LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le second moyen, pris en sa première branche :
Vu l'article L. 122-8, alinéa 3, du code de la propriété intellectuelle, dans sa rédaction issue de l'article 48 de la loi n° 2006-961 du 1er août 2006 portant transposition de la directive 2001/84/CE du Parlement européen et du Conseil, du 27 septembre 2001, relative au droit de suite au profit de l'auteur d'une oeuvre d'art originale ;
Attendu qu'aux termes de ce texte, le droit de suite est à la charge du vendeur ; que la responsabilité de son paiement incombe au professionnel intervenant dans la vente et, si la cession s'opère entre deux professionnels, au vendeur ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que soutenant que la société de ventes volontaires de meubles aux enchères publiques Christie's France avait, en violation du texte susvisé, inséré dans ses conditions générales de vente une clause mettant le paiement du droit de suite à la charge de l'acquéreur, le Syndicat national des antiquaires (SNA) a engagé une action à l'encontre de cette société aux fins de voir qualifier une telle pratique d'acte de concurrence déloyale et constater la nullité de la clause litigieuse ; que par arrêt du 22 janvier 2014 (pourvoi n° 13-12.675, Bull. 2014, I, n° 12), la première chambre civile de la Cour de cassation, après avoir rejeté le premier moyen du pourvoi dirigé contre le chef de l'arrêt ayant déclaré recevable l'action du SNA, a saisi la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle portant sur l'interprétation de la règle édictée par l'article 1er, paragraphe 4, de la directive précitée, qui met le paiement du droit de suite à la charge du vendeur ;
Attendu que pour déclarer nulle et de nul effet la clause 4-b figurant dans les conditions générales de vente de la société Christie's France, l'arrêt énonce que la loi nationale met clairement le paiement du droit de suite à la charge des vendeurs et n'autorise aucune dérogation par voie conventionnelle, son imputation à l'acheteur contredisant l'objectif de suppression des distorsions de concurrence poursuivi par la directive 2001/84/CE du 27 septembre 2001 ;
Attendu cependant que, par arrêt du 26 février 2015 (C-41/14), la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que l'article 1er, paragraphe 4, de la directive doit être interprété en ce sens qu'il ne s'oppose pas à ce que la personne redevable du droit de suite, désignée comme telle par la législation nationale, que ce soit le vendeur ou un professionnel du marché de l'art intervenant dans la transaction, puisse conclure avec toute autre personne, y compris l'acheteur, que cette dernière supporte définitivement, en tout ou en partie, le coût du droit de suite, pour autant qu'un tel arrangement contractuel n'affecte nullement les obligations et la responsabilité qui incombent à la personne redevable envers l'auteur ;
D'où il suit qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres branches du second moyen :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déclare nulle et de nul effet la clause 4-b figurant dans les conditions générales de vente de la société Christie's France, l'arrêt rendu le 12 décembre 2012, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Versailles ;
Condamne le Syndicat national des antiquaires aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande du Syndicat national des antiquaires et le condamne à payer à la société Christie's France la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du trois juin deux mille quinze.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Second moyen produit par la SCP Hémery et Thomas-Raquin, avocat aux Conseils, pour la société Christie's France.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir déclaré nulle et de nul effet la clause 4-b figurant dans les conditions générales de vente de la société CHRISTIE'S FRANCE ;
AUX MOTIFS QUE « le SNA expose que mettre le paiement du droit de suite à la charge de l'acheteur, et en dispenser les vendeurs, est contraire à l'article L. 122-8 alinéa 3 du Code de la propriété intellectuelle, transposant l'article 1.4 de la directive n° 2001/84/CE du 27 décembre 2001 ; qu'à titre subsidiaire, il demande à la Cour, en cas de doute sur l'interprétation à donner à ces dispositions, de poser une question préjudicielle à la Cour de justice sur la validité de l'aménagement contractuel proposé par CHRISTIE'S ; que la société CHRISTIE'S FRANCE, intimée, expose que l'aménagement contractuel litigieux ne contrevient pas aux règles relatives au droit de suite, dans la mesure où il n'a pas pour effet de libérer le vendeur de son obligation légale à l'égard de l'auteur et qu'il ne déroge donc pas aux dispositions de l'article L. 122-8 alinéa 3 du Code de la propriété intellectuelle, que le SNA ne démontre pas le caractère impératif de ces dispositions ; qu'enfin, le SNA ne justifie pas de l'intérêt de la question préjudicielle à poser à la Cour et sa formulation « travesti(rai)t l'aménagement contractuel qu'il dénonce » ; mais que la loi nationale met clairement la charge du paiement du droit de suite sur les vendeurs et n'autorise aucune dérogation par voie conventionnelle ; qu'en effet, l'article L. 122-8 du Code de la propriété intellectuelle dispose : « Le droit de suite est à la charge du vendeur. La responsabilité de son paiement incombe au professionnel intervenant dans la vente et, si la cession s'opère entre deux professionnels, au vendeur » ; que les travaux parlementaires viennent confirmer que l'intention du législateur, au-delà de la lettre du texte, était de mettre le droit de suite à la charge exclusive du vendeur ; qu'il résulte en effet du rapport rédigé par M. X..., au nom de la Commission des affaires culturelles du Sénat (n° 308), que seul le vendeur « subira une restriction dans l'exercice de l'abusus de son droit de propriété », la personne responsable du paiement (le professionnel) « étant simplement chargée de prélever les fonds sur le prix de vente de l'oeuvre afin de les tenir à la disposition de l'auteur » ; que le rapporteur précisait que « le droit de suite est mis à la seule charge du vendeur. Aux termes de la directive, ce principe ne fait l'objet d'aucune exception. Sa simplicité contribuera sans aucun doute à établir des conditions de concurrence saines entre les principales places de marché situées au sein de l'Union européenne » ; que l'examen des travaux parlementaires démontre que la faculté d'autoriser des dérogations conventionnelles à ce principe avait été envisagée et aussitôt écartée ; qu'en effet, un amendement rédigé dans ce sens avait été déposé par M. Y... ; que cet amendement, qui aurait permis d'imputer le droit de suite aux acheteurs, a été écarté par la Commission mixte paritaire ; que dans l'exposé des motifs de M. Y..., celui-ci regrette que le législateur français ait exclu, contrairement à certains Etats, que le droit de suite puisse être supporté, en définitive, par l'acheteur ; que dès l'origine, le droit de suite, de création française, a été conçu comme une rétribution versée par le vendeur, qui s'est enrichi par la vente d'une oeuvre, à l'auteur, dont la rémunération originaire, lors de la première cession de l'oeuvre, a pu être fort modique, au regard des plus-values acquises postérieurement à celle-ci ; que l'extrait des débats parlementaires versé aux débats par le SNA (annexe 6794 ¿ séance du 2 septembre 1919, rapport d'André Z...) témoigne du souci d'équité qui animait la réforme et le vendeur était ainsi interpellé : « si vous vendez cette oeuvre en vente publique et puisqu'aussi bien vous donnerez une part à l'Etat et une autre au commissaire-priseur, vous verserez également un modeste salaire à celui qui a créé la richesse qui est entre vos mains » ; qu'au regard de ces éléments, il apparaît que le législateur n'a admis aucune exception au principe posé dans l'article L. 122-8 du Code de la propriété intellectuelle ; qu'en lisant ce texte à la lumière de la directive qu'il a pour objet de transposer en droit national, à savoir l'article 4, il apparaît que toute dérogation par voie conventionnelle à ses dispositions irait à l'encontre de l'objectif de la directive, à savoir assurer un fonctionnement non faussé du marché communautaire de la vente des objets d'art ; que l'article 4 de la directive énonce clairement : « Le droit visé au paragraphe 1 est à la charge du vendeur. Les Etats membres peuvent prévoir que l'une des personnes physiques ou morales visées au paragraphe 2, autre que le vendeur, est seule responsable du paiement du droit ou partage avec le vendeur cette responsabilité » ; qu'aucune dérogation n'est prévue dans ce texte dont la loi française reprend scrupuleusement les termes ; que ces dispositions doivent être interprétées en fonction de l'objectif poursuivi par cette directive d'harmonisation, à savoir mettre un terme aux « distorsions du marché dues aux différences de législations nationales qui permettaient aux vendeurs de se fournir en marchandises dans des pays appliquant le droit de suite pour les revendre dans ceux qui ne l'appliquaient pas » ; que cet objectif a été concrétisé par l'instauration d'un droit de suite dans tous les Etats membres et une uniformisation du régime de ce droit ; qu'aucune dérogation n'a été envisagée dans la directive, de nature à permettre d'imputer le paiement de ce droit aux acheteurs ; que les caractéristiques du marché de la vente des objets d'art rendent impossible toute dérogation, à peine de créer des distorsions de concurrence entre opérateurs ; qu'en effet, interviennent sur le marché de la vente des oeuvres d'art soumises au droit de suite, les sociétés de ventes volontaires, les commissaires-priseurs judiciaires, les galeries d'art, les antiquaires, et autres négociants en objets d'art ; qu'une certaine concurrence existe entre ces opérateurs pour attirer les vendeurs, condition essentielle de l'irrigation du marché ; que c'est la vitalité de l'offre qui fait la renommée des places de vente et non les acheteurs qui peuvent passer des ordres par téléphone ; que les taux de prélèvement (commissions vendeurs, TVA, droit de suite) qui pèsent sur ces vendeurs influent nécessairement sur leur décision de vendre à tel ou tel opérateur ; que l'influence du droit de suite sur les délocalisations des vendeurs vers les pays ne percevant pas ce droit a été stigmatisée et a donné lieu à la présente directive, qui a généralisé sa perception en Europe ; que prévoir que seuls les acheteurs paieront ce droit de suite revient, en réalité, à réinstaurer cette discrimination entre les opérateurs, tels CHRISTIE'S, qui auront convenu que seuls les acheteurs paieront et les autres opérateurs, sociétés de ventes volontaires concurrentes, ou autres opérateurs qui respectent scrupuleusement les termes de la loi ; que, démentant ses écritures dans lesquelles elle minimise les distorsions de concurrence pouvant en résulter, compte tenu des montants en cause, plafonnés à 12.500 euros par oeuvre, la société CHRISTIE'S présentait ainsi, en 2008, sa décision d'imputer aux acquéreurs le paiement du droit de suite, soulignant qu'elle avait pris cette décision « afin de permettre à Paris de devenir une place majeure du marché de l'art en incitant un plus grand nombre de collectionneurs à vendre leurs oeuvres d'art en FRANCE », les principales places de Londres et de New-York n'appliquant pas ce droit ; que l'effet distorsif de concurrence de cette mesure est donc assumé et revendiqué ; que cette décision a nécessairement entraîné pour la maison de ventes un avantage concurrentiel par rapport aux autres sociétés de ventes volontaires ou autres opérateurs intervenant sur le marché de l'art en FRANCE ou en Europe qui appliquent le droit de suite aux vendeurs, nonobstant le caractère plafonné de ce droit ; qu'en définitive, la clause des conditions générales de la société CHRISTIE'S est contraire à l'article L. 122-8 du Code de la propriété intellectuelle ; que si la société CHRISTIE'S FRANCE soutient que cet aménagement contractuel serait conforme à l'article 1165 du Code civil, et ne porterait pas atteinte aux droits du créancier, à savoir l'auteur de l'oeuvre, il convient de souligner que la loi s'oppose à cet aménagement, le paiement du droit de suite étant spécifiquement imputé au vendeur, de par la volonté même du législateur, l'imputation à l'acheteur par voie conventionnelle contredisant l'objectif d'élimination des distorsions de concurrence ; qu'il est, par ailleurs, permis de s'interroger sur l'acquiescement, au cas par cas, de l'acheteur à cette dérogation au principe posé par la loi, les conditions générales, auxquelles renvoie un « lambda » figurant au regard de certaines oeuvres dans le catalogue de vente de la société, n'étant pas très lisibles ; que si la société CHRISTIE'S verse aux débats une note de la Commission européenne, interrogée par la Chancellerie, semblant ne pas estimer contraire à la directive l'arrangement conventionnel proposé par CHRISTIE'S, il convient de noter que cette note, qui répond à une demande non versée au dossier, ne peut être pertinente dans le cadre de la présente instance ; que, au surplus, dépourvue d'effets juridiques, elle ne lie pas le juge national et ne se prononce pas sur la conformité du dispositif à la loi nationale, fondement de l'action en nullité intentée par le SNA ; que le jugement déféré sera infirmé en toutes ses dispositions et la clause litigieuse des conditions générales de vente sera déclarée nulle, sans qu'il soit besoin de poser une question préjudicielle à la Cour de l'Union européenne, les dispositions de la loi nationale étant claires » ;
ALORS QUE, D'UNE PART, l'article L. 122-8 du Code de la propriété intellectuelle, comme l'article 4 de la directive n° 2001/84/CE du 27 décembre 2001 dont il assure la transposition en droit national, énoncent sans autre précision ou restriction que le droit de suite est à la charge du vendeur ; que l'existence d'une obligation légale au paiement du droit de suite à la charge du vendeur, telle qu'elle ressort de ces textes et des travaux et débats parlementaires qui ont précédé l'adoption de la loi française, n'exclut nullement la possibilité d'aménager de façon conventionnelle la charge du paiement de ce droit, cet aménagement ne valant qu'entre les parties au contrat de vente et étant inopposable aux bénéficiaires du droit de suite ; qu'en retenant cependant, pour annuler la clause litigieuse des conditions générales de vente de la société CHRISTIE'S FRANCE, que la loi française comme la directive communautaire excluaient tout aménagement conventionnel entre l'acheteur et le vendeur de la charge du paiement du droit de suite, la Cour d'appel a violé l'article L. 122-8 du Code de la propriété intellectuelle, tel qu'il doit être interprété à la lumière de la directive du 27 décembre 2001 ;
ALORS QUE, D'AUTRE PART, l'avis de la Commission européenne du 22 décembre 2008 énonçait expressément que « l'interprétation la plus appropriée de la directive nous semble être que les parties ont le droit de conclure (des) conventions en ce qui concerne les modalités du paiement du droit de suite, mais que ces arrangements n'auront qu'un effet relatif et ne dégageront pas les parties des obligations qui leur sont conférées par la loi française » ; qu'en retenant cependant, pour écarter cet élément des débats, que cet avis n'était pas pertinent dans la mesure où « il ne se prononce pas sur la conformité du dispositif à la loi nationale », la Cour d'appel en a dénaturé les termes et violé l'article 1134 du Code civil ;
ALORS QU'EN OUTRE, une pratique contractuelle légale et ouverte à tous ne peut par définition même avoir un effet anticoncurrentiel, rien n'empêchant chacun des acteurs du marché concerné de choisir d'y avoir ou non recours ; qu'en retenant, pour annuler la clause litigieuse des conditions générales de vente de la société CHRISTIE'S FRANCE, que les « caractéristiques du marché de la vente des objets d'art rendent impossible toute dérogation, à peine de créer des distorsions de concurrence entre opérateurs », la Cour d'appel a violé les articles L. 122-8 du Code de la propriété intellectuelle et 1134 du Code civil ;
ALORS QU'ENFIN, en tout état de cause, la répartition de la charge du paiement du droit de suite entre l'acheteur et le vendeur est neutre en termes de concurrence ; que si l'existence ou l'absence de tout droit de suite était susceptible de créer des distorsions de concurrence ainsi que des délocalisations de ventes au sein de l'Union européenne, l'aménagement conventionnel du poids de cette dette entre acheteur et vendeur n'a en revanche aucune incidence dans la mesure où la vente reste dans sa globalité soumise, comme une autre, au droit de suite ; qu'en retenant cependant que la clause des conditions générales de vente de la société CHRISTIE'S FRANCE mettant le paiement du droit de suite à la charge de l'acheteur était nulle car « contredisant l'objectif d'élimination des distorsions de concurrence », la Cour d'appel a violé les articles L. 122-8 du Code de la propriété intellectuelle et 1134 du Code civil.