avoir conscience du danger encouru pour Mohamed X... et n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver ; qu'en effet, il apparaît que cette défaillance cardiaque, survenue le 9 septembre 2005 en l'absence notable d'effort, dont était atteint Mohamed X... depuis 1992 sans manifestation dans la vie courante, aurait pu survenir à l'importe quel moment dans la vie personnelle de l'intéressé ; que dans ces conditions, les consorts X... seront déboutés de leurs demandes, y compris celle fondée au titre de I' article 37 de la loi du 10 juillet 1991 » ;
ET AUX MOTIFS ADOPTES QUE « sur la faute inexcusable : qu'en vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l'employeur est tenu envers celui-ci d'une obligation de sécurité de résultat notamment en ce qui concerne les accidents du travail ; que le manquement à cette obligation a le caractère d'une faute inexcusable au sens de l'article L. 452-1 du Code de la sécurité sociale, lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié, et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver ; qu'il appartient au salarié ou ses ayants droit de caractériser la faute inexcusable de l'employeur ; qu'en l'espèce, les ayants droit invoquent le défaut de visite médicale préalable ; qu'il n'est pas contesté que la SAS MANPOWER était tenue, en application de l'article R. 4624-10 nouveau du code du travail, de soumettre Monsieur Mohamed X... à une visite médicale préalablement à son embauche ou tout du moins à l'expiration de sa période d'essai, et qu'elle n'a pas satisfait à cette obligation ; que la SAS MANPOWER indique que la visite était prévue pour le 9 septembre 2005, date de l'accident mortel ; que toutefois, la caractérisation d'une faute de l'employeur ne suffit pas ; que le lien de causalité avec l'accident survenu doit être également établi ; qu'or en l'espèce, aucun élément du dossier, et notamment aucun élément médical ne permet d'établir un quelconque lien de causalité entre l'absence de visite médicale préalable et le malaise cardiaque dont a été victime Monsieur Mohamed X... ; qu'à défaut pour les demandeurs de caractériser une autre faute de l'employeur, il convient de constater que la preuve d'une faute inexcusable n'est pas apportée, et de les débouter de l'ensemble de leurs demandes à ce titre ; qu'il n'y a dès lors pas lieu à statuer sur les demandes de garantie formulées par la CPAMTS de Dunkerque et la SAS MANPOWER, et donc non plus sur la demande de la SAS MANPOWER relative à l'opposabilité à son égard des conséquences liées à la reconnaissance de la faute inexcusable » ;
ALORS D'UNE PART QUE l'employeur tenu d'une obligation de sécurité de résultat en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs dans l'entreprise doit en assurer l'effectivité ; que l'obligation pour l'employeur de soumettre ses salariés aux visites médicales obligatoires d'embauche relève de cette obligation de sécurité de résultat ; qu'en ne respectant pas cette obligation, l'employeur qui a ou aurait dû nécessairement avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qui n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver, commet donc une faute inexcusable au sens de l'article L. 452-1 du Code de la sécurité sociale ; qu'en retenant en l'espèce que l'existence d'une faute inexcusable de l'employeur devait être écartée « dans la mesure où les consorts X... n'apportent pas la preuve de ce que la société MANPOWER (…) avait ou aurait dû avoir conscience du danger encouru par Mohamed X... et n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver » tout en constatant qu'il était « avéré que la société MANPOWER n'a pas, comme elle y était obligée par l'article R. 4624-10 du code du travail, effectué l'examen médical d'embauche de Mohamed X... dans le délai de deux jours prévu pour la période d'essai », la Cour d'appel a violé les articles 1147 du Code civil, L. 411-1 et L. 452-1 du Code de la sécurité sociale et R. 4624-10 et D. 4625-1 du Code du travail.
ALORS D'AUTRE PART QU'il est indifférent que la faute inexcusable commise par l'employeur ait été la cause déterminante de l'accident survenu au salarié mais qu'il suffit qu'elle soit une cause nécessaire pour que la responsabilité de l'employeur soit engagée ; qu'en se bornant à affirmer en l'espèce que le malaise cardiaque mortel dont Mohamed X... a été victime sur son lieu de travail et dont la Commission de Recours Amiable de la CPAM de Dunkerque a reconnu le caractère professionnel « aurait pu survenir à n'importe quel moment dans la vie personnelle de l'intéressé » et qu'« aucun élément du dossier, et notamment aucun élément médical ne permet d'établir un quelconque lien de causalité entre l'absence de visite médicale préalable et le malaise cardiaque dont a été victime Monsieur Mohamed X... », sans rechercher, comme l'y invitaient les consorts X..., si l'examen médical d'embauche n'aurait pas permis de déceler que Mohamed X... n'était pas apte au poste de travail auquel l'employeur envisageait de l'affecter et aurait donc pu permettre d'éviter l'accident du travail, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1147 du Code civil, L. 411-1 et L. 452-1 du Code de la sécurité sociale et R. 4624-10 et D. 4625-1 du Code du travail.