LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Grenoble, 6 décembre 2011), que M. et Mme X... ont signé le 8 décembre 1993 un contrat de construction de maison individuelle avec la société Ecoda, assurée par la société L'Auxiliaire qui a aussi la qualité d'assureur dommages-ouvrage ; que la société Ecoda a sous-traité le lot gros oeuvre à la société Sogrebat, le lot chauffage électrique à la société Segaat assurée auprès de la société MAAF et le lot carrelage à M. Y... assuré auprès de la société Lutèce aux droits de laquelle vient aujourd'hui la société Generali iard ; qu'après réception des travaux le 4 août 1994, les maîtres de l'ouvrage, s'étant plaint de désordres affectant les carrelages, ont formé des déclarations de sinistre auprès de la société L'Auxiliaire qui a, le 29 juillet 2004, avec la société Ecoda, appelé en garantie les sous-traitants et leurs assureurs ; que la société L'Auxiliaire a refusé sa garantie en qualité d'assureur dommages-ouvrage par lettre du 27 juillet 2004, puis a accepté de désigner un expert, mais a encore refusé sa garantie ; que les époux X... l'ont assignée en désignation d'expert, le 25 juillet 2006 ;
Sur le premier moyen :
Attendu que les époux X... font grief à l'arrêt de déclarer irrecevables leurs demandes contre la société l'Auxiliaire, alors, selon le moyen, que le fait pour un assureur d'accéder à la demande de l'assuré de désigner à nouveau son expert après l'acquisition de la prescription pour apprécier l'évolution du sinistre et ainsi prendre à nouveau position traduit de manière non équivoque la volonté de renoncer à la prescription acquise ; qu'en l'espèce, les époux X... faisaient valoir que la désignation par la société l'Auxiliaire, le 12 janvier 2006, de son propre expert pour se prononcer sur la nature, l'origine et l'étendue des désordres invoqués valait renonciation à se prévaloir de la prescription acquise le 5 août 2004 ; qu'en décidant au contraire que le fait pour la société l'Auxiliaire de souscrire à la mesure d'expertise sollicitée par les époux X... ne manifestait pas de façon non équivoque sa renonciation tacite à la prescription, la cour d'appel a violé les articles L. 114-1 du code des assurances et 2221 du code civil dans sa rédaction applicable au litige ;
Mais attendu qu'ayant constaté que la société l'Auxiliaire avait souscrit à la mesure d'expertise sollicitée par les époux X... et relevé qu'elle avait le 29 juillet 2004, spécialement attrait en la cause les sous-traitants et leurs assureurs dans le but explicite d'interrompre la prescription, la cour d'appel a pu en déduire que le comportement de l'assureur ne pouvait pas s'analyser en une renonciation au bénéfice de la prescription acquise ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Mais sur le second moyen :
Vu les articles 2, 2270-1 et 2270-2 du code civil, dans leur rédaction applicable au litige ;
Attendu que pour déclarer prescrite l'action des époux X... contre les sous-traitants et leurs assureurs, l'arrêt retient que la réception de l'ouvrage étant intervenue le 4 août 1994, les maîtres de l'ouvrage pouvaient agir jusqu'au 4 août 2004, sauf à justifier d'un acte interruptif de la prescription, faisant partir un nouveau délai de dix ans ;
Qu'en statuant ainsi, alors qu'au regard des textes applicables à l'espèce, le point de départ du délai de prescription de dix ans ne commençait à courir à l'égard des sous-traitants qu'à compter du jour de la manifestation du dommage, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a déclaré prescrites les demandes des époux X... à l'égard des sous-traitants et de leurs assureurs, l'arrêt rendu le 6 décembre 2011, entre les parties, par la cour d'appel de Grenoble ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Grenoble, autrement composée ;
Laisse à chaque partie la charge de ses propres dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-sept avril deux mille treize.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, avocat aux Conseils pour M. et Mme X...
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR déclaré irrecevables les demandes des époux X... contre la société l'Auxiliaire ;
AUX MOTIFS QUE dans leur action à l'égard de la société l'Auxiliaire en sa double qualité d'assureur dommage ouvrage et assureur décennal de la société Ecoda, M. et Mme X... sont tenus d'agir dans le délai décennal prévu par l'article 2270 ancien du code civil ; que ce délai court à compter de la réception de l'ouvrage ; que par application de l'article 2221 du code civil, la renonciation à la prescription peut être expresse ou tacite ; que la renonciation à la prescription ne peut résulter que d'actes accomplis en connaissance de cause et manifestant de façon non équivoque la volonté de renoncer ; qu'en l'espèce, le fait pour l'Auxiliaire de souscrire à la mesure d'expertise sollicitée par M. et Mme X..., alors même que l'assureur a, le 29 juillet 2004, spécialement attrait en la cause les sous-traitants et leurs assureurs dans le but explicite d'interrompre la prescription, ne constitue pas un acte manifestant de façon non équivoque la renonciation tacite de la société l'Auxiliaire à la prescription ;
ALORS QUE le fait pour un assureur d'accéder à la demande de l'assuré de désigner à nouveau son expert après l'acquisition de la prescription pour apprécier l'évolution du sinistre et ainsi prendre à nouveau position traduit de manière non équivoque la volonté de renoncer à la prescription acquise ; qu'en l'espèce, les époux X... faisaient valoir que la désignation par la société l'Auxiliaire, le 12 janvier 2006, de son propre expert pour se prononcer sur la nature, l'origine et l'étendue des désordres invoqués valait renonciation à se prévaloir de la prescription acquise le 5 août 2004 (concl. 4 mai 2010, p. 9) ; qu'en décidant au contraire que le fait pour la société l'Auxiliaire de souscrire à la mesure d'expertise sollicitée par les époux X... ne manifestait pas de façon non équivoque sa renonciation tacite à la prescription, la cour d'appel a violé les articles L. 114-1 du code des assurances et 2221 du code civil dans sa rédaction applicable au litige.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR déclaré irrecevables les demandes des époux X... à l'égard des sous-traitants et leurs assureurs respectifs ;
AUX MOTIFS QU'à l'égard des sous-traitants, leur action est également enfermée dans le délai de dix ans de l'article 2270 ancien du même code (civil) ; que ce texte prévoit expressément que ce délai court à compter de la réception de l'ouvrage ; (…) qu'en l'espèce, la réception de l'ouvrage étant intervenue le 4 août 1994, M. et Mme X... pouvaient agir contre la société l'Auxiliaire et contre les sous traitants et leurs assureurs respectifs jusqu'au 4 août 2004, sauf à justifier d'un acte interruptif de la prescription, faisant courir un nouveau délia de 10 ans ; que M. et Mme X..., ne justifiant d'aucune des causes énumérées limitativement à l'article 2244 ancien du code civil, et la lettre avec accusé de réception du 27 juillet 2004n'émanant pas d'eux et en tout état de cause ne constituant pas une cause interruptive, sont prescrits en leurs demandes ainsi que l'a justement retenu le tribunal ;
ALORS QUE lorsque la loi réduit la durée d'une prescription, la prescription réduite commence à courir, sauf disposition contraire, du jour de l'entrée en vigueur de la loi nouvelle, sans que la durée totale puisse excéder le délai prévu par la loi antérieure ; qu'ainsi, le délai de prescription de l'action en responsabilité contre le sous-traitant, fixé à 10 ans à compter de la réception de l'ouvrage par l'ordonnance n° 2005-658 du 8 juin 2005, introduisant un article 2270-2 dans le code civil, ne court, s'agissant des contrats conclus antérieurement, qu'à compter de l'entrée vigueur de cette ordonnance soit le 9 juin 2005 ; qu'en l'espèce, il était acquis aux débats que le marché de travaux avait été conclu entre les époux X... et la société Ecoda le 8 décembre 1993 et que la réception de l'ouvrage avait eu lieu le 7 août 1994 ; qu'en appliquant les nouvelles dispositions de l'article 2270-2 du code civil, issues de l'ordonnance du 8 juin 2005, à l'action en responsabilité engagée par les époux X... contre les sous-traitants de la société Ecoda pour en déduire qu'à l'égard des sous-traitants leur action était enfermée dans un délai de dix ans à compter de la réception de l'ouvrage, la cour d'appel a violé les articles 2, 2270-1 et 2270-2 du code civil dans leur rédaction applicable.