LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Attendu selon l'arrêt attaqué (Paris, 12 mai 2011), que Mme X... a consenti en 1984 un bail rural aux époux de Y... sur des terres et bâtiments d'exploitation ; que les époux de Y... ont été autorisés, au terme d'une procédure judiciaire achevée en 2002, à céder le bail à leur fils ; que se fondant sur les écritures des époux de Y..., déposées dans cette procédure, qui soutenaient que les terres louées avaient été mises à la disposition de l'EARL de Y... depuis 2002, Mme X... a demandé la résiliation du bail pour défaut d'avis au bailleur de cette mise à disposition ;
Attendu que Mme X... fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande alors, selon le moyen :
1°/ que le juge est tenu de respecter et de faire respecter le principe de loyauté qui doit présider aux débats judiciaires, dont la règle de l'« estoppel », selon laquelle nul ne peut se contredire au détriment d'autrui, constitue le corollaire ; que si la mise en oeuvre de cette règle postule que la contradiction dont s'est rendu coupable une partie fasse grief à son adversaire, cette condition n'implique pas nécessairement que le moyen de fait invoqué lors d'une première procédure, avant d'être fautivement contredit lors d'une seconde procédure, ait eu une incidence déterminante sur la solution du premier litige ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel ajoute à la règle de l'estoppel ensemble au principe de loyauté, une condition qu'ils ne comportent pas et viole, ce faisant, le principe et la règle susvisés, ensemble l'article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l'homme ;
2°/ qu'en tout état de cause l'aveu judiciaire fait pleine foi contre celui qui l'a fait ; qu'il ne peut être révoqué ; qu'en ne recherchant pas, comme elle y était pourtant invitée si n'étaient pas constitutives d'un aveu judiciaire les déclarations résultant des conclusions des époux de Y..., qu'il s'agisse de leurs conclusions dans le cadre de la précédente procédure, opposant les mêmes parties, fondées sur la même convention et tendant à la cession judiciaire du bail litigieux, ou encore des premières conclusions qu'ils avaient déposées, dans le cadre de cette même procédure, devant le tribunal paritaire des baux ruraux de Melun, déclarations selon lesquelles les terres exploitées par l'EARL de Y... étaient celles-là mêmes qui faisaient l'objet du bail litigieux, la cour d'appel ne justifie pas légalement sa décision au regard de l'article 1356 du code civil, ensemble les articles L. 411-35 et L. 411-37 du code rural, devenu code rural et de la pêche maritime, dans leur rédaction applicable à la cause ;
Mais attendu, d'une part, que la cour d'appel a exactement retenu que les époux de Y... étaient en droit de démontrer l'erreur de fait dont étaient entachées leurs conclusions déposées dans une précédente instance et devant le premier juge ;
Et attendu, d'autre part, qu'ayant relevé que l'affirmation erronée par les époux de Y... d'une mise à disposition de l'EARL de Y... des parcelles données à bail par Mme X... n'avait eu aucune incidence sur la solution de la procédure précédente ayant opposé les parties, la cour d'appel en a justement déduit qu'il n'y avait pas lieu d'écarter le moyen de défense présenté de façon contraire dans la seconde procédure ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne Mme Z... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du trois juillet deux mille treize.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par Me Blondel, avocat aux Conseils, pour Mme X...
Il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir débouté Madame Z... veuve X... de sa demande tendant à voir prononcer la résiliation du bail rural conclu le 11 novembre 1984 et depuis lors renouvelé.
AUX MOTIFS PROPRES QUE Madame X... soutient que les époux DE Y... ont mis les terres lui appartenant à la disposition de l'EARL DE Y... sans l'en avoir avisée au préalable, ce qui constitue une première infraction à l'article L 411-37 du Code rural ; qu'elle soutient encore que cette mise à disposition a été réalisée, quand Monsieur Roger DE Y... n'était plus associé dans l'EARL DE Y..., ce qui contrevient également au premier alinéa de l'article L 411-37 ; que les consorts DE Y... soutiennent qu'une telle mise à disposition irrégulière n'est jamais intervenue, et produisent, à l'appui de cette assertion, les relevés parcellaires de déclaration à la MSA, et les déclarations de surface adressées à la direction départementale de l'agriculture et de la forêt de Monsieur Roger DE Y..., pour la période de 1998 à 2006, dont il ressort que ce dernier a toujours été l'exploitant des parcelles louées ; qu'ils produisent également les documents de même nature concernant l'EARL DE Y..., qui établissent qu'aucune des terres appartenant à Madame X... n'a été déclarée sous l'exploitation de cette société agricole ; que l'appelante prétend que ce moyen présenté en défense par les consorts DE Y... est irrecevable en ce qu'il contredit à son détriment les affirmations contenues dans leurs écrits de procédure déposés dans le cadré de la précédente instance ayant opposé les mêmes parties, qui était de même nature et fondée sur la même convention, et même au cours de la procédure devant le Tribunal paritaire des baux ruraux ; qu'en application du principe de loyauté procédurale, doit certainement être déclarée irrecevable en son action, en demande ou en défense, la partie qui présente un moyen de fait, déterminant pour le succès de ses prétentions, d'une façon contraire à celle qu'elle a adoptée dans le cadre d'une instance précédente ayant opposé les mêmes parties sur l'application d'une même convention, à la condition toutefois que cette première présentation contraire ait elle-même été déterminante dans la solution de ce précédent litige ; que Madame X... produit d'abord un document dénommé « conclusions », rédigé au nom des consorts DE Y... par leur conseil, et portant l'indication « Tribunal paritaire des baux ruraux de Melun audience du 10 mars 2008 à 9 h 30 », dans lequel il est mentionné en page cinq qu'« au moment où la Cour d'appel de Versailles a rendu sa décision, sur renvoi de la Cour de cassation, le 23 février 2005, les terres étaient effectivement exploitées par l'EARL, mais uniquement depuis 2002 »; que cependant, ces écrits de procédure n'ont pas été déposés lors de l'audience du Tribunal paritaire au soutien de la présentation des prétentions des consorts DE Y... ; que la procédure devant cette juridiction étant orale, le document litigieux est demeuré à l'état de projet, qui bien que transmis au conseil de Madame X... dans le cadre des obligations déontologiques des avocats, pouvait encore être modifié avant son dépôt au cours des débats d'audience ; que cette pièce ne peut donc être considérée comme contredisant le moyen actuellement présenté par les consorts DE Y... ; que la précédente instance judiciaire ayant opposé Madame X... et les époux DE Y..., au cours de laquelle est d'ailleurs intervenu leur fils Bertrand, avait pour objet l'exécution de la convention de bail conclu entre les parties le 11 novembre 1984 ; que si les prétentions des parties étaient différentes, puisque les époux DE Y... sollicitaient l'autorisation judiciaire de céder ce bail à leur fils, cependant que dans le cadre de la présente procédure il sont défendeurs à une demande de résiliation du bail, les deux instances sont bien de même nature, et fondées sur la même convention ; que par arrêt du 24 septembre 2002, la Cour de Cassation a annulé l'arrêt confirmatif rendu par la Cour d'appel de Paris le 27 février 2001 sur le recours engagé par Madame X... à l'encontre du jugement du Tribunal paritaire des baux ruraux du 31 mai 1999, au motif que la Cour d'appel ne pouvait retenir que les compétences professionnelles de Monsieur Bertrand DE Y... ne peuvent être mises en doute, sans rechercher si celui-ci était titulaire d'un diplôme ou certificat de niveau nécessaire ou s'il possédait une expérience professionnelle de la durée requise ; que devant la Cour de renvoi, la discussion entre les parties portait d'une part sur la qualification professionnelle de Monsieur Bertrand DE Y..., d'autre part sur la possibilité de celui-ci, alléguée par les époux DE Y..., d'obtenir une autorisation d'exploitation, au titre de la réglementation sur le contrôle des structures ; que la Cour d'appel de Versailles énonce que «les époux DE Y... produisent le brevet de technicien agricole obtenu par leur fils en 1987 ; que Madame X... admet que Monsieur Bertrand DE Y... remplit les conditions de capacité et d'expérience professionnelle ; qu'il n'est pas davantage contesté que les conditions exigées par la législation antérieure au 1er juillet 1999 sont elles aussi satisfaites» ; que la Cour retient également que le projet de cession des époux DE Y... s'inscrit dans le cadre d'une installation, et non pas d'un agrandissement ou de la réunion d'exploitations agricoles ; qu'elle énonce ensuite que « s'agissant d'une installation sous l'empire de la législation antérieure à la loi du 9 juillet 1999 comme sous l'empire de cette dernière, l'installation ne nécessite d'autorisation administrative préalable que lorsque le candidat ne dispose pas de capacités ou de l'expérience professionnelle requise ce qui n'est pas le cas en l'espèce » ; que cette analyse a été approuvée par la Cour de cassation qui, dans son arrêt du 30 mai 2006, énonce que « ayant relevé que l'opération projetée s'analysait en une installation et non pas en un agrandissement puisque les terres objet de la demande de cession devaient faire l'objet d'une exploitation personnelle par le bénéficiaire de la reprise et exactement relevé que l'article L 331-2 du Code rural, dans sa rédaction en vigueur avant la loi du 9 juillet 1999, ne prévoyait pas un tel cas, la Cour d'appel, qui en a exactement déduit que la cession projetée n'était pas soumise à une condition d'autorisation administrative préalable a légalement justifié sa décision » ; que dans les conclusions qu'ils ont déposées devant la Cour d'appel de Versailles, les époux DE Y... énoncent que leur fils justifie d'un diplôme et d'une expérience suffisante en ce que, notamment, « il est cogérant avec son père Roger DE Y... de l'EARL DE Y... qui exploite les terres dont s'agit » ; que cependant, ce moyen est sans aucune portée puisque la Cour de Versailles a finalement retenu que Monsieur Bertrand DE Y... justifiait d'une qualification professionnelle suffisante par son brevet de technicien agricole obtenu en 1987 ; qu'ils énoncent encore que « le Tribunal et la Cour d'appel de Paris ont rappelé que Bertrand DE Y... n'exploitait aucune parcelle à titre personnel que celles exploitées dans le cadre de l'EARL DE Y... », et que l'arrêté préfectoral du 1er août 2002 contenait autorisation de l'EARL DE Y... d'exploiter les mêmes parcelles ; que toutefois, la Cour d'appel de Versailles, même si elle affirme dans ses motifs «qu'il est constant que les terres objet d'une demande d'autorisation de cession ont été données à bail à Monsieur et Madame DE Y... étaient exploitées par l'EARL DE Y... », ne tire cependant aucune conséquence de cette affirmation puisqu'elle retient au contraire qu'une autorisation administrative n'est pas nécessaire ; qu'il s'ensuit que le moyen présenté par les époux DE Y..., d'une exploitation des terres louées à Madame X... dans le cadre de l'EARL DE Y..., s'est trouvé là aussi dépourvu de toute utilité ; qu'il résulte de ces éléments que l'affirmation erronée par les époux DE Y... d'une mise à disposition de l'EARL DE Y... en vue de leur exploitation au sein de cette société, des parcelles données à bail par Madame X... n'a eu aucune incidence sur la solution de la procédure précédente ayant opposé les parties ; qu'en conséquence, il n'y a pas lieu d'écarter le moyen de défense présenté de façon contraire par les consorts DE Y... dans le cadre de la procédure actuelle ; qu'il convient donc de confirmer le jugement du Tribunal paritaire des baux ruraux, qui a justement affirmé qu'il n'existait pas de cession prohibée pouvant justifier la résiliation du bail ;
ET AUX MOTIFS ADOPTES QUE Madame Marie-Claire Z... veuve de Monsieur Jean René X... a donné à bail aux époux DE Y..., les terres de la Ferme de Fay d'une contenance de 124 ha 65 a 72 ca ; qu'après une très longue procédure, les époux DE Y... ont obtenu l'autorisation judiciaire de céder ces terres à leur fils Bertrand DE Y... ; que Mme X... reproche aujourd'hui à Monsieur et Madame DE Y... de ne pas l'avoir informée que les terres louées avaient été mises à la disposition d'une société agricole en l'occurrence l'EARL DE Y... ; que cependant qu'il résulte de l'examen des pièces versées aux débats, notamment des relevés PAC et MSA de Monsieur Roger DE Y... pour la période 1998-1999, que celui-ci exploitait à titre individuel 200 ha 95 a 87 ca ; que celui-ci indique dans sa déclaration annuelle 2001 une modification, à savoir que l''EARL DE Y... a repris à Monsieur Roger DE Y... 78 ha 05 a 15 ca, qu'ainsi l'EARL a exploité à partir du 15 décembre 2000, 199 ha 05 a 78 ca ; que lui-même à titre individuel a conservé et exploite 122 ha 44 a 99 ca ; que ce même relevé parcellaire montre que les terres appartenant à Madame Z... veuve X... restent exploitées par Monsieur DE Y... ; que depuis cette date la situation reste inchangée ; que les déclarations de surface montrent qu'à partir de l'année 2001, Monsieur DE Y... continue à exploiter les terres se trouvant sur la Commune de Chailly en Bière ; que parallèlement, l'examen des relevés parcellaires de l'EARL DE Y... indique bien que celle-ci ne cultive pas les terres de Madame Z... veuve X... ; que par ailleurs qu'il convient de faire remarquer que, si une confusion dans la rédaction des différentes décisions a pu induire Madame veuve X... en erreur, il n'appartient pas au Tribunal paritaire de faire perdurer cette confusion dès lors que des pièces attestent le contraire de ce qui est avancé ; qu'il ressort de l'ensemble de ces éléments qu'il n'y a pas lieu à résiliation du bail et de débouter Madame veuve X... de sa demande ;
ALORS QUE, D'UNE PART, le juge est tenu de respecter et de faire respecter le principe de loyauté qui doit présider aux débats judiciaires, dont la règle de l'« estoppel », selon laquelle nul ne peut se contredire au détriment d'autrui, constitue le corollaire ; que si la mise en oeuvre de cette règle postule que la contradiction dont s'est rendu coupable une partie fasse grief à son adversaire, cette condition n'implique pas nécessairement que le moyen de fait invoqué lors d'une première procédure, avant d'être fautivement contredit lors d'une seconde procédure, ait eu une incidence déterminante sur la solution du premier litige ; qu'en décidant le contraire, la Cour ajoute à la règle de l'estoppel ensemble au principe de loyauté, une condition qu'ils ne comportent pas et viole, ce faisant, le principe et la règle susvisés, ensemble l'article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l'homme ;
ET ALORS QUE, D'AUTRE PART ET EN TOUT ETAT DE CAUSE, l'aveu judiciaire fait pleine foi contre celui qui l'a fait ; qu'il ne peut être révoqué; qu'en ne recherchant pas, comme elle y était pourtant invitée (cf. les conclusions d'appel de Madame Z... veuve X..., p. 8) si n'étaient pas constitutives d'un aveu judiciaire les déclarations résultant des conclusions des époux DE Y..., qu'il s'agisse de leurs conclusions dans le cadre de la précédente procédure, opposant les mêmes parties, fondées sur la même convention et tendant à la cession judiciaire du bail litigieux, ou encore des premières conclusions qu'ils avaient déposées, dans le cadre de cette même procédure, devant le Tribunal paritaire des baux ruraux de Melun, déclarations selon lesquelles les terres exploitées par l'EARL DE Y... étaient celles-là mêmes qui faisaient l'objet du bail litigieux, la Cour ne justifie pas légalement sa décision au regard de l'article 1356 du Code civil, ensemble les articles L 411-35 et L 411-37 du Code rural, devenu Code rural et de la pêche maritime, dans leur rédaction applicable à la cause.