LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique, ci-après annexé :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 14 octobre 2014), que la société française AGI, la société américaine Caribbean Fiber Holdings (CFH), dont le capital est détenu intégralement par la société américaine Leucadia National Corporation, et les sociétés, de la Barbade, Columbus Acquisitions et, française, Columbus Holdings (Colombus) ont conclu un accord portant sur le projet de cession par les deux premières aux secondes du capital de la société française Global Caribbean Fiber (GCF) ; que la société AGI ayant renoncé à la vente, les sociétés Columbus ont mis en oeuvre la procédure d'arbitrage en application de la clause compromissoire stipulée au contrat ; que, par une sentence rendue à Bridgetown (La Barbade), le 27 mars 2011, l'arbitre unique, M. X..., a décidé que la société AGI avait violé l'accord et renvoyé à une sentence ultérieure les demandes relatives aux dommages-intérêts et aux frais de procédure ; que la société AGI et ses mandataires, ès qualités, ont interjeté appel de l'ordonnance ayant prononcé l'exequatur de la sentence ;
Attendu que les sociétés Columbus font grief à l'arrêt d'infirmer cette ordonnance ;
Attendu que l'arrêt constate qu'en septembre 2009, l'arbitre unique avait souscrit une déclaration d'indépendance affirmant que le cabinet Fasken Martineau, au sein duquel il exerçait sa profession d'avocat, ne dispensait pas actuellement de conseils à la société Leucadia National Corporation ; qu'il retient que, le 15 décembre 2010, le site internet de ce cabinet avait publié l'information, reprise en janvier 2011 par un magazine d'affaires destiné aux avocats, selon laquelle la société Leucadia National Corporation avait vendu sa participation dans une mine de cuivre canadienne, qu'elle était assistée, dans cette opération engagée depuis 2005, par une équipe de trois avocats du cabinet Fasken Martineau et que les débats, devant M. X..., étaient clos depuis le mois d'août 2010 et l'affaire mise en délibéré à la date à laquelle l'existence de ce rôle de conseil avait été rendue publique ; qu'ayant ainsi fait ressortir que l'arbitre n'en avait pas fait état dans sa déclaration d'indépendance, que le fait n'était pas notoire pour la société AGI avant le début de l'arbitrage, qu'en cours d'instance arbitrale, l'obligation de se livrer à des investigations sur l'indépendance de M. X... ne pesait pas sur cette dernière, compte tenu des garanties qu'il avait fournies lors de sa déclaration, et que celui-ci n'avait pas révélé une opération manifestement importante pour le cabinet, au regard de l'ample publicité donnée par ce dernier, la cour d'appel en a exactement déduit que, ces circonstances ignorées de la société AGI étant de nature à faire raisonnablement douter de l'indépendance et l'impartialité de l'arbitre, le tribunal arbitral était irrégulièrement constitué ; que le moyen, qui, en sa première branche, critique un motif erroné mais surabondant de l'arrêt, ne peut être accueilli ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne les sociétés Columbus Acquisitions et Columbus Holdings France aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette leur demande et les condamne à payer à la société AGI et à ses mandataires, ès qualités, la somme globale de 5 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du seize décembre deux mille quinze.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Delaporte, Briard et Trichet, avocat aux Conseils, pour la société Columbus acquisitions INC et la société Columbus Holdings France
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir infirmé l'ordonnance du délégué du président du tribunal de grande instance de Paris en date du 19 juin 2013 prononçant l'exequatur de la sentence rendue entre les parties le 29 mars 2011 après avoir, dans ses motifs, annulé la sentence arbitrale rendue par M. X... le 29 mars 2011 ;
Aux motifs que « AGI invoque un conflit d'intérêts de l'arbitre unique avec l'une des parties qui n'a pas été révélé lors de la constitution du tribunal arbitral ;
que le 10 novembre 2008 a été conclu entre AGI, CFH et les sociétés COLUMBUS un protocole d'accord, renouvelé le 3 mars 2009, portant sur un projet de cession par les deux premières aux secondes de l'ensemble du capital de GCF ; qu'AGI ayant renoncé à l'opération, COLUMBUS a engagé contre elle, le 10 juillet 2009, une procédure d'arbitrage à laquelle CFH s'est jointe le 12 août 2009 ; que M. X..., arbitre unique, a accepté sa mission le 15 septembre 2009 ; que l'instruction de la cause s'est déroulée jusqu'en août 2010 ; que la sentence rendue le 27 mars 2011 a fait l'objet le 19 juin 2013, d'une ordonnance d'exequatur dont appel a été interjeté par AGI ; que cette dernière fait grief à l'arbitre d'avoir dissimulé la réalité des relations entretenues par le cabinet d'avocats Fasken Martineau, dont il est associé, avec la société Leucadia National Corporation, dont il n'est pas contesté qu'elle détient 100 % du capital de CFH ; qu'aux termes de l'article 1456 du code de procédure civile, applicable en matière internationale en vertu de l'article 1506 du même code : "Il appartient à 1'arbitre, avant d'accepter sa mission, de révéler toute circonstance susceptible d'affecter son indépendance ou son impartialité. Il lui est également fait obligation de révéler sans délai toute circonstance de même nature qui pourrait naître après l'acceptation de sa mission" ; que la circonstance que le nom de l'arbitre ait été proposé par AGI n'était pas de nature à le dispenser de son obligation d'information à l'égard de cette partie; que cette obligation doit s'apprécier au regard de la notoriété de la situation critiquée et de son incidence sur le jugement de l'arbitre ; que M. X... a souscrit en septembre 2009 une déclaration d'indépendance par laquelle il indiquait : "I wish to disclose that a partner in my firm's Toronto office has represented Leucadia National Corporation in Canada in respect of Canadian based matters over a number of years. I understand that at present there are no matters in respect of which my firm is currently providing advice to Leucadia National Corporation" ; que les parties sont contraires sur le point de savoir si, dans la première phrase citée, le verbe "has represented" doit être traduit en français au présent ou au passé composé et si cette phrase doit donc s'entendre comme la déclaration qu'un associé du cabinet dont l'arbitre est membre "représente Leucadia National Corporation au Canada depuis plusieurs années" ou "a représenté Leucadia National Corporation au Canada pendant plusieurs années" ; que, toutefois, par la seconde phrase, l'arbitre affirme sans ambiguïté que ce cabinet ne dispense pas actuellement de conseils à Leucadia ; qu'il apparaît en réalité, des informations publiées par le cabinet Fasken Martineau sur son site internet le 15 décembre 2010, et reprises par Lexpert, magazine d'affaires destiné aux avocats en janvier 2011, que le 15 décembre 2010 Leucadia a finalisé la vente de sa participation dans la mine de cuivre Cobre Las Cruces à Inmet Mining pour environ 575 millions USD, et qu'une équipe de Fasken Martineau, qui comprenait Stephen Y... et Aaron Z... (droit des sociétés, valeurs mobilières) et Christopher A... (fiscalité), l'a assistée dans cette opération engagée depuis 2005 ; que, d'une part, si des informations publiques et très aisément accessibles, que les parties ne pouvaient manquer de consulter avant le début de l'arbitrage, sont de nature à caractériser la notoriété d'un conflit d'intérêts, en revanche, il ne saurait être raisonnablement exigé, ni que les parties se livrent à un dépouillement systématique des sources susceptibles de mentionner le nom de l'arbitre et des personnes qui lui sont liées, ni qu'elles poursuivent leurs recherches après le début de l'instance arbitrale ; qu'en l'espèce, à la date où l'opération Cobre de las Cruces a été rendue publique, les débats devant M. X... étaient clos depuis août 2010 et l'affaire mise en délibéré ; que les faits litigieux n'étaient donc pas notoires lors de la constitution du tribunal arbitral ; que, d'autre part, à supposer même que le montant des honoraires perçus par le cabinet Fasken Martineau à l'occasion de l'opération Cobre de las Cruces ait été modeste, l'ampleur de la transaction elle-même, le nombre d'avocats mobilisés, ainsi que la publicité que le cabinet a entendu donner à sa contribution manifestaient l'importance qu'il attachait à cette affaire ; qu'il apparaît donc que, contrairement à ce que laissait entendre la déclaration d'indépendance de M. X..., alors que l'instance arbitrale était en cours, trois avocats du cabinet Fasken Martineau prêtaient leur concours à Leucadia dans une opération que le cabinet regardait comme un enjeu de communication ; que de telles circonstances, qui étaient ignorées d'AGI lors de la désignation de M. X..., étaient de nature à faire naître dans l'esprit de cette partie un doute raisonnable quant à l'indépendance et l'impartialité de l'arbitre ; qu'il convient dès lors d'annuler la sentence en raison de l'irrégularité de la composition du tribunal arbitral » (arrêt, p. 5 et 6) ;
Alors que les dispositions de l'article 1456 du code de procédure civile telles qu'issues du décret n° 2011-48 du 13 janvier 2011 s'appliquent lorsque le tribunal a été constitué postérieurement au 1er mai 2011 ; qu'après avoir constaté que l'arbitre avait accepté sa mission le 15 septembre 2009 et que la sentence partielle avait été rendue le 27 mars 2011, de telle sorte que la constitution du tribunal arbitral était antérieure au 1er mai 2011 et que l'article 1456 issu du décret n° 2011-48 du 13 janvier 2011 était inapplicable, la cour d'appel, qui s'est néanmoins fondée ce texte, l'a violé, par fausse application, ainsi que l'article 3-2° du décret n° 2011-48 du 13 janvier 2011, ensemble l'article 2 du code civil ;
Alors, subsidiairement, d'une part, que peut entraîner l'annulation de la sentence le manquement de l'arbitre à son obligation de révélation lorsque les éléments tus sont de nature à provoquer, dans l'esprit des parties, un doute raisonnable quant à son indépendance et ainsi à son impartialité ; que la recherche concrète de l'existence d'une incidence raisonnable sur l'impartialité de l'arbitre s'impose d'autant que les liens d'intérêts allégués ne mettent en relation directe ni l'arbitre, ni l'une des parties, mais la structure dans laquelle le premier exerce et une société du groupe auquel appartient l'une des parties à l'arbitrage ; qu'en se bornant à relever que faute d'avoir révélé que 3 avocats appartenant au bureau de Toronto du cabinet international Fasken Martineau sur les 770 avocats répartis au Canada, en Europe et en Afrique du Sud que comprend ce cabinet, avaient participé à une opération de vente d'une participation dans une entreprise minière canadienne dans l'intérêt d'une société dont dépendait l'un des cédants, la société Caribbean Fiber, M. X..., associé du bureau de Vancouver du cabinet Fasken Martineau avait pu faire naître un doute raisonnable quant à son indépendance et son impartialité dans l'esprit de la société AGI dans le cadre du rachat de sa participation dans une société de construction et d'exploitation d'un réseau de câbles sous-marins de télécommunications aux Caraïbes, sans expliquer en quoi et de quelle manière ces éléments pouvaient concrètement affecter le jugement de l'arbitre pour faire naître une tel doute, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard de l'article 1520-2° du code de procédure civile ;
Alors, plus subsidiairement, en outre, que peuvent entraîner l'annulation de la sentence les éléments de nature à provoquer dans l'esprit des parties, un doute raisonnable sur l'indépendance et l'impartialité de l'arbitre ; que la cour d'appel a relevé que la société AGI savait, à la suite de la déclaration de l'arbitre X... du 10 septembre 2009, que la société Leucadia était cliente du cabinet Fasken Martineau et notamment au Canada ; que dès lors, en l'absence d'opposition de la société AGI à la suite de cette révélation par l'arbitre X..., dont il résultait que la clientèle de la société Leucadia n'avait pas fait naître de doute sur l'indépendance de l'arbitre, la cour d'appel ne pouvait se borner, pour annuler la sentence, à relever que cette société avait de nouveau été assistée par un autre bureau du cabinet Fasken Martineau pour une cession de participation sans aucun lien avec le litige devant le tribunal arbitral, sans expliquer en quoi l'opération pour laquelle cette assistance avait été requise pouvait affecter l'indépendance de l'arbitre et, partant, son impartialité, privant ainsi sa décision de base légale au regard de l'article 1520-2° du code de procédure civile ;
Alors, plus subsidiairement, encore, qu' à supposer qu'à défaut d'enjeu économique, « l'enjeu de communication » d'une opération à laquelle interviennent des avocats de la structure à laquelle l'arbitre appartient, puisse affecter l'indépendance d'un arbitre et ainsi faire naître un doute raisonnable, dans l'esprit des parties, sur son impartialité, il appartient alors au juge de l'annulation de préciser concrètement en quoi un tel enjeu est susceptible d'affecter l'indépendance de l'arbitre, quand le doute raisonnable ne peut résulter de la personne des parties à l'opération, dont les relations avec le cabinet de l'arbitre sont connues et acceptées par les parties à l'arbitrage, ni de l'opération-même, sans lien avec le litige soumis à l'arbitre ; qu'en retenant, pour annuler la sentence, que trois avocats du cabinet Fasken Martineau prêtaient leur concours à Leucadia dans une opération que le cabinet regardait comme un « enjeu de communication », sans préciser en quoi, indépendamment de la participation à cette opération de la société Leucadia, cliente de ce cabinet connue en tant que telle des parties à l'arbitrage, l'indépendance de l'arbitre aurait pu se trouver affectée par une opération de vente sans lien avec le litige soumis à l'arbitrage dans laquelle la société Leucadia était assistée par les avocats d'un autre bureau du cabinet Fasken Martineau, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard de l'article 1520-2° du code de procédure civile ;
Alors, subsidiairement, d'autre part, que peut entraîner l'annulation de la sentence le manquement de l'arbitre à son obligation de révélation lorsque les éléments tus sont de nature à provoquer, dans l'esprit des parties, un doute raisonnable quant à son indépendance et son impartialité ; que l'arbitre n'est débiteur que d'une obligation de moyens de se renseigner pour informer les parties des éléments de nature à leur permettre d'exercer utilement, le cas échéant, leur droit de récusation ; qu'en se déterminant ainsi, après avoir relevé que l'arbitre proposé par la société AGI avait spontanément déclaré, avant même d'être nommé, qu'un autre bureau de son cabinet avait assisté la société Leucadia pendant plusieurs années, révélant ainsi la clientèle que représentait cette dernière pour le cabinet Fasken Martineau, de sorte ne pouvait lui être imputé un manquement à son obligation de transparence faute d'avoir satisfait à son obligation de révélation, la cour d'appel a violé l'article 1520-2° du code de procédure civile ;
Alors, subsidiairement, enfin, que peut entraîner l'annulation de la sentence le manquement de l'arbitre à son obligation de révélation lorsque les éléments tus sont de nature à provoquer, dans l'esprit des parties, un doute raisonnable quant à son indépendance et son impartialité ; que le jugement de l'arbitre qui, n'ayant de lien direct avec aucune des parties et n'étant débiteur de ce fait que d'une obligation de s'informer de moyens, ne peut être affecté par une circonstance qu'il ignore ainsi légitimement ; qu'après avoir relevé que l'arbitre, après avoir loyalement effectué une recherche de conflits et déclaré à son terme qu'il portait à la connaissance des parties que la société Leucadia était une cliente de son cabinet depuis plusieurs années, au travers d'un autre bureau que le sien, mais que « selon lui » son cabinet n'avait pas d'affaire en cours avec cette société, ce dont il résultait qu'il ignorait que cette dernière était assistée pour la cession d'une participation dans une entreprise minière et que son jugement ne pouvait se trouver affecté par une circonstance qu'il ignorait, la cour d'appel, qui a néanmoins estimé que l'assistance de la société Leucadia, membre du même groupe de sociétés que l'une des parties à l'instance arbitrale, par des avocats d'un autre bureau que l'arbitre, pendant cette instance était de nature à faire naître un doute raisonnable sur l'indépendance et l'impartialité de l'arbitre, a violé l'article 1520-2° du code de procédure civile.