LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Toulouse, 23 mars 2015), que M. X..., ingénieur employé par la délégation générale pour l'armement du ministère de la défense, a été placé en congé de grave maladie, puis licencié ; qu'avec l'assistance de M. Y... (l'avocat), il a intenté, sans succès, diverses procédures devant les juridictions administratives pour obtenir l'annulation de son licenciement et diverses indemnités ; que, reprochant à l'avocat d'avoir manqué à ses obligations professionnelles en commettant diverses fautes, non contestées, il l'a assigné, ainsi que son assureur, la société Covéa Risks, aux droits de laquelle viennent les sociétés MMA IARD assurances mutuelles et MMA IARD SA, en responsabilité civile et indemnisation ;
Attendu que M. X... fait grief à l'arrêt de limiter la condamnation in solidum de l'avocat et de son assureur à la somme de 50 000 euros, alors, selon le moyen, que l'indemnité de réparation d'une perte de chance ne saurait présenter un caractère forfaitaire ; que cette indemnité doit correspondre à une fraction des différents chefs de préjudice supportés par la victime ; que le juge doit, d'une part, évaluer les différents chefs de préjudice invoqués par la victime et, d'autre part, apprécier à quelle fraction de ces préjudices doit être évaluée la perte de chance indemnisée ; qu'en se bornant à affirmer qu'elle trouvait dans la cause des éléments suffisants pour évaluer à la somme de 50 000 euros le préjudice de toute nature subi par M. X... du fait de la perte de chance d'obtenir réparation des conséquences du licenciement dont il a fait l'objet, sans évaluer les différents chefs de préjudice invoqués par M. X..., sans évaluer les chances de M. X... d'obtenir chacune des indemnités sollicitées et sans indiquer à quelle fraction de ces préjudices devait être évaluée la perte de chance indemnisée, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil ;
Mais attendu que les juges du fond apprécient souverainement l'existence et l'étendue du préjudice, sans être tenus de préciser les éléments ayant servi à déterminer le montant de l'indemnisation allouée ni de s'expliquer sur chacun des préjudices invoqués ; que la cour d'appel, qui a, au terme d'une analyse concrète des faits de la cause et des pièces produites, estimé qu'en l'absence de faute de son avocat, M. X... aurait eu une chance de voir aboutir ses demandes devant les juridictions administratives, et lui a alloué, en conséquence, une indemnisation globale au titre des préjudices de toute nature par lui subi du fait de cette perte de chance, a ainsi légalement justifié sa décision ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. X... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du onze janvier deux mille dix-sept.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Richard, avocat aux Conseils, pour M. X....
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir condamné in solidum Monsieur Koffi Y... et la Société COVEA RISK à payer à Monsieur Daniel X... la seule somme de 50.000 euros au titre de la perte de chance d'obtenir réparation des conséquence du licenciement dont il a fait l'objet et de l'avoir débouté du surplus de ses demandes indemnitaires;
AUX MOTIFS QUE le jugement déféré a constaté qu'il n'était pas contesté que Maître Koffi Y... avait commis des fautes dans le cadre de ses fonctions d'avocat ; qu'il a retenu les manquements suivants de Maître Koffi Y... à son devoir de diligence : dans le cadre de la saisine du tribunal administratif de PARIS aux fins d'annulation de la décision du 22 juillet 2005 et d'indemnisation des préjudices subis, l'absence de production d'un exemplaire supplémentaire de la requête, et la saisine tardive de la juridiction administrative après rejet par le ministre le 25 octobre 2005 de deux nouvelles requêtes en annulation des décisions du 22 juillet 2005 et du 10 août 2005 et aux fins d'indemnisation ; que selon le jugement déféré, la première faute a eu pour conséquence directe le rejet de la requête aux fins d'annulation de la décision du 22 juillet 2005 et d'indemnisation des préjudices subis, tandis que la deuxième faute a eu pour conséquence le rejet comme tardives (ayant été introduites après l'expiration du délai de recours contentieux) des demandes indemnitaires ; que le premier juge en a conclu que, après épuisement des voies de recours, ces deux manquements de l'avocat à son devoir de diligence avaient privé Monsieur Daniel X... de toute possibilité de voir examiner le fond de ses demandes indemnitaires par les juridictions compétentes; qu'en appel, Maître Koffi Y... et la Compagnie COVEA RISKS ne contestent pas la réalité des fautes en question, tandis que Monsieur Daniel X... (p. 17 de ses conclusions) reprend sur ce point les mêmes fautes; que le premier juge ayant parfaitement caractérisé les fautes commises par Maître Koffi Y... il y a lieu, par adoption de motifs, de dire que Maître Koffi Y... a commis des fautes de nature à engager sa responsabilité ; que c'est à juste titre que le jugement déféré, après avoir dit que Maître Koffi Y... avait commis des fautes susceptibles d'engager sa responsabilité, a posé le principe selon lequel seul le préjudice résultant directement de ces fautes, c'est-à-dire la perte de la chance de voir annuler le licenciement dont il a fait l'objet, puis d'obtenir tout ou partie de indemnités qu'il réclamait, ouvrait droit à réparation, ce qui impliquait que seule pouvait être indemnisée la perte d'une chance réelle et sérieuse ; que la Cour, toutefois, ne peut suivre le Tribunal dans son raisonnement au terme duquel il a été décidé que Monsieur Daniel X... ayant épuisé ses droits à mi-temps thérapeutique, ayant renoncé à bénéficier de ce régime par courrier du 21 juin 2005 et ayant fait l'objet d'un avis d'inaptitude définitive, ne pouvait qu'être licencié dans le cadre d'une nouvelle procédure, quelle que soit l'issue de la procédure en contestation du licenciement du 22 juillet 2005; qu'il y a lieu, tout d'abord, de considérer que Maître Koffi Y..., qui a représenté Monsieur Daniel X... tout au long des nombreuses procédures rappelées en tête de notre arrêt, qui a conseillé à son client d'utiliser toutes les voies de droit et de recours possible (recours hiérarchique, tribunal administratif, cour administrative d'appel, Conseil d'Etat, tribunal de grande instance, cour d'appel) et qui ne soutient à aucun moment avoir informé son client un seul instant sur le caractère vain de procédures qu'il conduisait en son nom, est mal venu à soutenir que celuici n'avait aucune chance de voir sa cause aboutir ; que par ailleurs, la position de Maître Koffi Y... et de la Compagnie COVEA RISKS (tout comme la décision du tribunal) est fondée sur une application littérale des textes applicables en matière de licenciement pour inaptitude, alors que la jurisprudence a considérablement enrichi et complexifié les droits des salariés déclarés inaptes ; qu'en application de l'article 17, 3° du décret n° 86-83 du 17 janvier 1986, en effet "l'agent définitivement inapte pour raison de santé à reprendre ses fonctions à l'issue d'un congé de maladie, grave maladie, d'accident du travail, de maternité ou d'adoption est licencié" ; que, contrariant une lecture stricte de cet article et de l'article 32 du décret n° 86-83 du 17 janvier 1986, le Conseil d'État a jugé qu'un principe général du droit prescrivant que "lorsqu'il a été médicalement constaté qu'un salarié se trouve de manière définitive atteint d'une inaptitude physique à occuper son emploi, il appartient à l'employeur de le reclasser dans un autre emploi et, en cas d'impossibilité, de prononcer son licenciement" ; que, le Conseil d'État a précisé que cette obligation pesant sur l'employeur reposait sur un principe général du droit dont s'inspirent tant les dispositions du Code du travail relatives à la situation des salariés qui, pour des raisons médicales, ne peuvent plus occuper leur emploi que les règles statutaires applicables dans ce cas aux fonctionnaires et en a déduit que, lorsqu'il a été médicalement constaté qu'un salarié se trouve de manière définitive atteint d'une inaptitude physique à occuper son emploi, il appartient à l'employeur de le reclasser dans un autre emploi et, en cas d'impossibilité, de prononcer, dans les conditions prévues pour l'intéressé, à son licenciement ; que, dès lors, la Cour ne peut suivre le Tribunal lorsqu'il considère acquis que la déclaration d'inaptitude définitive constatée par le comité médical justifie automatiquement le licenciement ; que, tout au contraire, la déclaration d'inaptitude fait partir l'obligation de recherche de reclassement qui s'impose à l'employeur ; que, cette obligation de reclassement qui pèse de manière différente sur l'employeur en fonction du contenu de l'avis technique (inaptitude totale aux fonctions exercées ou inaptitude totale à tout poste dans l'entreprise) est une obligation de moyens ; que, l'employeur doit apporter la preuve qu'il a effectué des recherches actives et loyales de reclassement, au besoin par aménagement du temps de travail ; que, la charge de la preuve des diligences accomplies pèse sur l'employeur et celui-ci ne peut d'une manière formelle soutenir qu'il est exonéré de cette obligation du fait de l'avis d'inaptitude, ceci d'autant plus qu'en l'espèce, la décision de licenciement du 22 juillet 2005 fait référence à la décision du 30 juin 2005 du comité médical de la défense ayant déclaré Monsieur Daniel X... "définitivement inapte à vos fonctions" ; que, la Cour note, en effet, que les possibilités de l'employeur en matière de reclassement sont plus importantes si le salarié a fait l'objet d'un avis d'inaptitude définitive aux fonctions que s'il a fait l'objet d'un avis d'inaptitude à tout poste dans l'entreprise ; que, de plus, la Cour ne peut suivre le raisonnement du Tribunal relativement au mi-temps thérapeutique, dès lors que cet aménagement du temps de travail est la conséquence, non de l'application de l'article 34 bis du décret du 17 janvier 1986, mais de l'obligation générale de reclassement pesant sur l'employeur confronté à une déclaration d'inaptitude du salarié ; qu'enfin, la lettre du 25 juin adressée par Monsieur Daniel X... à son employeur ne doit pas être analysée comme la reconnaissance de toute impossibilité de reclassement ; que, cette lettre démontre seulement que Monsieur Daniel X... avait renoncé à se prévaloir des dispositions de l'article 34 bis précité dont il a été dit précédemment que son champ d'application ne recouvrait pas celui de l'obligation de reclassement en cas d'inaptitude ; que, certes, la situation de Monsieur Daniel X... était complexe et ses actions n'étaient pas assurées d'aboutir, mais il ne pouvait être jugé qu'il n'avait aucune chance raisonnable de voir sa cause aboutir ; que, tout au contraire, la Cour trouve dans les considérations ci-dessus la preuve que Monsieur Daniel X... avait bien des chances raisonnables de voir son action aboutir ; qu'au vu de l'ensemble des pièces fournies, des explications des parties, des considérations ci-dessus, la cour trouve dans la cause des éléments suffisants pour évaluer à la somme de 50.000 € le préjudice de toute nature subi par Monsieur Daniel X... du fait de la perte de la chance d'obtenir réparation des conséquences du licenciement dont il a fait l'objet ;
ALORS QUE l'indemnité de réparation d'une perte de chance ne saurait présenter un caractère forfaitaire ; que cette indemnité doit correspondre à une fraction des différents chefs de préjudice supportés par la victime ; que le juge doit, d'une part, évaluer les différents chefs de préjudice invoqués par la victime et d'autre part, apprécier à quelle fraction de ces préjudices doit être évaluée la perte de chance indemnisée ; qu'en se bornant à affirmer qu'elle trouvait dans la cause des éléments suffisants pour évaluer à la somme de 50.000 euros le préjudice de toute nature subi par Monsieur X... du fait de la perte de chance d'obtenir réparation des conséquences du licenciement dont il a fait l'objet, sans évaluer les différents chefs de préjudice invoqués par Monsieur X..., sans évaluer les chances de Monsieur X... d'obtenir chacune des indemnités sollicitées et sans indiquer quelle fraction de ces préjudices devait être évaluée la perte de chance indemnisée, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du Code civil.