LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique, pris en sa première branche :
Vu les articles 270 et 271 du code civil ;
Attendu que la prestation compensatoire n'a pas pour objet de corriger les effets de l'adoption par les époux du régime de séparation de biens ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, qu'un jugement a prononcé le divorce de M. X... et de Mme Y... ;
Attendu que, pour condamner l'époux à payer une prestation compensatoire, l'arrêt énonce que cette prestation « a quand même pour objet de corriger les injustices liées au jeu du régime séparatiste » ;
Qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne M. X... à payer à Mme Y... une prestation compensatoire de 200 000 euros, l'arrêt rendu le 3 avril 2014, entre les parties, par la cour d'appel de Douai ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel d'Amiens ;
Condamne Mme Y... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, la condamne à payer à M. X... la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du huit juillet deux mille quinze.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Bénabent et Jéhannin, avocat aux Conseils, pour M. X...
Il est fait grief à l'arrêt attaqué, infirmatif de ce chef, d'avoir condamné Monsieur X... au paiement d'une prestation compensatoire sous forme d'un capital de 200 000 euros ;
AUX MOTIFS QUE « sur la prestation compensatoire : il résulte des articles 270 et suivants du Code civil que l'un des époux peut être tenu de verser à l'autre une prestation destinée à compenser autant qu'il est possible, la disparité que la rupture du mariage crée dans les conditions de vie respectives ; que la prestation compensatoire est fixée selon les besoins de l'époux à qui elle est versée et les ressources de l'autre en tenant compte de la situation au moment du divorce et de l'évolution de celle-ci dans un avenir prévisible ; pour ce faire, le juge prend en considération un certain nombre d'éléments non limitativement énumérés par l'alinéa 2 de l'article 271 du Code civil ;
qu'aux termes de l'article 272 du Code civil, dans le cadre de la fixation d'une prestation compensatoire, ou à l'occasion d'une demande en révision, les parties fournissent au juge une déclaration sur l'honneur certifiant l'exactitude de leur ressources, revenus, charges, patrimoine et conditions de vie ; qu'en l'espèce, aucune des parties n'a fourni cette déclaration ;
que la situation se présente ainsi que suit ; le mari est âgé de 62 ans, et l'épouse de 60 ans ;
que le mariage a été célébré le 7 juin 1980 et le couple vivait ensemble jusqu'à sa comparution devant le magistrat conciliateur : la durée de la vie commune postérieure au mariage a donc duré 28 ans ;
que le couple a eu deux enfants, majeurs et autonomes ; que Philippe X... et Marie-Christine Y... ont contribué longtemps à l'entretien et l'éducation de Charles ; que Philippe X... n'est plus tenu à cette obligation, le premier juge l'ayant supprimée ; que Marie-Christine Y... fait valoir qu'elle verse encore 500 € à cet enfant, mais s'agissant désormais d'un adulte de 28 ans, pour lequel n'est invoqué aucun problème de santé ou handicap réduisant ses capacités physiques intellectuelles, il ne saurait être retenu le versement de cette somme, comme obligation ;
qu'il n'est aucunement démontré que Marie-Christine Y... ait consenti quelque sacrifice de carrière pour se consacrer à l'éducation de ses enfants ;
que Marie-Christine Y... exerce la profession de médecin gynécologue ; que ses deux derniers avis d'imposition font apparaître les revenus suivants :
- En 2011 : des salaires 4 210 €, des revenus non commerciaux professionnels : 57 881 €, et des revenus fonciers : 3 387 €, soit un revenu mensuel de 5 456, 50 € ; le montant de l'IRPP en 2012 a été de 9 347 € ;
- En 2012 : des salaires 4 202 €, des revenus non commerciaux professionnels : 28 730 €, des revenus fonciers en déficit : 7 562 € ;
que si le déficit foncier peut s'expliquer par les travaux de réparations effectués sur l'immeuble sis... à Valenciennes (soit 13 700 € de travaux selon la déclaration 2044), en revanche aucune explication n'est donnée quant à la chute de près de moitié des revenus professionnels non commerciaux ;
qu'au titre de ses charges, l'appelante fait état d'un prêt immobilier pour l'acquisition vraisemblablement d'un des trois biens propres dont il sera question ci-après, générant des mensualités de 818. 40 € (dernière échéance : mai 2017) et dont les intérêts sont nécessairement intégrés dans le calcul des revenus fonciers nets (en 2013, la somme de 2 742 € a été déclarée à ce titre pour l'immeuble sis... à Valenciennes cf : déclaration 2044 pièce 50). Elle verse également aux débats une offre de crédit pour un prêt travaux de grosses réparations de 45 000 € en date du 30 mars 2012, mais n'y joint pas le tableau d'amortissement, et ne l'invoque même pas dans ses écritures ;
que Philippe X... est à la retraite ; qu'il reçoit une pension mensuelle de la CARSAT Nord Picardie et des retraites complémentaires trimestrielles de l'AGIRC et d'ARRCO ;
qu'en 2013, il a déclaré pour l'année 2012 :
- Au titre des salaires : 1887 €
- Au titre des pensions : 12 346 €
- Au titre des revenus de capitaux mobiliers : 9 178 €
- Au titre des revenus fonciers : 25 394 € soit un revenu mensuel de 4 067 € ;
qu'il verse aux débats les éléments relatifs à ses pensions de retraite versées en 2013 :
- Par la CARSAT : en moyenne : 850, 40 €
- ARGIRC : 692, 85 €/ trimestre-ARRCO : 762, 39 €/ trimestre soit un revenu mensuel prévisible pour cette année-là au titre des seules retraites de 1 335, 50 €/ mois qu'il sera constaté le niveau de vie encore confortable de Philippe X... malgré sa mise à la retraite, ses ressources étant constituées pour 2/3 de revenus de capitaux mobiliers et fonciers ;
Que le couple possède en indivision deux immeubles sis... à Anzin ; qu'aucune évaluation récente n'est communiquée sur ces deux biens ; que dans la déclaration ISF 2010 de Philippe X..., ces immeubles figurent pour l'un à hauteur de 72 500 € (étant précisé que celui-ci est mentionné comme étant la résidence principale et qu'un abattement de 30 % est pratiqué sur la valeur de ce type de biens) et pour l'autre à hauteur de 64 000 € ; que le mari soutient qu'il a fait une donation au conjoint survivant de la moitié des immeubles sis... à Anzin qui constituait le domicile conjugal ; Mais qu'outre le fait qu'il ne verse aucune pièce en ce sens aux débats, et que l'épouse conteste une telle donation, il sera rappelé que selon l'article 265 du Code civil le divorce emporte révocation de plein droit les dispositions à cause de mort accordées par un des époux envers son conjoint par contrat de mariage ou pendant l'union ;
que chacun des époux dispose d'un patrimoine propre ;
que Marie-Christine Y... possède plusieurs immeubles à Valenciennes qu'elle a fait évaluer en juillet 2013 par une agence immobilière (pièce 48) :
- l'immeuble sis... mentionné plus haut, et qui faisait l'objet à la date de l'estimation d'une promesse de vente à hauteur de 124 600 € ; que pour l'acquisition de ce bien, l'appelante avait contracté un prêt de 80 000 €, qui est toujours en cours comme il a été vu plus haut (en juillet 2013, le capital restant dû s'élevait à la somme de 36 202 €), mais qui devrait être soldé de par la vente ;
- un immeuble sis... qui est le local professionnel de Marie-Christine Y..., évalué à la somme de 180 000 € ;
- qu'un immeuble sis... estimé pour 140 000 € (immeuble loué selon la déclaration 2044)
- un garage situé..., négociable à hauteur de 10 000 € et figurant également dans la déclaration de 2044 comme un bien générant des revenus locatifs ;
qu'elle ne donne aucune indication sur la valeur de sa clientèle qu'elle va pourtant bientôt céder vu son âge ;
qu'il est par ailleurs étonnant que l'épouse ne fasse état d'aucune valeur mobilière, alors qu'elle exerce la profession de médecin depuis de longues années (sur l'acte de mariage, il est mentionné, qu'elle occupe déjà cette activité) ;
que Philippe X... est détenteur d'un patrimoine immobilier et mobilier conséquent comme il va être vu ci-après ;
que l'avis de fixation de l'affaire portait injonction pour lui de produire sa dernière déclaration d'ISF, ce à quoi il a été répondu qu'il n'y était plus assujetti et que la dernière déclaration datait de 2011 ; qu'or, le document qu'il verse aux débats est incomplet, ne faisant apparaître que la base imposable (1 396 323 €) et non les annexes ; que comme par ailleurs il s'abstient de fournir une évaluation de ces biens, il sera fait ici référence à l'ISF de 2010, qui faisait mention d'une base imposable de 1 450 994 € (soit donc à peine inférieure de 151 000 € à la base imposable sous la barre de laquelle il serait passé, sans qu'aucune explication ne soit donnée à ce sujet) ;
qu'aux termes de ce document, Philippe X... possède :
- un immeuble industriel appartenant à une SCI sise... à Anzin : 15 500 €
- des garages sis... à Valenciennes : 47 000 €
- une maison sise... à Onnaing : 11 000 €
- un appartement sis... à Valenciennes : 65 000 € (d'après l'avis de taxe foncière 2010 cet immeuble est la propriété indivise d'un autre membre de sa famille)
- un immeuble industriel appartement à une SCI sise... à Méru : 267 000 € ;
qu'il déclare également :
- des droits sociaux et valeurs mobilières pour 477 327 €
- les actions de la société SNT pour 112 835 €
- des liquidités : 181 125 €
- des meubles meublants : 15 000 €
- deux véhicules Porsche et BMW pour 23 000 €
qu'il apparaît par ailleurs que dans son patrimoine immobilier figurent :
- un bien sis au Touquet ... rue..., dont il indique dans ses écritures qu'il n'en avait que la nue-propriété, ce qui explique qu'il ne figurait pas sur sa déclaration ISF ; que cependant, l'avis de taxe foncière de 2009 mentionne Philippe X... comme propriétaire de ce logement ; que l'intimé n'en communique aucunement la valeur ;
- un immeuble sis... à Aulnoyes les Valenciennes pour lequel il explique que cet immeuble serait partiellement détruit, avec un occupant sans droit ni titre, et ne générerait donc aucun revenu ; que Marie-Christine Y... soutient quant à elle qu'il est toujours occupé par les propriétaires vendeurs et que Philippe X... percevrait dès lors les indemnités d'occupation ;
qu'aucun élément n'étant versé aux débats, il est impossible de vérifier la pertinence des explications contraires avancés ;
qu'en ce qui concerne les différentes sociétés dans lesquelles Philippe X... a été soit porteur de parts, soit gérant, il indique ne plus être actionnaire que de la société BERACTIONS, dans laquelle il avait apporté 295 actions de la SND (Société Nouvelle de distribution) tandis que Marie-Christine Y... avait fait un apport de 23 actions de la même société ; que la société SNT a été vendue en 2011 à la société Guy Dauphin Environnement ; que la société EMR a fait l'objet d'une liquidation judiciaire par le tribunal de commerce d'Hazebrouck le 22 juin 2005 ;
qu'aucune pièce ne permet de supposer que Philippe X... serait détenteur de parts sociales dans une SCI de placement immobilier sis 173 boulevard Haussmann à Paris ;
qu'enfin, il sera relevé que l'épouse s'abstient de communiquer le moindre renseignement sur ses droits prévisibles à retraite, reproche qui lui avait déjà été fait par le premier juge ;
qu'il convient ici de rappeler que même si la prestation compensatoire n'a pas pour finalité d'assurer la parité des fortunes, elle a quand même pour objet de corriger les injustices liées au jeu du régime séparatiste ; qu'or, si les actes de propriété des différents biens immobiliers compte et portefeuilles de titres détenus par Philippe X..., ce dernier indique dans ses écritures qu'il n'a reçu en héritage que les immeubles de la rue ... à Valenciennes et du Touquet, des parts sociales SNT et divers placement financiers ; qu'il résulte donc de ses propres assertions, qu'une grande partie du patrimoine propre de Philippe X... s'est constitué au cours de la vie commune, le mari, enseignant au moment du mariage, s'étant visiblement lancé dans les affaires par la suite, vu les nombres de sociétés dans lesquelles il était porteur de parts ou gérant ;
que cette réussite professionnelle est sans doute liée à l'industrie du mari et son talent, mais il ne peut être fait abstraction du fait que l'épouse, qui avait une profession stable de médecin, et assurait ainsi une sécurité matérielle à sa famille, a en partie contribué à cette promotion sociale ;
qu'ainsi, il apparaît des différents éléments sus mentionnés, que contrairement à ce qu'en a décidé le premier juge, le divorce va entraîner au détriment de l'épouse, à l'issue de 28 années de vie commune, une forte disparité dans ses conditions d'existence, qu'il conviendra de compenser par l'octroi d'un capital de 200 000 € » ;
1°/ ALORS QUE la prestation compensatoire n'a pas pour objet de corriger les effets du régime de séparation de biens librement choisi par les époux ; qu'en retenant pourtant que « même si la prestation compensatoire n'a pas pour finalité d'assurer la parité des fortunes, elle a quand même pour objet de corriger les injustices liées au jeu du régime séparatiste », la Cour d'appel a méconnu l'article 270 du Code civil ;
2°/ ALORS QUE pour apprécier si la rupture du mariage crée une disparité dans les conditions de vie respectives des époux, le juge prend en considération le patrimoine des époux, tant en capital qu'en revenus ; qu'à ce titre, il appartient au juge de procéder à une évaluation, même sommaire, du patrimoine de chacun des époux ; qu'en l'espèce, pour apprécier l'existence d'une disparité, la Cour d'appel a relevé que l'épouse « ne donne aucune indication sur la valeur de sa clientèle qu'elle va pourtant bientôt céder vu son âge » ; qu'en statuant ainsi, sans procéder à l'évaluation, même sommaire, de la clientèle attachée à la profession libérale de l'épouse, la Cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision conformément à l'article 271 du Code civil ;
3°/ ALORS QUE pour apprécier si la rupture du mariage crée une disparité dans les conditions de vie respectives des époux, le juge prend en considération le patrimoine estimé ou prévisible des époux, tant en capital qu'en revenus et leur situation respective en matière de retraite ; qu'en l'espèce, la Cour d'appel s'est bornée à relever qu'« il est par ailleurs étonnant que l'épouse ne fasse état d'aucune valeur mobilière, alors qu'elle exerce la profession de médecin depuis de longues années (sur l'acte de mariage, il est mentionné qu'elle occupe déjà cette activité) » et que, de même, « l'épouse s'abstient de communiquer le moindre renseignement sur ses droits prévisibles à la retraite, reproche qui lui avait déjà été fait par le premier juge » ; qu'en allouant néanmoins à Madame Y... une prestation compensatoire de 200 000 €, sans tenir compte, comme elle y était invitée, du capital constitué par l'épouse dans le cadre de la loi Madelin qui lui sera versé au moment de la retraite, la Cour d'appel a encore privé sa décision de base légale au regard de l'article 271 du Code civil.