LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Colmar, 15 octobre 2014), que Barbe X... est décédée le 15 avril 2002, en laissant pour lui succéder son fils, M. Y..., et trois petits-enfants, MM. Pierre et Pascal Z...et Mme Marie-Thérèse Z..., épouse A...(les consorts Z...), venant par représentation d'un autre fils prédécédé, François Z...; qu'antérieurement, par acte du 19 décembre 1994, reçu par M. D..., notaire, elle avait fait donation préciputaire et hors part à M. Y... de la nue-propriété de son patrimoine immobilier, dont elle s'était réservé l'usufruit ; que, par acte du 24 août 1999, reçu par le même notaire, Barbe X... et M. Y... ont vendu à M. et Mme B... l'un des immeubles objet de la donation ; qu'au cours des opérations de partage de la succession de Barbe X..., le notaire chargé des opérations a dressé, le 6 juillet 2007, un procès-verbal comportant un « accord forfaitaire et transactionnel » aux termes duquel M. Y... s'engageait à verser aux consorts Z...une somme de 50 000 euros « en compensation de la donation dont il avait bénéficié » ; que cette transaction a été homologuée par décision du 16 avril 2008 rendue par le tribunal d'instance de Brumath ; que M. Y... n'ayant pas payé la somme convenue, les consorts Z...ont fait assigner M. et Mme B... en paiement de cette somme avec intérêts au taux contractuel à compter du 1er février 2008 ; que ces derniers ont appelé en garantie M. D...;
Sur le premier moyen :
Attendu que M. D...fait grief à l'arrêt d'accueillir la demande des consorts Z...alors, selon le moyen, que les dispositions de l'article 930 du code civil dans sa version antérieure à la loi du 23 juin 2006, ouvrant aux héritiers réservataires une action en réduction ou en revendication à l'encontre des tiers détenteurs des immeubles ayant fait l'objet d'une donation excédant la quotité disponible et ensuite aliénés, ne sont pas applicables une fois le partage de la succession intervenu ; qu'en jugeant recevable l'action engagée, sur le fondement de l'article 930 du code civil, par les consorts Z...à l'encontre des époux B...-Y..., acquéreurs de l'immeuble objet d'une donation à M. Charles Y..., tout en constatant que l'acte du 6 juillet 2007 homologué par décision du tribunal d'instance de Brumath du 16 avril 2008 emportait partage judiciaire de la succession de la donatrice et sans constater que les parties avaient entendu déroger à l'effet déclaratif du partage, la cour d'appel a violé, par fausse application, l'article 930 du code civil dans sa rédaction antérieure à la loi du 23 juin 2006, et, par refus d'application, les articles 866 et 868 du code civil, dans leur rédaction applicable à la cause ;
Mais attendu que les héritiers réservataires d'une succession ouverte avant l'entrée en vigueur de la loi du 26 juin 2006 sont recevables à engager, sur le fondement des dispositions de l'article 930 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de cette loi, même postérieurement au partage, l'action en réduction ou en revendication à l'encontre des tiers détenteurs des immeubles ayant fait l'objet d'une donation excédant la quotité disponible et ensuite aliénés ; qu'ayant relevé que M. et Mme B... ne contestaient pas le montant de l'indemnité de réduction fixée par l'accord du 6 juillet 2007 et que M. Y... ne l'avait pas payée aux consorts Z..., la cour d'appel en a déduit à bon droit que l'action exercée par ceux-ci était recevable et qu'ils étaient fondés à leur en réclamer le paiement, en leur qualité de tiers détenteurs de l'immeuble faisant partie de la donation et aliéné par le donataire ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le second moyen :
Attendu que M. D...fait grief à l'arrêt de déclarer recevable et bien fondé l'appel en garantie de M. et Mme B... à son égard et de le condamner à les garantir de toutes les condamnations prononcées à leur encontre alors, selon le moyen, que les conséquences d'un manquement à un devoir d'information et de conseil ne peuvent s'analyser qu'en une perte de chance dès lors qu'il n'est pas certain que mieux informé, le créancier de l'obligation d'information se serait trouvé dans une situation différente et plus avantageuse ; qu'en jugeant, pour condamner M. D..., notaire, à garantir les époux B..., acquéreurs d'un immeuble ayant fait l'objet d'une donation excédant la quotité disponible, de la condamnation à payer aux consorts Z..., héritiers réservataires, la somme de 50 000 euros correspondant au montant de l'atteinte à la réserve héréditaire, que le préjudice subi par les appelants en garantie était actuel et certain et ne consistait pas en une simple perte de chance, tout en constatant, à la fois, que si le notaire les avait informés du risque d'une action en réduction et avait fait intervenir les héritiers réservataires à l'aliénation, ceux-ci y aurait « certainement » consenti en contrepartie de la distraction à leur profit de la somme de 50 000 euros et, « qu'à défaut », les acquéreurs auraient renoncé à leur acquisition et l'immeuble aurait pu être saisi par les consorts Z..., ce dont il résultait qu'il n'était pas certain que mieux informés les acquéreurs auraient pu bénéficier de la vente sans avoir à verser une somme de 50 000 euros aux héritiers, situation dans laquelle les replaçait pourtant l'indemnisation accordée, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et violé l'article 1382 du code civil ;
Mais attendu, d'abord, que l'arrêt retient qu'il incombait au notaire d'informer M. et Mme B... sur les risques d'une éventuelle action en réduction qui serait engagée par les héritiers réservataires et de faire intervenir ces derniers pour consentir à l'aliénation, conformément à l'article 930, alinéa 2, ancien du code civil, ce qui aurait protégé les acquéreurs de tout recours ultérieur ; qu'ensuite, c'est dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation que la cour d'appel a estimé qu'un tel accord des consorts Z...aurait certainement été obtenu si la somme de 50 000 euros avait été distraite à leur profit sur le prix de vente revenant à M. Y... et qu'à défaut, M. et Mme B... auraient renoncé à leur acquisition et l'immeuble aurait pu être saisi par les consorts Z...; qu'en l'état de ces énonciations, elle a pu en déduire que le préjudice subi par M. et Mme B... en raison du manquement du notaire à son devoir d'information et de conseil ne constituait pas une simple perte de chance mais un préjudice actuel et certain ; que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. D...aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette sa demande et le condamne à payer, aux consort Z...d'une part, à M. et Mme B... d'autre part, la somme globale de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du seize décembre deux mille quinze.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Boré et Salve de Bruneton, avocat aux Conseils, pour M. D...
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR déclaré recevable et bien fondée en son principe l'action engagée par les consorts Z...à l'encontre des époux B...-Y...et d'AVOIR condamné les époux B...-Y...à payer aux consorts Z...la somme de 50. 000 euros augmentée des intérêts au taux de 0, 7 % par mois à compter du 1er février 2008 ;
AUX MOTIFS QU'« une transaction ne met fin au litige que sous réserve de l'exécution des engagements pris (cf. Cass. 1re Civ. 12 juillet 2012 n° 09-11. 582) ; que la circonstance que l'accord transactionnel du 6 juillet 2007 ait été homologué par le tribunal d'instance en charge du partage judiciaire de la succession de Mme X...-Y...par une décision du 16 avril 2008 lui conférant force exécutoire n'empêche pas les consorts Z...de se prévaloir de l'inexécution de l'engagement pris par M. Y... de leur payer la somme de 50. 000 ¿ au titre de leurs droits réservataires ; que l'action engagée par les consorts Z...est donc recevable sur le fondement de l'ancien article 930 du Code civil à l'encontre des époux B...-Y..., acquéreurs de l'immeuble faisant partie de la donation faite le 19 décembre 1994 au profit de M. Charles Y... ; que, certes, l'action en réduction exercée contre les tiers détenteurs suppose la discussion préalable des biens du donataire ; qu'en l'espèce, il est cependant démontré que M. Charles Y... est insolvable, ainsi qu'il résulte des courriers de Maître E..., huissier de justice à Hochfelden, en date des 25 février et 7 mai 2009 ; qu'en outre, les parcelles de terre qu'il détient encore, y compris la parcelle section 25 n° 89, ne sont pas situées en zone constructible (cf attestation du Maire de Hochfelden du 3 décembre 2013) et que leur valeur comme terres agricoles est loin de garantir la créance des consorts Z...; que l'atteinte à leur réserve héréditaire n'est pas contestée en soi ; que le montant de 50. 000 euros (outre intérêts de retard) résulte de l'accord transactionnel de 2007 et n'est pas non plus discuté ; que les époux B...-Y..., tiers détenteurs de l'immeuble vendu par le donataire, ont cependant la faculté d'échapper à la réduction en nature en indemnisant les héritiers réservataires par le versement qu'ils proposent de la somme de 50. 000 euros avec les intérêts de retard convenus au taux de 0, 7 % par mois à compter du 1er février 2008 ; qu'il sera donc fait droit, dans cette mesure, à la demande des consorts Z...» ;
ALORS QUE les dispositions de l'article 930 du Code civil dans sa version antérieure à la loi du 23 juin 2006, ouvrant aux héritiers réservataires une action en réduction ou en revendication à l'encontre des tiers détenteurs des immeubles ayant fait l'objet d'une donation excédant la quotité disponible et ensuite aliénés, ne sont pas applicables une fois le partage de la succession intervenu ; qu'en jugeant recevable l'action engagée, sur le fondement de l'article 930 du Code civil, par les consorts Z...à l'encontre des époux B...-Y..., acquéreurs de l'immeuble objet d'une donation à M. Charles Y..., tout en constatant que l'acte du 6 juillet 2007 homologué par décision du Tribunal d'instance de Brumath du 16 avril 2008 emportait partage judiciaire de la succession de la donatrice et sans constater que les parties avaient entendu déroger à l'effet déclaratif du partage, la Cour d'appel a violé, par fausse application, l'article 930 du Code civil dans sa rédaction antérieure à la loi du 23 juin 2006, et, par refus d'application, les articles 866 et 868 du Code civil, dans leur rédaction applicable à la cause.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
(subsidiaire)IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR déclaré recevable et bienfondé l'appel en garantie des époux B...-Y...à l'encontre de M D...et d'AVOIR condamné M. D...à garantir les époux B...-Y...de toutes les condamnations prononcées à leur encontre ;
AUX MOTIFS QU'« il est constant que Maître D...était le notaire de la famille Y..., ayant reçu successivement l'acte de donation du 19 décembre 1994 de Mme X...- Y... à son fils Charles Y... et l'acte de vente du 24 août 1999 de M. Y... aux époux B...-Y..., sa fille et son gendre ; qu'il ne pouvait ignorer, et cela résulte de l'acte de donation sous " Déclarations Fiscales ", que la donatrice avait également un enfant prédécédé laissant lui-même trois petits-enfants ; qu'il incombait au notaire d'informer les époux B...-Y...sur les risques d'une éventuelle action en réduction qui serait engagée par les héritiers réservataires, neveux et nièce du vendeur, et de faire intervenir ces derniers pour consentir à l'aliénation, conformément à l'article 930 alinéa 2 ancien du Code civil, ce qui aurait protégé les acquéreurs de tout recours ultérieur ; qu'un tel accord des consorts Z...aurait certainement été obtenu si la somme de 50. 000 euros avait été distraite à leur profit sur le prix de vente revenant à M. Y... ; qu'à défaut les époux B... auraient renoncé à leur acquisition et l'immeuble aurait pu être saisi par les consorts Z...; que le préjudice qu'ils subissent actuellement est donc directement en relation avec le manquement du notaire à son devoir d'information et de conseil ; qu'il ne s'agit pas d'une simple perte de chance mais d'un préjudice actuel et certain ; qu'il sera donc fait droit à l'appel en garantie à l'encontre de Maître D...» ;
ALORS QUE les conséquences d'un manquement à un devoir d'information et de conseil ne peuvent s'analyser qu'en une perte de chance dès lors qu'il n'est pas certain que mieux informé, le créancier de l'obligation d'information, se serait trouvé dans une situation différente et plus avantageuse ; qu'en jugeant, pour condamner M. D..., notaire, à garantir les époux B...-Y..., acquéreurs d'un immeuble ayant fait l'objet d'une donation excédant la quotité disponible, de la condamnation à payer aux consorts Z..., héritiers réservataires, la somme de 50. 000 euros correspondant au montant de l'atteinte à la réserve héréditaire, que le préjudice subi par les appelants en garantie était actuel et certain et ne consistait pas en une simple perte de chance, tout en constatant, à la fois, que si le notaire les avait informés du risque d'une action en réduction et avait fait intervenir les héritiers réservataires à l'aliénation, ceux-ci y aurait « certainement » consenti en contrepartie de la distraction à leur profit de la somme de 50. 000 euros et, « qu'à défaut », les acquéreurs auraient renoncé à leur acquisition et l'immeuble aurait pu être saisi par les consorts Z..., ce dont il résultait qu'il n'était pas certain que mieux informés les acquéreurs auraient pu bénéficier de la vente sans avoir à verser une somme de 50. 000 euros aux héritiers, situation dans laquelle les replaçait pourtant l'indemnisation accordée, la Cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et violé l'article 1382 du Code civil.