LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique, pris en sa deuxième branche :
Vu l'article 3-1 de la loi du 9 juillet 1991, devenu l'article L. 111-4 du code des procédures civiles d'exécution ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, qu'un jugement du 15 mars 1991 du tribunal d'Ahlen (Allemagne), déclaré exécutoire le 2 février 2006 par la cour d'appel d'Amiens, a condamné M. X... à payer à son épouse, Mme Y..., une pension alimentaire à compter d'avril 1987 ; que, le 21 septembre 2010, Mme Y... a fait signifier à M. X... un commandement de payer les pensions dues jusqu'au 9 novembre 2005, date de l'ordonnance de non-conciliation ; que M. X... a assigné Mme Y... devant un juge de l'exécution pour soutenir que la prescription quinquennale de l'article 2277 du code civil s'appliquait à l'action de Mme Y... ;
Attendu que, pour annuler le commandement de payer, l'arrêt retient, par motifs propres et adoptés, que, dans la mesure où le jugement du tribunal d'Ahlen a cessé de produire ses effets à compter de l'ordonnance de non-conciliation du 9 novembre 2005, Mme Y... ne pouvait poursuivre que le recouvrement des pensions dues entre le 21 septembre et le 9 novembre 2005, dès lors qu'en application des dispositions de l'article 2224 du code civil et, à défaut d'avoir interrompu la prescription, elle ne pouvait obtenir le remboursement des arriérés échus plus de cinq ans avant la date de sa demande ;
Qu'en statuant ainsi, alors qu'elle était saisie d'une difficulté d'exécution d'une décision étrangère déclarée exécutoire en France, de sorte que l'exécution du jugement rendu en Allemagne pouvait être poursuivie pendant le délai prévu à l'article L. 111-4 du code des procédures civiles d'exécution courant à compter de la décision d'exequatur pour la dette globale représentant le montant des arrérages capitalisés à cette date, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 5 avril 2012, entre les parties, par la cour d'appel d'Amiens ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris ;
Condamne M. X... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de M. X... et le condamne à payer à la SCP Coutard et Munier-Apaire la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quatre novembre deux mille quinze.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
.Moyen produit par la SCP Coutard et Munier-Apaire, avocat aux Conseils, pour Mme X....
Il est fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué D'AVOIR annulé le commandement de payer aux fins de saisie vente notifié par Mme Y... à M. X... le 21 septembre 2010 et D'AVOIR condamné Madame Y... à payer à Monsieur X... 1.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens ;
AUX MOTIFS QU' « agissant en vertu d'un jugement rendu le 15 mars 1991 par le tribunal d'instance d'Alhen en Wesphalie (Allemagne) condamnant M. Jacques X... à lui payer des pensions alimentaires ainsi qu'à leur fils mineur, auquel une ordonnance du 2 octobre 2003 confirmée par un arrêt de cette cour a conféré force exécutoire en France, Mme Renate Y... a fait signifier à M. Jacques X... un commandement de payer aux fins de saisie vente le 21 septembre 2010. Comme le fait valoir justement Mme Renate Y..., l'article 509 du code de procédure civile qui dispose que les jugements rendus par les tribunaux étrangers sont exécutoires sur le territoire de la République, inséré dans le chapitre Il "la reconnaissance transfrontalière" du titre XV relatif à l'exécution du jugement n'a pas vocation à s'appliquer en l'espèce dès lors qu'il décide des conditions dans lesquelles le juge français confère force exécutoire à une décision rendue par un juge étranger, mais ne donne pas d'indication sur les voies d'exécution applicables. Or en l'espèce la question posée est celle de savoir quelles sont les voies d'exécution applicables à un jugement assorti de l'exequatur. Mme Renate Y... admet que les voies d'exécution d'une décision rendue par un juge étranger mises en oeuvre en France relèvent de la loi du for et donc de la loi française, ainsi que le prévoit l'article 13 de la Convention de la Haye qui dispose que la procédure d'exécution de la décision est régie par le droit de l'Etat requis. L'appelante soutient cependant qu'il convient de distinguer entre les voies d'exécution relevant certes du droit français, et la prescription de l'obligation alimentaire relevant de la loi du juge du fond, c'est-à-dire la loi allemande, ainsi que le confirme l'article 2221 du code civil dans sa rédaction issue de la loi du 17 juin 2008. Elle affirme qu'en vertu du § 201 du Bürgerliches GeseztBuch (BGB) les condamnations à des versements périodiques pour l'avenir se prescrivent par 3 ans à compter de la fin de l'année où la créance est devenue exigible, et ajoute que selon le § 207 du BGB la prescription des créances entre époux est suspendue aussi longtemps que dure le mariage, précisant que le mariage a été dissous par le jugement du juge aux affaires familiales d'Amiens du 22 mai 2008. Cependant, si la prescription de l'action tendant à faire fixer l'obligation alimentaire dépend en effet de la loi du juge du fond compétent pour en connaître, conformément à l'article 2221 du code civil, tel n'est pas le cas de la prescription relative à l'exécution forcée des titres exécutoires. Depuis un arrêt de la cour de cassation du 10 juin 2005, antérieur à la loi du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription, il est acquis que si le créancier peut poursuivre pendant 30 ans l'exécution d'un jugement condamnant au paiement d'une somme payable à termes périodiques, il ne peut en vertu de l'article 2277 du code civil applicable à raison de la nature de la créance, en l'espèce l'obligation alimentaire, obtenir le recouvrement des arriérés échus plus de cinq ans avant la date de la demande. Le premier juge a considéré à bon droit que cette solution n'était pas contraire à I' article 2224 du code civil issu de la loi du 17 juin 2008 qui décide que les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaître les faits permettant de l'exercer. Par conséquent Mme Renate Y... n'est pas fondée à invoquer l'article 3-1 de la loi du 9 juillet 1991 issu de la loi du 17 juin 2008 qui décide que l'exécution des titres exécutoires ne peut être poursuivie que pendant 10 ans. Dès lors, ainsi que l'a exactement relevé le juge de l'exécution, lorsque Mme Renate Y... a fait signifier en vertu du jugement du tribunal d'instance d'Ahlen le commandement de payer aux fins de saisie vente le 21 septembre 2010, elle ne pouvait prétendre au recouvrement des pensions échues plus de 5 ans avant cet acte d'exécution, soit avant le 21 septembre 2005. Mais dans la mesure où le jugement du tribunal d'instance d'Alhen a cessé de produire ses effets à compter de l'ordonnance de non-conciliation du 9 novembre 2005, Mme Renate Y... ne pouvait poursuivre que le recouvrement des pensions dues entre le 21 septembre et le 9 novembre 2005. Dès lors c'est à bon droit que le premier juge a prononcé l'annulation du commandement de payer aux fins de saisie vente délivré le 21 septembre 2010 par Mme Renate Y... à M. Jacques X... pour recouvrer la somme de 232 842,34 ¿ en exécution d'un jugement rendu le 15 mars 1991 » ;
ET AUX MOTIFS ADOPTES QUE « Selon l'article 509 du Code de procédure civile, les jugements rendu par les tribunaux étrangers et les actes reçus par les officiers étrangers sont exécutoires sur le territoire de la République de la manière et dans les cas prévus par la loi. En présence d'une décision étrangère dotée de la force exécutoire en France, l'exécution engagée doit l'être en respectant les voies d'exécution régies par la loi du for. Ce principe de territorialité des procédures individuelles d'exécution est confirmé par les dispositions de la Convention de la Haye de 1973, dont l'article 13 prévoit que la procédure de la reconnaissance ou de l'exécution de la décision est régie par le droit de l'État requis. Ce même principe de territorialité ne sera pas remis en cause par le Règlement (CE) n 4/2009 du Conseil du 18 décembre 2008, publié à Journal officiel de l'Union européenne du 10 janvier 2009, relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l'exécution des décisions et la coopération matière d'obligations alimentaires, qui, bien qu'inapplicable au cas de l'espèce (le Règlement n'entrera en vigueur qu'en juin 2011) prévoit en son Article 411 que la procédure d'exécution des décisions rendues dans un autre État membres est régie par le droit de l'État membre d'exécution. Une décision rendue dans un État membre qui est exécutoire dans l'État membre d'exécution y est exécutée dans les mêmes conditions qu'une décision rendue dans cet État membre d'exécution. Il résulte des dispositions de l'article 509 précité ainsi que du principe de territorialité des procédures individuelles d'exécution que le litige né de l'exécution en France d'une décision étrangère déclarée exécutoire en France est soumis à la loi française quant à la prescription. Depuis l'arrêt d'assemblée plénière de la Cour de Cassation, en date du 10 Juin 2005, la prescription abrégée de l'article 2277 ancien du Code civil est applicable, en raison de la nature de la créance, au recouvrement des arriérés échus des pensions alimentaires payables à termes périodiques. La prescription quinquennale de l'article 2277 a été remplacée le 19 juin 2008 par la prescription de droit commun de même durée de l'article 2224 du Code civil. La loi du 17 juin 2008 n'a donc pas modifié la durée de la prescription applicable au cas de l'espèce, qui avait commencé à courir avant son entrée en vigueur. Le jugement du Tribunal d'instance d'Ahlen, dont Madame Y... poursuit l'exécution, condamnait son époux à lui payer une pension alimentaire au titre du devoir de secours, à compter du mois d'avril 1987. Ce jugement a cessé de produire ses effets le 9 novembre 2005, date à laquelle le juge aux affaires familiales d'Amiens a rendu son ordonnance de non-conciliation autorisant les époux à engager la procédure de divorce. Madame Y... a fait délivrer le 21 septembre 2010 à Monsieur X... un commandement de payer aux fins de saisie vente, visant expressément le jugement du 15 mars 1991 ainsi que l'ordonnance d'exequatur du 2 octobre 2003. En application des dispositions dé l'article 2224 du Code civil, et à défaut d'avoir interrompu la prescription, Madame Y... ne pouvait obtenir le recouvrement des arriérés échus plus de cinq ans avant la date de sa demande les arriérés échus antérieurs au 20 septembre 2005 sont donc prescrits. Dès lors que la prescription extinctive ne permettait à Madame Y... que de poursuivre le recouvrement des arriérés échus du 20 septembre au 8 novembre 2005, soit deux mois de pension alimentaire, il convient d'annuler le commandement délivré le 21 septembre 2010 » ;
1) ALORS QUE la prescription extinctive d'une obligation est soumise à la loi qui gouverne celle-ci ; qu'en l'espèce, en retenant que Mme Y... ne pouvait prétendre au recouvrement des pensions échues plus de cinq ans avant la saisie au prétexte que les dispositions françaises relatives à la prescription quinquennale s'appliquaient quand il ressortait de l'arrêt que l'obligation alimentaire résultait d'un jugement allemand du 15 mars 1991 et quand la loi allemande prévoyait, en vertu des articles 201 et 207 du Bürgerliches GeseztBuch, que les condamnations à des versements périodiques qui se prescrivent par 3 ans sont suspendues aussi longtemps que dure le mariage, de sorte que la prescription extinctive résultant de la loi régissant l'obligation était la loi allemande et que l'obligation n'était pas éteinte, dès lors que le commandement du 21 septembre 2010 avait été délivré moins de trois ans après le jugement de divorce en date du 22 mai 2008 ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a violé, ensemble, les articles 4 et 11 de la convention de la Haye du 2 octobre 1973, l'article 2221 du code civil et les articles 201 et 207 du Bürgerliches GeseztBuch ;
2) ALORS, SUBSIDIAIREMENT, QUE l'exécution d'un titre exécutoire peut être poursuivie pendant dix ans à compter du jugement d'exéquatur qui sert de titre au créancier poursuivant ; qu'en l'espèce, dès lors qu'il est constant que Mme Y... bénéficiait d'un jugement d'exéquatur du 2 février 2006 donnant force exécutoire à un jugement allemand de condamnation de M. X... au paiement de la pension alimentaire, la cour d'appel ne pouvait juger que le commandement du 21 septembre 2010 était nul, du fait d'une prescription qui aurait été acquise cinq ans avant cet acte d'exécution, soit le 21 septembre 2005, quand le point de départ du délai de prescription extinctive était la date du jugement d'exéquatur, et que la prescription n'était pas acquise lors de la délivrance du commandement litigieux ; qu'en jugeant le contraire, la cour d'appel a violé ensemble les articles 3-1 de la loi du 9 juillet 1991, 2224 et 2234 du code civil et 2262 ancien du code civil ;
3) ALORS, SUBSIDIAIREMENT ENCORE QUE l'exécution d'un jugement étranger, assortie de l'exéquatur et condamnant au paiement d'aréages alimentaires est soumise à la loi du for ; qu'en l'espèce, la cour d'appel ne pouvait affirmer que Mme Y... ne pouvait prétendre au recouvrement des pensions échues plus de cinq ans avant la saisie au prétexte que les dispositions françaises relatives à la prescription quinquennale s'appliquaient quand il ressortait de l'arrêt que l'obligation alimentaire résultait d'un jugement allemand du 15 mars 1991 et que celui-ci a reçu force exécutoire en France par une décision d'exéquatur du 2 février 2006, de sorte que la loi régissant l'obligation était nécessairement la loi allemande pour la période antérieure à la décision d'exequatur ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a violé ensemble, l'article 4 de la convention de la Haye du 2 octobre 1973, les articles 2221, 2224, 2234 du code civil, l'article 26 de la loi du 17 juin 2008, l'ancien article 2262 du code civil et les articles 201 et 207 du Bürgerliches GeseztBuch ;
4) ALORS, EN TOUT ETAT DE CAUSE, le créancier muni d'un titre exécutoire constatant une créance liquide exigible peut en poursuivre l'exécution sur les biens de son débiteur et qu'un commandement de payer n'est pas nul au motif que les sommes réclamées sont supérieures à celles qui sont dues au créancier ; qu'en l'espèce, la cour d'appel ne pouvait annuler le commandement aux fins de saisie-vente délivré par Mme Y... au prétexte qu'elle ne pouvait poursuivre le recouvrement que des sommes relatives à la période du 21 septembre au 9 novembre 2005, et non depuis avril 1987, de sorte que les sommes réclamées étaient simplement supérieures aux sommes dues par M. X... ; qu'en statuant ainsi la cour d'appel a violé les articles L. 111-2 et R. 221-1 du Code des procédures civiles d'exécution et L. 213-6 du code de l'organisation judiciaire.